Après Microsoft et Intel, au tour de Canadian Tire?

Les Européens ont la mèche plus courte que la nôtre face à ce qu’ils considèrent comme étant de la concurrence déloyale. Après Microsoft en 2004, ils viennent de frapper sa grande partenaire Intel. Le tour des fabricants de voitures et des grands brasseurs est-il proche?

La première condamnée à une amende de 497 millions d’euros en a appelé et, cinq ans plus tard, n’a toujours pas l’intention de verser un rond. Quant à Intel, le jugement parle de 1 060 millions d’euros, rien de moins. La géante du processeur a décidé elle aussi d’en appeler et une armada d’avocats a été mobilisée.   La Commission européenne reproche à Intel d’avoir favorisé ses produits en octroyant des remises et des paiements directs aux fabricants d’ordis dans le but de nuire aux ventes de son concurrent AMD. Quant à Microsoft, on lui avait reproché d’avoir abusé de sa position dominante en incitant les consommateurs à utiliser des produits intégrés à Windows comme Media Player, au détriment de ceux de la concurrence.   La belle affaire! Intel et Microsoft, alias le cartel Wintel, auraient beau être de mauvaise foi et la Commission européenne aurait beau avoir raison, qu’est-ce que ça change dans les faits? Si je regarde les gens autour de moi, ma famille, mes amis, mes collègues, force m’est de répondre « rien ».

Pour s’acheter un système informatique, ils ont d’abord fait un choix entre le neuf ou l’occasion, ensuite, entre un bloc-notes ou un ordi de table. Là, ils ont regardé ce qu’ils pouvaient se dénicher à moins de 1 000 $, de 1 500 $ ou de 2 000 $, selon leur budget. « Ici, j’ai une machine de trois ans qui fait tout et dont le faible coût me permet d’ajouter une imprimante et un moniteur ACL 24 pouces ». « Ici, j’ai un HP bloc-notes flambant neuf avec garantie prolongée qui me coûte 40 % moins cher qu’un beau MacBook d’Apple. »   L’ordinateur retenu a un système d’exploitation Microsoft ou Apple, mais c’est là d’intérêt secondaire. Même chose pour la marque du processeur. Intel? AMD? Bof! Quand on sait faire la différence entre un Mac et un PC, ça s’arrête là. On achète, on apporte à la maison, on se branche sur Internet et on se met en communications avec son cyberentourage.   –          C’est quoi que t’as comme PC? –          C’est une machine Windows. –          Vista? –          Oui. –          Quelle version? –          Je sais pas; comment je fais pour savoir? –          Clique sur le bouton, en bas à gauche, c’est le logo de Windows. Y a un menu qui va s’ouvrir. –          Ouin. –          Tu vois la grosse case où c’est marqué « Rechercher »? –          Ouin. –          Tape la commande « winver ». Ici, la concurrence joue beaucoup plus entre Future Shop, Bureau en gros, Best Buy, La Source, voire les boutiques de PC d’occasion, qu’entre HP, Dell, Lenovo, Acer ou Apple et, surtout, qu’entre Intel et AMD. En général, les gens n’en ont rien à cirer que le système d’exploitation appartienne à Microsoft et le processeur à Intel. Ils veulent, pour le meilleur prix possible, un ordi qui marche, point à la ligne.

Évidemment, ceux pour qui l’informatique devient un passe-temps vont déplorer ne pouvoir s’acheter un PC vierge où ils installeront Ubuntu ou Open Solaris et ils vont dénoncer l’attitude monopolistique de Microsoft, du moins dans les grandes surfaces, tout comme ils haïront se faire imposer un processeur Intel. Cet état de fait les forcera à fréquenter les petites échoppes de quartier ou les boutiques en ligne.

Si j’avais un char…   C’est comme pour les voitures. Si je m’achète une voiture neuve, quels sont les choix qui s’offrent à moi? J’aurai un moteur à essence vrombissant avec quatre, six ou huit cylindres, j’aurai deux, trois, quatre ou cinq portes, telle ou telle commodité électrique ou électronique. Il me semble que les différences seront davantage le fait du prix que de la marque.

En bas de 20 000 $, j’aurai une punaise grise, parfois rouge ou bleue, qui pourra être américaine ou asiatique, si j’arrive à l’identifier. Entre 20 000 $ et 60 000 $, je pourrai choisir entre les styles fourgonnette pour banlieusard qui doit fréquenter Costco tous les samedis, jeep d’autoroute avec pneus de 15 ou de 16 pouces, hybride pour bourgeois conscientisé, semi-camion pour cowboy du crédit, routière grand confort pour victimes du nerf sciatique, 4×4 avec pare-chocs anti kangourou pour aventuriers de la 440 et ainsi de suite. À plus de 60 000 $, je pourrai encourager la fabrication allemande ou italienne et, à eux seuls, mes verres fumés coûteront 350 $.

