Un environnement propice à la créativité et l’innovation

Est-ce que votre entreprise met en place des conditions qui favorisent l’innovation, la créativité et le leadership – éléments perçus comme stratégiques dans un contexte de plus en plus compétitif? Quelle est la nature de ces conditions? Est-ce que les TIC – technologies de l’information et communication – ont un rôle à jouer dans ce processus?

Nous sommes chez Semco, à São Paulo, un holding brésilien qui regroupe une dizaine d’entreprises oeuvrant dans des secteurs de services, tels la gestion environnementale, la gestion intégrée des services d’immeubles, le stockage et la sécurité de données d’entreprise, etc.; et manufacturiers, tels des fournisseurs d’équipement de réfrigération, d’équipement naval, d’équipement pour les services d’alimentation, etc.

Le chef de la direction de Semco, Ricardo Semler, est devenu célèbre grâce à la publication de son livre, À contre courant, dans les années 1980. Il y a décrit comment il a bâti une culture organisationnelle innovatrice, flexible et démocratique, dont l’essor se poursuit. Il a mis sur pied un système de gestion participative, dont voici quelques-uns des principes.

Tout d’abord, les horaires sont flexibles et chaque employé détermine ses journées et son horaire de travail selon les caractéristiques de ses fonctions et ses activités, et selon ses préférences. Dans ce système, il est reconnu que chacun travaille à une vitesse qui lui est propre et excelle à différentes fonctions dépendamment de l’heure de la journée. Personne n’est le propriétaire de son bureau. Chaque jour, les employés occupent un espace différent, choisi parmi les places disponibles dans les installations physiques : stations de travail partagées, cafétérias, jardins internes, salles de séjour, salles de réunion, etc.

Si d’une part l’on n’y retrouve plus le confort d’un « territoire bien défini », avec son téléphone, sa chaise et sa secrétaire, on a cependant la liberté de choisir et de partager chaque journée avec des gens qui œuvrent à différents postes avec des responsabilités distinctes. Il s’agit de « bureaux non territoriaux ». C’est la fin du contrôle physique, les employés travaillent selon leurs besoins, leur rythme et leur engagement. Cette façon de fonctionner encourage la responsabilisation et la délégation de pouvoir (empowerment). Après quelques semaines, chacun connaît mieux toutes les fonctions de l’entreprise : marketing, ventes, production, logistique, approvisionnement. C’est une philosophie d’intégration de l’entreprise où l’accent n’est pas mis sur l’intégration des processus, mais plutôt sur l’intégration des personnes.

Développement de compétences multiples

Un autre aspect remarquable de la gestion participative de Semco : l’entreprise encourage les employés à changer périodiquement d’activité, de fonction ou d’unité d’affaires. Cette rotation du personnel dans l’entreprise permet de faire accélérer le développement de compétences multiples et d’augmenter la synergie entre les différentes parties de l’entreprise. D’ailleurs, la gestion des compétences a une caractéristique particulière : il n’y existe pas de service des ressources humaines (en effet, Semco n’utilise pas le mot « ressources » humaines ni « employés », mais seulement « personnes »). Le sort des personnes relève de chaque unité d’affaires, et chacun a un mot à dire quant à ce qui peut affecter sa vie professionnelle et l’avenir de l’entreprise.

Prenons l’exemple du processus d’embauche. Pour tout nouveau poste ou poste vacant, Semco accordera la priorité d’embauche à une personne qui œuvre déjà pour l’entreprise. Les personnes qui y travaillent déjà sont considérées comme la « prata da casa », ce qui veut dire la richesse (argent) de la maison. S’il n’y a pas de candidats à l’interne, quand on recrute un nouvel employé à l’extérieur, tous ses futurs collègues ont l’occasion de participer aux entrevues et à l’évaluation des candidats potentiels. De plus, aux six mois, selon le principe qui dit qu’un vrai chef inspire le respect par ses actions, chaque employé est invité à évaluer ses supérieurs immédiats.

