Chez les allumeurs de réverbères et les livreurs de charbon

En 2011, certaines professions semblent n’aller nulle part et d’autres, quand on astique sa boule de cristal, semblent plutôt menacées. Tout cela à cause du maelstrom qui est en train de remodeler notre monde. Pourtant, certains préfèrent jouer à l’autruche; on dirait de vrais climats-sceptiques. Et s’ils avaient tort ?

Quand j’ai commencé comme journaliste techno en 1984, il y avait un laitier, un des derniers de Montréal, qui venait me livrer lait, œufs, yaourt et beurre au rythme où mes enfants s’en régalaient. Mais il n’y avait plus de boulanger qui grimpait mon escalier, pas plus qu’il n’y avait de charbonnier ou de livreur de glace.

Quand j’achèverai comme journaliste techno en 2014, trente ans plus tard, il y aura encore un ou deux traducteurs ici et là, deux ou trois rédacteurs raccordés en mode infonuagique, un ou deux chroniqueurs qui signeront encore des analyses dans certaines boîtes syndiquées et quelques nouvellistes en nombre moindre qu’aujourd’hui qui s’enliseront dans les bas-fonds du surmenage mal payé. Mais ce sera moins épouvantable qu’en 2024, quand j’aurai finalement rangé mes patins, où tous ces métiers seront allés rejoindre celui d’allumeur de réverbères.

Comment arriver à une telle prédiction ? Par simple déduction logique en analysant la trajectoire d’un mouvement enclenché depuis quelques années, soit l’évolution de plus en plus rapide de certaines technologies et le comportement des multinationales impliquées dans le service Web.

La trajectoire d’un mouvement

Au niveau médiatique, on a beau faire l’autruche, nier l’évidence, continuer à dilapider les fonds publics en formant des journalistes au cégep et à l’université, les médias rapetissent. Ils font des congédiements, ils sabrent leur masse de collaborateurs externes, ils tuent des éditions, ils ne reculent désormais devant aucune pub. Moi qui ai appris à faire autre chose que de la nouvelle, que de la reprise de communiqués de presse, j’ai de plus en plus de peine à trouver des médias à qui vendre mes prestations. La norme est devenue de ne même plus se sentir obligé de me répondre quand je soumets mes propositions d’article. Même le savoir-vivre s’est perdu dans ces grands chamboulements.

Depuis douze ans, je ne fais plus de nouvelle, seulement de la chronique journalistique. J’épluche, je gosse, je gratte, je m’implique. Je publie des analyses de situation, de tendance, d’évolution. Or en ces temps d’aujourd’hui, le terme « analyse » est de plus en plus associé à celui d’« opinion ». Tout le monde a le droit à la sienne, d’opinion, du vieux pigiste chevronné au cégépien convaincu de son unicité, et toutes se valent. Chacun a voix au chapitre. N’importe qui peut s’ouvrir un blogue chez WordPress.com ou ailleurs pour y asséner à sa façon toutes les vérités du moment, celles du phantasme comme celles de la réalité.

En ce sens, le chroniqueur-analyste ressemble à ces profs d’université à qui les étudiants tiennent tête puisqu’ils confondent « acte d’enseignement » avec « échange d’opinions divergentes ».

Ils veulent quoi les gens ? Des nouvelles rapides. D’où la tendance à recracher les communiqués de presse. D’où la progressive relégation des chroniqueurs-analystes; les médias en ligne ont entrepris de s’en passer. En parallèle, des experts en marketing officiant sans but lucratif (telle est du moins l’apparence) dans la webosphère sont apparus et, en virtuoses des rouages du Web 2.0, ont entrepris de combler le vide.

Bref, on se dégraisse à tire-larigot et on ne garde que ce qui peut attirer les amateurs de la fast-info. Ici, ça se nomme rationalisation, là, convergence.

L’évolution rapide de certaines technos

Mon ami François Couture jouit de la réputation enviable d’être un des meilleurs traducteurs à Montréal. C’est un vieux pro qui prend encore le temps de bien faire les choses, d’aller fouiner dans les lexiques, de faire des exercices de stylistique, d’essayer des logiciels spécialisés, et j’en passe. Mais il est inquiet. Du centre-ville où il habite, il voit bien que les réverbères ne sont plus au gaz.

