Radiodiffusion des nouveaux médias : statu quo du CRTC et quête d’éclaircissements

L’organisme fédéral maintient son refus de réglementer la production de contenu canadien dans les nouveaux médias. Toutefois, il veut clarifier certains aspects et obtenir des données. Quelques commentaires sur la Toile démontrent une diversité d’opinions envers la non-ingérence du CRTC.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) maintient sa position d’exemption de réglementation du contenu dans Internet qu’il respecte depuis une décennie.

Formulée au terme d’une consultation où 50 intervenants ont été entendus, alors que 150 commentaires et 70 mémoires ont été déposés, la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2009-329 démontre que le CRTC reste campé sur l’ensemble de ses positions précédentes. Toutefois, l’organisme fédéral recommande quelques mesures et actions afin d’éclaircir des points ou obtenir davantage de données.

Exemption maintenue

À propos de l’exemption des entreprises de radiodiffusion par les nouveaux médias, certains ont plaidé qu’il était inutile d’intervenir pour stimuler la croissance et les innovations, alors que des associations d’artisans ont affirmé que l’abolition d’ordonnances d’exemption encouragerait la présence canadienne dans les nouveaux médias. Des intervenants ont plaidé qu’une attribution de licences serait complexe à réaliser dans l’univers des nouveaux médias et que les modèles d’affaires n’étaient pas encore définis. Des contraintes liées aux droits numériques ont aussi été évoquées de part et d’autre.

Dans son maintien d’exemption, le CRTC dit ne pas croire que la radiodiffusion des nouveaux médias « menace la capacité des titulaires de licences traditionnelles à faire face à leurs obligations », alors que plusieurs radiodiffuseurs auraient recours aux nouveaux médias « comme complément à leurs activités » et auraient les outils et la motivation nécessaires pour les intégrer à leurs modèles d’affaires. L’organisme dit en pas avoir eu la démonstration du bien-fondé du recours aux licences et évoque l’absence d’un modèle commercial apte à baliser cette forme de radiodiffusion. Quant aux droits numériques, l’élaboration de cadres de réglementation pour procéder à des négociations individuelles revient aux secteurs de la radiodiffusion et de la production.

Le CRTC affirme qu’il examinera de nouveau la décision d’exemption dans cinq ans « ou au moment le plus opportun ».

Financement et promotion

Certains intervenants dont des groupes culturels ont déploré l’insuffisance du financement pour la création de contenu par les nouveaux médias, alors que les fonds existants seraient insuffisants. Les fournisseurs de services Internet (FSI) ont rétorqué qu’un nouveau fonds n’aiderait pas le contenu canadien, en plaidant la nature complémentaire des nouveaux médias envers les sources traditionnelles, un remaniement du contenu traditionnel pour la distribution en ligne et sur les appareils mobiles et la création de contenu accessoire pour faciliter la commercialisation de la programmation télé. Des représentants de créateurs et de producteurs ont affirmé que les fournisseurs de services Internet et sans-fil, à titre de distributeurs, devaient épauler la création et la distribution de contenu canadien. Ces derniers ont répliqué que le CRTC n’avait pas le pouvoir d’imposition de droits sur leurs revenus, puisqu’ils n’étaient pas assujettis à Loi sur la radiodiffusion.

Le CRTC n’a pas été convaincu qu’un nouveau financement aiderait la création et la diffusion de nouveau contenu dans les nouveaux médias. Il souligne que plusieurs initiatives de fonds privés et le Fonds des médias du Canada contribueront au financement de projets. L’absence de modèles d’affaires « viables et établis » pour baliser la radiodiffusion « néomédiatique » a aussi été évoquée comme raison de refus de création d’un nouveau fonds.

Toutefois, le CRTC demandera à la Cour d’appel fédérale de se pencher sur le statut des fournisseurs de services Internet, afin de savoir si la Loi sur la radiodiffusion des diffuseurs traditionnels devrait s’appliquer à eux lorsqu’ils donnent accès à du contenu de radiodiffusion. Cette demande est incluse dans l’Avis de consultation 2009-330 – pour lequel l’organisme a amorcé un appel d’observations – qui traitera de plusieurs enjeux. Les FSI plaident qu’ils ne peuvent être assujettis à la Loi sur la radiodiffusion, puisqu’ils constitueraient des entreprises de télécommunications assujetties à une autre loi. Le CRTC veut ainsi obtenir la distinction entre une entreprise de radiodiffusion et une entreprise de télécommunications.

À propos de la promotion du contenu canadien, le CRTC estime qu’il est trop tôt pour penser à l’établissement de mesures spécifiques en matière de visibilité et de promotion. Certaines parties suggéraient que le contenu canadien soit sélectionné ou mieux positionné dans l’offre de contenu des fournisseurs de services, ou qu’un filtrage priorise le contenu canadien. Des fournisseurs ont fait état de la création de portails vidéo qui procureront une meilleure visibilité à ce contenu, mais plusieurs parties ont plaidé l’égalité de l’accès aux sources d’information et souligné la complexité technique qu’impliquerait une telle priorisation.

Mesures, préférence indue et redéfinition

Même s’il exempte la radiodiffusion par les nouveaux médias de toute application réglementaire, le CRTC a l’intention de formuler à son endroit deux autres requêtes qui sont incluses dans l’avis de consultation 2009-330.

Premièrement, l’organisme veut obtenir des entreprises de radiodiffusion des rapports détaillés qui lui fourniront des données relatives au contenu « néomédiatique ». Ces données pourraient inclure les offres de contenu, l’utilisation qui en est faite, les revenus et les dépenses.