Toutes les décisions importantes sont prises collectivement, dans chaque unité d’affaires, c’est le principe de l’autogestion : la détermination des salaires et le partage des bénéfices (qui s’applique à tous), la discussion des résultats trimestriels ou semestriels, la définition et révision des objectifs de production et les moyens à prendre pour les respecter. Selon Ricardo Semler, la responsabilisation et l’entrepreneuriat ne fonctionnent pas sans la véritable participation de tous les employés aux résultats financiers. C’est l’essence même de l’autogestion (self-management), administration participative ou flexible.

Partage et transparence

Derrière cette flexibilité, nous retrouvons quelques principes-clés quant à la gestion de l’information et de la connaissance : le partage des informations et la transparence. La culture organisationnelle de Semco est marquée par un intense partage de toute idée, information et connaissance. La communication interne est ouverte et toute information doit être disponible à tous.

L’utilisation des outils collaboratifs basés sur le Web est une des clés quant à l’infrastructure. Selon le chef de la direction, personne ne peut s’attendre à ce qu’un esprit d’implication et de collaboration émerge sans qu’il y ait une abondance d’information disponible à tous les employés et à tout moment, indépendamment de leur fonction ou degré dans la hiérarchie.

Pour stimuler la participation et l’engagement, chacun doit se sentir à l’aise pour exprimer ses opinions et participer à la prise de décisions. Pour permettre le partage de renseignements et de connaissances en toute transparence et flexibilité, Semco se sert de l’intranet pour l’organisation du travail et la diffusion d’information. Chaque employé l’utilise pour se réserver un espace de travail, selon la philosophie des bureaux non territoriaux, pour déposer ses documents numériques, pour partager l’information nécessaire à l’avancement des projets et aux contacts avec les clients, fournisseurs et partenaires, pour partager leur agenda, etc.

Des technologies simples, mais efficaces

Les technologies mises en place chez Semco ne sont pas sophistiquées, mais elles sont totalement adaptées aux besoins de l’entreprise. Cependant, comme le souligne Semler, l’innovation organisationnelle de Semco n’est pas tributaire des TIC, mais d’une vision commune partagée par chaque employé. Les TIC sont là pour faciliter la mise en œuvre de cette vision. Le résultat le plus remarquable de toute cette philosophie de gestion, c’est l’innovation. Toutes les entreprises du groupe Semco sont reconnues pour leurs pratiques innovatrices, particulièrement en temps de crise (il ne faut pas oublier que l’instabilité économique et l’hyperinflation ont fait partie du contexte brésilien pendant des décennies).

Transformation radicale chez Oticon

Un deuxième exemple bien connu où le partage accru de l’information et des connaissances a permis l’émergence d’une organisation hautement innovatrice est celui de l’entreprise danoise Oticon (développement et vente d’aides auditives). Une transformation radicale s’y est opérée à partir de 1988 avec la nomination de Lars Kollind au poste de chef de la direction. Kollind a proposé une redéfinition drastique de la stratégie (penser l’impensable), l’aplatissement de la structure (une organisation spaghetti) et la numérisation et intégration quasi totale de l’information (une entreprise sans papiers).

Oticon fonctionne sur une base d’équipes de projets dynamiques et flexibles où les différents membres sont coresponsables pour la gestion des projets et les résultats (autogestion et responsabilisation). La formation continue, le partage des connaissances et le développement des compétences multiples de chaque employé (multitâches) sont à la base du fonctionnement des équipes, qui se forment, se transforment et disparaissent selon les initiatives des employés et les besoins de l’entreprise.

Tous les documents sont numérisés (400 à 500 documents par jour) et toute information et idée est entreposée numériquement afin d’être facilement accessible par chaque membre de l’entreprise. Comme dans l’exemple de Semco, les TIC servent de facilitateurs, surtout relativement à la tâche difficile et complexe de gérer le cycle de vie des documents informatisés et la quantité grandissante de données qui s’accumulent dans les bases. La mise en place d’une infrastructure informatique collaborative a requis des partenariats avec des firmes spécialisées.