Autrement dit, je n’ai pas vraiment le choix. Pour acheter neuf, je dois faire affaire avec une sorte de cartel en situation de monopole qui me force à penser « prix » et non pas « marque ». J’aurai beau fouiner sur le Net, lire Jacques Duval, détailler les réclames, téléphoner aux concessionnaires, en parler aux collègues et au beau-frère. Dans mon cas, je n’aurai d’alternatives qu’entre la punaise à moins de 20 000 $ et la bagnole un peu plus kioute à 25 000 $. Quelle que soit ma décision, je me retrouverai avec un quatre cylindres asiatique ou américain. Et je pesterai contre un autre cartel, celui des les pétrolières, qui m’arnaqueront toutes les longues fins de semaine.   Fouiller pour trouver sa bière

Ça, c’est pour les « chars ». Mais il y a bien d’autres exemples. Prenez la bière. Si je veux me procurer ma rousse préférée, une « Vieux Chausson » du Lac-Saint-Jean ou ma blonde de prédilection, une « Tsour de Bras » de la Montérégie, je devrai braver le diktat de mon lumbago et annuler la perfidie de mes rotules fatiguées pour plonger à quatre pattes dans les frigos de mon épicier.

Pourquoi? Parce qu’il me faudra entreprendre des recherches archéologiques afin de déjouer les manœuvres déloyales des livreurs Molson ou Labatt qui auront pris le contrôle des frigos et auront poussé ma bière à moi très loin dans le fond. Peut-on parler d’un omnipuissant cartel Molson-Labatt qui fait la guerre aux micro-brasseries?   Parlant épicerie, ai-je, là aussi, tout le choix dont j’aimerais me prévaloir? Est-ce que je consomme en toute liberté en alternant entre IGA, Sobeys, Metro, Super C, Maxi, Tradition, Loblaw, Provigo ou Axep? Que Nenni! En réalité, je n’ai de choix qu’entre trois groupes, deux Canadiens anglais, Loblaw (Maxi, Provigo, Axep) et Sobeys (IGA, Marché Tradition), et un québécois, Métro (Super C, Richelieu). Bref, j’ai le choix entre laisser 100 % de mes sous au Québec ou en envoyer une partie, bien qu’infime, en Ontario (Loblaw) ou en Nouvelle-Écosse (Sobeys).   –          Oui, mais les petits pois sont 0,14 $ moins cher chez Maxi que chez Métro! –          C’est pas grave, ton 0,14 $ tu le laisses au Québec! –          Hum! –          Tu n’as pas le choix!

Le « monopolitique »

Et que dire des politiciens? Jean Charest est libéral à Québec et conservateur à Ottawa. Même chose pour Lawrence Canon. Ici, ce sont deux conjoints s’aimant d’amour tendre dont l’une est ministre libérale, l’autre est député adéquiste. Là, c’est une ancienne ministre libérale qui s’amuse comme larrons en foire avec un ancien ministre péquiste et une ancienne députée adéquiste.

D’où le fait que l’on parle d’une « classe politique ». Tous pratiquent la langue de bois, tous comprennent votre problème, mais vous disent de regarder la situation d’ensemble, tous sont solidaires, conscients d’exercer une profession périlleuse et très éprouvante. Évidemment, il y a la bande à Harper, dont quelques désopilants créationnistes, qui contraste un peu avec tous les autres. Mais disons que c’est l’exception qui confirme la règle. En fait, quoi que disent ces gens, qu’ils soient rouges, bleu foncé, bleu pâle, orange ou verts, votre choix se résume souvent à voter nationaliste ou fédéraliste. Quel choix!   Avant d’approuver ou de désapprouver un geste comme celui de la Commission européenne, il faut réfléchir sur le fait que la quantité de fabricants d’ordinateurs, de voitures, de bière, etc. en mesure de satisfaire, sur une base quotidienne, aux demandes des consommateurs, n’est plus ce qu’elle était. Leur nombre est de plus en plus restreint (vous avez suivi l’actualité automobile, récemment?), idem pour leurs partenaires « juste à temps ».

Les cinq fabricants d’ordis capables d’alimenter les grandes surfaces (HP, Dell, Lenovo, Acer et Apple) ont plus ou moins deux fournisseurs de systèmes d’exploitation grand public (Apple et Microsoft), deux fournisseurs de processeurs (Intel et AMD), deux ou trois fournisseurs de cartes graphiques (nVidia, ASUS, ATI) et ainsi de suite avec les jeux de circuits, les graveurs de DVD ou les barrettes de mémoire. C’est là une réalité imposée par un marché difficile où les consommateurs exercent une pression énorme sur la baisse des prix.   L’œuf ou la poule? Qui a commencé à faire disparaître les petits concurrents? Le consommateur influencé par l’industrie ou l’inverse? La techno n’est qu’un bel exemple visant à démontrer que finalement, nos choix de consommation sont probablement moins nombreux que l’on pense.   Ce qui me fait me rappeler que ma voiture est prête chez Canadian Tire; j’ai fait poser mes pneus d’été; quatre pneus flambant neufs!   –          Quelle sorte de pneus, Nelson? –          Sais pas, c’était le spécial avec une bonne garantie! –          Tu ne connais pas la marque? –          J’ai pas pensé leur demander.

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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