Quand il a commencé, le François, la traduction était essentiellement grammaticale. On analysait les phrases et on cherchait dans de précieux grimoires. Puis un jour, Google a lancé un service assez stupéfiant où le mode de fonctionnement était devenu statistique. Au lieu de colliger des mots ou des règles dans des lexiques, le système a entrepris de siphonner les traductions humaines, d’assimiler les automatismes décelés et de digérer des masses inouïes de documents, p. ex. celle de l’ONU ou celle du gouvernement canadien. Il en est résulté une sorte de macédoine qui permet de proposer des traductions parfois presque satisfaisantes.

Jusqu’ici, les traducteurs professionnels n’ont pas trop à s’inquiéter. On conviendra en effet qu’une traduction faite dans Google nécessite de nos jours beaucoup de travail professionnel avant de pouvoir satisfaire un client, cela dit, même si certains ont commencé à s’en contenter.

Mais Watson est en train de changer les règles du jeu. Le superordinateur d’IBM ouvre la porte sur de l’inédit. On a maintenant la preuve qu’une machine peut comprendre le sens du langage naturel. Ce que cela signifie, c’est qu’une fois multipliées de façon commerciale, les ressources de Watson permettront d’en arriver à de la traduction acceptable, à tout le moins, à de la traduction nécessitant fort peu de retouches. Et là, seuls les traducteurs qui voudront jouer ce rôle de complément humain pourront demeurer en affaires.

Science-fiction ? Que nenni ! C’est là, maintenant, et, d’ici dix ans, plus ou moins, ce sera la norme. François Couture y songe. Mais à part donner son maximum pour mieux fidéliser ses clients, il n’y peut rien. Triste perspective !

Il en sera d’ailleurs ainsi pour la nouvelle en mode fast-info. Le remâchage de communiqués ou de fils de nouvelles ne sera plus fait par des journalistes en début de carrière, mais par des machines. Vous connaissez Qwiki ? Si vous n’êtes pas encore allé faire un tour sur le site de cette petite merveille en développement, vous trouverez possiblement que je charrie. Mais si vous y allez, vous entendrez une voix de synthèse anglophone vous réciter, sans que ça ne soit disgracieux ou assommant, le résumé de fiches d’information que la machine aura glanée à la suite d’une requête que vous lui aurez acheminée. Je vous jure !

La preuve est donc en train de se faire comme quoi l’ordinateur est capable de recherche et sait en rassembler les éléments dans une syntaxe acceptable. Combien faudra-t-il d’années avant que ce système soit perfectionné et utilisable commercialement ? Cinq ans ? Sept ? Répondre à cette question, c’est répondre à celle visant à savoir dans combien d’années disparaîtront les scribes de nouvelles.

Le comportement des multinationales

Ce troisième grand point est très simple. Il s’agit tout simplement de la fusion des deux points précédents sous l’éclairage de la mondialisation. Combien de temps, selon-vous, faudra-t-il à Google ou à une boîte de ce genre (s’il en reste d’autres dans cinq ou dix ans) pour fournir juste à temps et à prix « compréhensif », les bonnes nouvelles proprement écrites dans la bonne langue à leurs clients, c’est-à-dire des médias en ligne de tout acabit, de tout poil et de toute odeur, sans qu’un être humain n’ait eu à intervenir ?

C’est une question qui, à mon avis, se pose.

Si c’est le cas, il sera devenu possible de couvrir une élection québécoise, cela dans une qualité de contenu et de langue très acceptable, à partir d’un site montréalais, rimouskois ou autre qui sera exclusivement alimenté par une agence cybernétique située dans les arcanes d’un superordinateur californien.

Si personne ne semble vouloir en parler, est-ce parce que je suis à côté de mes pompes que je commence à confondre la réalité avec la fiction ? Je ne le crois pas ! Il est vrai que tout cela s’en vient.

Alors, pourquoi ne le dit-on pas à tous ces jeunes qui envisagent une carrière de rédacteur, de journaliste ou de traducteur, pour ne parler que de ces professions ? Pourquoi les laisse-t-on s’investir dans une formation qui semble mener tout droit à un cul-de-sac ? Simplement pour protéger des emplois de prof et des budgets de département ? Voyons donc, ce serait malhonnête. La réponse évidente est probablement parce que l’on ne voir voit rien venir ou, comme c’est le cas pour le réchauffement planétaire, que l’on préfère balayer vers l’avant.

On s’en reparle dans quelques années.

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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