Des ministères ont ignoré les pratiques de gestion et ont négligé de superviser l’application ArriveCan : Vérificatrice générale

Trois ministères fédéraux ont négligé de suivre de bonnes pratiques de gestion dans la passation de marchés, le développement et la mise en œuvre de l’application ArriveCAN, d’une valeur de 59,5 millions de dollars, a déclaré aujourd’hui la vérificatrice générale du Canada.

Karen Hogan, vérificatrice générale, conclut que l’application n’a pas offert le meilleur rapport qualité-prix aux contribuables.

Elle ajoute également que le manque de documentation rend presque impossible de connaître le coût exact de tous les travaux payés pour l’application.

L’Agence des services frontaliers du Canada, l’Agence de la santé publique du Canada et Services publics et Approvisionnement Canada sont blâmées dans le rapport déposé ce matin au Parlement.

L’application a été créée en 2020 pour collecter numériquement les coordonnées et renseignements médicaux des voyageurs à leur entrée au Canada pendant la pandémie de COVID-19, afin de les présenter facilement aux autorités frontalières. L’audit estime que l’application ArriveCAN a coûté environ 59,5 millions de dollars, mais souligne que le coût exact est impossible à calculer en raison de la mauvaise tenue des registres financiers de l’Agence des services frontaliers du Canada.

« La décision de l’agence de continuer à s’appuyer sur des ressources externes tout au long du développement, du lancement et des mises à jour de l’application, au-delà de la crise pandémique initiale, a augmenté les coûts et remet en question la valeur obtenue pour l’argent dépensé », a déclaré le bureau de la vérificatrice générale dans un communiqué.

Le manque de documentation et de contrôles s’étend aux pratiques d’approvisionnement, selon le communiqué. L’audit a révélé que « le mépris de l’Agence des services frontaliers du Canada pour les politiques, les contrôles et la transparence dans le processus de passation des marchés a limité les possibilités de concurrence et a nui à l’optimisation des ressources. Il existe peu de documentation pour justifier comment et pourquoi une société appelée GC Strategies a été attribué le contrat initial d’ArriveCAN par le biais d’un processus non concurrentiel. »

GC Strategies est une société de dotation en personnel informatique, c’est-à-dire qu’elle embauche ou sous-traite des développeurs pour effectuer du travail pour les organisations avec lesquelles elle a des contrats.

Le rapport indique que des preuves montrent que GC Strategies a participé à l’établissement des exigences que l’ASFC a ensuite utilisées pour lancer un appel d’offres concurrentiel.

L’audit a révélé que l’Agence des services frontaliers du Canada a mal géré les contrats, ce qui a soulevé des inquiétudes quant à l’optimisation des ressources. Des informations essentielles, telles que des livrables clairs et les qualifications requises, manquaient aux contrats. L’Agence des services frontaliers du Canada approuvait et payait régulièrement des factures contenant peu ou pas de détails sur les travaux réalisés.

« Les fonctionnaires doivent toujours être transparents et responsables envers les Canadiens de leur utilisation des fonds publics », a déclaré Mme Hogan. « De nombreuses questions que se posent les parlementaires et les Canadiens ne peuvent trouver de réponse. Le manque d’information pour appuyer les dépenses et les décisions liées à ArriveCAN a compromis leur responsabilité. »Le rapport indique que :

  • 18 % des factures soumises par les fournisseurs que le bureau de Mme Hogan a testées ne fournissaient pas suffisamment d’informations pour déterminer si les dépenses étaient liées à ArriveCAN ou à un autre projet de technologie de l’information. Cela rendait impossible d’attribuer correctement les coûts aux projets ;
  • Le bureau de la vérificatrice générale a estimé que le coût journalier moyen des ressources externes d’ArriveCAN était de 1 090 $, alors que le coût quotidien moyen des postes informatiques équivalents au sein du gouvernement du Canada était de 675 $. Agence des services frontaliers du Canada a continué à s’appuyer sur des ressources externes, ce qui a augmenté le coût de l’application ;

Entre avril 2020 et octobre 2022, Agence des services frontaliers du Canada a publié 177 versions d’ArriveCAN, souvent avec peu ou pas de documentation sur les tests. Une mise à jour, en juin 2022, a donné par erreur à environ 10 000 voyageurs l’instruction de se mettre en quarantaine ;À la suite de cet incident, la Commissaire fédérale à la protection de la vie privée a conclu que l’Agence des services frontaliers du Canada avait contrevenu à la Loi sur la protection des renseignements personnels en ne prenant pas toutes les mesures raisonnables pour s’assurer que les renseignements sur les personnes enregistrées dans l’application étaient exacts ;

  • Le rapport souligne qu’il n’y avait pas d’entente officielle entre l’Agence de la santé publique du Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada d’avril 2020 à juillet 2021 afin de clarifier les rôles et les responsabilités. « Chaque agence croyait que sa contrepartie était responsable de l’établissement d’une structure de gouvernance. À notre avis, l’Agence de la santé publique du Canada, en tant que propriétaire de l’application, était responsable de la mise en place de cette structure. »

« En l’absence d’une structure de gouvernance, de bonnes pratiques de gestion de projet n’ont pas été élaborées et mises en œuvre, » selon le rapport. « Par exemple, l’Agence de la santé publique du Canada n’a pas défini d’objectifs et de buts pour le projet, de budgets et d’estimations de coûts, d’évaluations des besoins en ressources ou d’activités de gestion des risques. » Ce n’est qu’en juillet 2021, lors de la signature d’une lettre d’intention, que les responsabilités relatives au financement, à la mise en œuvre, à la gestion et au soutien d’ArriveCAN ont été clarifiées.