Également, le CRTC veut modifier l’ordonnance d’exemption pour y ajouter une interdiction d’accord d’une préférence indue. Il serait alors interdit à une entreprise de radiodiffusion d’accorder une préférence « à elle-même ou à une autre personne » ou de désavantager une autre personne. Cette modification est justifiée par la présence dans le paysage canadien de sociétés à concentration verticale et de distributeurs détenant des intérêts chez des fournisseurs de contenu. Également, la situation de marché actuelle, où des services fermés sont offerts dans les forfaits de divertissement mobile, est évoquée par le CRTC. Des fournisseurs sans fil plaident toutefois que le recours aux fureteurs Internet est en voie de devenir la norme.

Par ailleurs, le CRTC annonce la modification prochaine de la définition « d’entreprise de radiodiffusion par les nouveaux médias ». La nouvelle définition, chapeautée par l’avis de consultation 209-330, engloberait les entreprises qui fournissent des services de radiodiffusion distribués et accessibles sur Internet, mais aussi ceux qui sont reçus sur des appareils mobiles par le biais d’une technologie point à point, afin de refléter une neutralité technologique.

Enfin, le CRTC appuie une suggestion de l’Office national du film du Canada qui exige que le gouvernement fédéral, à l’image d’autres pays, élabore une stratégie nationale de numérisation. L’organisme est aussi d’avis que plusieurs enjeux soulevés durant la consultation, mais qui débordent de ses champs de compétence, comme la loi sur le droit d’auteur, la gestion du spectre, la politique fiscale, la convergence de la législation et la gestion de l’archivage numérique, nécessitent qu’on y porte attention.

Sur la Toile

Dans Internet, quelques réactions qui allaient plus loin que le rapport de la nouvelle

Dans un commentaire éditorial, James Murray du site de nouvelles en ligne Netnewsledger.com de Thunder Bay en Ontario estime que le CRTC a pris la bonne décision. « Internet évolue à une vitesse plus rapide que les législateurs et les responsables de la réglementation pourraient sûrement le soutenir, et avec tout le réseautage global en ligne, toute tentative de réglementation aurait comme résultat de placer le Canada derrière le reste du monde. […] Cette décision signifie que vous, le lecteur, déciderez du futur des nouveaux médias en ligne. »

La Writers Guild of Canada, une association nationale qui représente 1 900 rédacteurs professionnels en production radio, télé, cinéma et multimédia au Canada, déplore que le CRTC ait refusé la réglementation du contenu « néomédiatique ». « Le CRTC a tort. Selon notre longue expérience de travail avec les diffuseurs canadiens, nous savons que sans réglementation le contenu canadien est envoyé sur les lignes de côté », considère la directrice générale Maureen Parker. La guilde regrette l’absence de financement additionnel, mais elle est reconnaissante que le CRTC exige l’obtention de données de la part des radiodiffuseurs.

Sur son blogue, le rédacteur en télévision John McGrath déplore que le CRTC n’ait pas agi dans l’intérêt de la production de contenu canadien sur le Web en établissant des parallèles avec la situation dans l’univers télévisuel traditionnel où le contenu américain prend une place importante.

Après avoir lu ce billet, Jaime Weinman, sur le blogue du magazine Maclean’s, croit que le Canada se trouve dans le pire des mondes en matière d’accès au contenu en ligne. « Nous ne pouvons avoir accès au meilleur contenu américain en ligne, même si Hulu et d’autres sites deviennent de plus en plus importants, et la plupart des diffuseurs canadiens ne peuvent ou ne veulent combler l’écart avec leurs équivalents américains en matière de contenu en ligne ».

Dans un billet, le blogueur Michael Geist se dit en accord avec la décision du CRTC d’éviter une nouvelle forme de réglementation. Toutefois, dans la section des commentaires, des internautes s’interrogent à propos sur la pertinence du CRTC.

Dans l’univers francophone, le chroniqueur de la chaîne de télévision spécialisée Argent, Luc Lavoie (ex-journaliste et ex-vice-président de Quebecor), déclare dans son blogue que le renvoi de la question de l’application aux FSI de la Loi sur la radiodiffusion devant les tribunaux servira à mettre fin à un débat. « Il s’agit d’un débat absurde, car si les instances judiciaires et réglementaires du Canada décidaient que les fournisseurs de contenus destinés à l’Internet doivent être réglementés, ces fournisseurs pourraient très bien décider d’aller s’établir ailleurs dans le monde et continuer de faire exactement la même chose qu’avant. Réglementer Internet? On se croirait en Chine… »

Dans le Carnet Techno de Bruno Guglielminetti, sur le site Web de Radio-Canada, quelques internautes ont formulé des commentaires où les opinions touchent à divers aspects du débat.

La loi n’est pas adaptée

À la fin du document de politique réglementaire, dans un commentaire très imagé, le conseiller du CRTC Timothy Denton souligne que la Loi sur la radiodiffusion a été conçue pour encadrer un type de discours et l’utilisation des ondes hertziennes au début du XXe siècle, en soulignant que cette loi n’est pas adaptée pour l’encadrement du réseau Internet.

M. Denton, en faisant état d’un enjeu de liberté d’expression s’il y a une tentative de réglementation du discours, plaide clairement pour la non-intervention du CRTC et de l’État envers le contenu dans Internet. Soulignons que M. Denton a participé à l’élaboration de la Loi sur la radiodiffusion de 1985 à 1987 et à la Loi sur les télécommunications à titre de conseiller spécial du ministre des Communications de 1985 à 1988. Avant d’être nommé au CRTC, il a travaillé comme avocat principal pour l’Association canadienne des fournisseurs Internet et pour une coalition de FSI.

Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.

Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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