Grâce à la transformation radicale d’Oticon, une plus grande place est donnée à l’innovation. Il y a également une réduction considérable du temps de mise en marché de nouveaux produits ainsi que du temps de réaction aux demandes des clients. Comme dans l’exemple de Semco, la réussite de ce changement radical a été appuyée par un leadership exceptionnel qui a su orienter l’engagement des employés vers la concrétisation d’une vision selon laquelle on « pense l’impensable ». Les TIC y ont joué un rôle de levier indispensable.

Une compétence à développer

Même s’il n’existe pas de recette miracle pour favoriser l’innovation, plusieurs auteurs s’accordent à dire que la capacité d’innover n’est pas simplement un talent naturel, mais une compétence que chacun peut développer et apprendre. Selon Edward de Bono (psychologue maltais et auteur de plusieurs ouvrages qui traitent des processus créatifs), le fait d’utiliser la créativité et la capacité d’innover est le moyen le moins cher d’optimiser les ressources organisationnelles.

Mais pour que chacun puisse être créatif et entreprenant, il doit être dans un environnement où l’innovation est soutenue. Selon Gareth Morgan, auteur du classique Les images de l’organisation, on ne peut pas créer de l’innovation en mettant en place un « programme » d’innovation spécifique ou qui implique un nombre limité d’intervenants. On doit plutôt encourager l’innovation dans les pratiques journalières de chaque employé. D’autres abordent la question sous l’angle de la liberté.

Ricardo Semler et Lars Kollind ont bâti des environnements fondés sur la liberté et le partage, ce qui a permis l’émergence d’un sens d’appartenance et de confiance. Un vrai chef met en place les conditions qui favorisent le développement du leadership de chaque employé afin de créer un environnement où chacun peut gagner le respect de ses collègues. Un réseau de personnes qui se respectent mutuellement (confiance) et qui partagent leurs idées sans crainte (transparence) serait à la base d’un environnement créatif et innovateur.

Les TIC sont fondamentales quand il s’agit de bâtir une infrastructure informationnelle et collaborative. Avec l’utilisation importante d’outils collaboratifs (p. ex., SharePoint, NetMeeting), de portails (p. ex., uPortal), de gestion de contenu (p.ex., Vignette), de technologies de formation à distance (p. ex., Prométhée), et plus récemment, avec l’émergence du Web 2.0, on peut espérer que l’univers collaboratif créé par les nouvelles TIC permettra l’innovation à une échelle jusqu’alors inconnue.

Né il y a trois ans, le Web 2.0 est encore peu connu d’une majorité d’entreprises. Il s’agit d’un nouvel environnement virtuel qui favorise le partage et la collaboration accrus et sans frontières. Les blogues, les Wikis (p. ex., Wikipedia), les services de réseautage social (p. ex., Myspace), les services de partage d’images (p. ex., YouTube), les mondes virtuels (p. ex., Second Life) et les communautés de pratiques (p. ex., Zope) sont des exemp les d’application de la technologie 2.0.

Quelques entreprises comme HP, Pepsi, American Express et Procter & Gamble ont déjà compris en quoi ces nouvelles technologies peuvent les aider à innover dans leurs interactions avec les clients et avec la société (on utilise l’expression Web2B – Web to business – pour traiter du concept de marketing de services appliqués à l’Internet). En plus de faire éclater les frontières de l’entreprise, les services Web 2.0 peuvent remplacer progressivement les applications traditionnelles de bureau, transformant ainsi les relations entre employés.

Marlei Pozzebon est professeure agrégée au Service de l’enseignement des TI à HEC Montréal et directrice du Groupe de recherche en systèmes d’information (GReSI).