  • Le bureau de la vérificatrice générale n’a trouvé aucune preuve que certains employés de l’Agence des services frontaliers du Canada aient respecté le code de conduite de l’agence en divulguant qu’ils avaient été invités à des dîners et autres activités par des fournisseurs.
  • Une des raisons pour lesquelles le coût de l’application a augmenté : l’Agence des services frontaliers du Canada a ajouté un formulaire numérique de déclaration douanière et d’immigration à l’application ArriveCAN au coût d’environ 6,2 millions de dollars, pour remplacer un système papier. Le nouveau formulaire numérique est resté en usage même après que le gouvernement a cessé de recueillir les informations de contact et de santé des voyageurs en octobre 2022.

L’Agence des services frontaliers du Canada était responsable du développement et de la gestion de l’application ArriveCAN en se basant sur les exigences sanitaires de l’Agence de la santé publique du Canada. Ces exigences ont été mises en œuvre pour répondre aux ordonnances d’urgence liées à la COVID-19. L’Agence de la santé publique du Canada appuie le ministre fédéral de la Santé. L’agence était propriétaire d’ArriveCAN jusqu’au 1er avril 2022. Services publics et Approvisionnement Canada   est l’autorité centrale d’achat et d’approvisionnement du gouvernement, et était responsable de l’émission et de l’administration des contrats au nom des agences lorsque la valeur du contrat dépassait leur pouvoir délégué d’approvisionnement.

Le rapport note que même si le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada a introduit une certaine flexibilité dans les processus d’approvisionnement et de passation des marchés pendant la pandémie pour obtenir des résultats rapidement, il exigeait toujours des organisations gouvernementales qu’elles fassent preuve de diligence raisonnable et qu’elles mettent en place des contrôles sur les dépenses et qu’elles documentent leurs décisions.

Hogan recommande :

  • Que l’Agence des services frontaliers du Canada tienne des registres financiers précis en attribuant correctement les dépenses aux projets. Pour mieux soutenir ces actions, l’agence devrait collaborer avec les fournisseurs pour obtenir des factures détaillant avec précision le travail effectué par chaque ressource, par projet, contrat et autorisation de tâche.
  • Que l’Agence des services frontaliers du Canada et l’Agence de la santé publique du Canada documente entièrement leurs interactions avec les fournisseurs potentiels et les raisons des décisions prises lors des processus d’approvisionnement non concurrentiels. Elles devraient également mettre en place un processus pour assurer le respect des exigences des politiques d’approvisionnement.
  • Que l’Agence des services frontaliers du Canada s’assure que les soumissionnaires potentiels ne participent pas à l’élaboration ou à la préparation d’une partie quelconque d’une demande de proposition. L’agence devrait mettre en place des contrôles pour empêcher que cela ne se produise.

En réponse au rapport du vérificateur général, le gouvernement a publié une déclaration reconnaissant qu’il existait des « lacunes inacceptables dans les processus de gestion ».

Le gouvernement a indiqué que l’ASFC a déjà créé un comité d’examen des approvisionnements exécutifs pour approuver les contrats et les autorisations de tâches. « Ce comité fournit déjà une surveillance supplémentaire sur toutes les activités d’approvisionnement, en mettant l’accent sur l’optimisation des ressources. » L’ASFC a également mis sur pied un centre d’expertise en approvisionnement pour aider les employés à bien comprendre leurs obligations et leurs pouvoirs. L’agence exige désormais également de ses employés qu’ils divulguent toutes leurs interactions avec les fournisseurs potentiels.

Services publics et Approvisionnement Canada « continuera à renforcer tous les aspects du régime fédéral d’approvisionnement et utilisera les conclusions de ce rapport pour améliorer la façon dont le gouvernement du Canada fait affaire avec ses fournisseurs », indique la déclaration. Le gouvernement précise que de nouvelles mesures ont déjà été ajoutées pour garantir que les tâches et les livrables sont clairement définis dans les contrats de services professionnels, et que la documentation relative aux politiques et aux directives utilisées par les responsables des approvisionnements pour assurer la cohérence a été mise à jour.

L’article original (en anglais) est disponible sur IT World Canada, une publication sœur de Direction informatique.

Adaptation et traduction française par Kevin Plourde.

Howard Solomon
Howard Solomon
Actuellement rédacteur pigiste, Howard est l'ancien rédacteur en chef de ITWorldCanada.com et de Computing Canada. Journaliste informatique depuis 1997, il a écrit pour plusieurs publications sœurs d'ITWC, notamment ITBusiness.ca et Computer Dealer News. Avant cela, il était journaliste au Calgary Herald et au Brampton Daily Times en Ontario. Il peut être contacté à [email protected].

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