Perspectives
Voici des articles qui rassemblent des éléments de réflexion concernant les liens entre l’innovation et les technologies de l’information dans le contexte du développement de la capacité des organisations à mieux affronter la concurrence mondiale.
Les établissements innovateurs dans les industries de services de TIC
Les progrès dans les domaines de la science, de la recherche médicale et de la technologie de l’information et des communications (TIC) provoquent des transformations dans la société et l’économie. Les pleines répercussions de ces transformations commencent à peine à se manifester.
Statistique Canada

L’art de la mise en marché et de l’innovation
Jamais lancement de produit n’aura tant fait parler de lui. En lançant son nouvel iPhone, Apple a réussi un coup de maître de mise en marché tout autant que d’innovation.
Patrice-Guy Martin

Innover pour contrer la concurrence asiatique
Plus que jamais, en cette ère de concurrence internationale féroce, l’avenir de l’industrie manufacturière québécoise est intimement lié à sa capacité d’innovation.
Alain Beaulieu

Il est grandement temps d’innover
Les nouvelles sont mauvaises pour le secteur manufacturier québécois. On nous annonce des fermetures d’usines et des déplacements d’emplois vers d’autres pays. On accuse la faible productivité québécoise. Ou encore la trop grande force du dollar. Il n’y a pas mille solutions. Il faut innover.
Patrice-Guy Martin

Vers une industrie plus innovante
La capacité d’innovation de l’industrie québécoise afficherait un certain recul, selon des experts. L’industrie, dont la compétitivité est menacée, exploiterait mal ses atouts.
Alain Beaulieu

Les meilleurs instruments ne font pas les meilleurs musiciens
Après des années de déploiement de systèmes informatiques, d’évolution et d’innovation technologique, on se demande ce qui peut encore faire la différence d’une organisation à l’autre. Si nous utilisons tous les mêmes technologies, les mêmes systèmes, comment peut-on se distinguer de nos concurrents?
Patrice-Guy Martin

Ressources
Nous avons rassemblé pour vous quelques sites de référence et des articles publiés un peu partout sur le Web qui des liens entre l’innovation et les technologies de l’information, ainsi que des défis que cela peut poser aux organisations.
Il convient bien sûr de commencer en décortiquant la notion même d’innovation et ses multiples facettes en consultant cette définition sur l’encyclopédie Wikipedia.

Trois fois par année, Statistique Canada publie le Bulletin de l’analyse en innovation qui résume et souligne les nouveaux résultats de l’analyse des sciences, de la technologie et de la société de l’information. Les articles couvrent les données récentes dans les activités des sciences et de la technologie, les technologies de pointe, l’innovation dans l’industrie et les médias électroniques. Cliquez sur le lien suivant pour en consulter l’index chronologique.

Le défit de l’innovation en TI est certes un défi important pour les organisations. Selon un sondage de la firme de consultants en gestion McKinsey, les gestionnaires en TI sont conscients qu’ils peuvent contribuer aux stratégies d’affaires grâce à l’innovation mais qu’ils doivent développer leur capacité à tirer profit des innovations. Plus de détails dans cet article.

Les fournisseurs de services en TI adoptent de plus en plus un discours qui prône leur capacité d’innover. Mais selon la firme de recherche britannique Ovum, les entreprises clientes et les fournisseurs n’ont pas nécessairement la même vision de ce qu’est l’innovation dans le contexte des services en TI. Ce qui peut mener à des déceptions frustrantes.

Il y a un lien entre innovation, technologies de l’information et croissance de la productivité et de l’emploi, rapporte dans cet article le magazine Le Monde informatique. S’appuyant sur diverses études publiées par le ministère français de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, on établit un lien entre équipement et utilisation intensive des ressources de l’informatique et productivité de l’entreprise.

Pour rester en Europe, notons que l’Union européenne consacrera 12,7 milliards d’euros aux entreprises innovantes des TIC d’ici à 2013, par le biais de divers programmes visant à soutenir la R&D et la mise en oeuvre des innovations. Plus de détails dans cet article du magazine Le Monde informatique.

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