Trop d’information tue l’information

Internet a décuplé le nombre de sources d’informations qui s’offrent à nous. Intéressantes, globalisantes, pertinentes, etc. Souvent inutiles et redondantes. Est-ce que trop, c’est comme pas assez?

Pour bien introduire mon sujet d’aujourd’hui, voici un témoignage que j’ai cueilli sur Internet, en fait sur un des zillions et demi de sites, de blogues et autres pages Web qui s’acharnent à vouloir nous informer : « J’ai compté, écrit Hervie, l’auteur de ces lignes, et j’ai 84 abonnements dans mon flux Google Reader. Et depuis quelque temps, je me rends compte que je n’y lis plus rien. Je survole, c’est tout. Tellement découragé par ces billets et articles en retard, je ne prends plus le temps de m’informer. Et puis, c’est horrible cette pression : ‘234 éléments à lire’. Alors oui, j’avoue, je clique parfois lâchement sur ‘tout marquer comme lu’. Conclusion : trop d’info tue l’info. Et re-conclusion, je ne suis même plus l’actualité qui m’intéresse normalement. »

J’ignore si c’est votre cas. Personnellement, ce n’est plus le mien. Je me suis débarrassé de cette servitude et je suis revenu à l’époque des signets. Fini le flux RSS (« Really Simple Syndication » ou « Rich Site Summary »). Tous les jours ouvrables, je survole les quelques sites technos (ils se comptent sur les doigts d’une seule main) que j’ai appris à connaître et à respecter. C’est tout. Je ne vais pas plus loin. Sauf exception. Par exemple, je cliquerai sur un lien m’amenant sur un site ou un blogue qui auront publié, que sais-je, telle analyse sur Windows 7 ou telle prise d’écran sur le SP2 de Vista. Il y a des limites intellectuelles (du moins dans mon humble cas) à l’absorption d’une même info en défroques variées ou d’infos uniques, semblables ou analogues relevant d’une même thématique.

Les élections en stéréo

Prenez juste mardi soir dernier. J’ai regardé la soirée des élections devant deux ordinateurs, un PC et un Mac. Sur le premier, j’ai syntonisé RDI via le site Web de la SRC; j’avais donc Bernard qui me livrait tous les résultats en mode plein écran. Sur le Mac, j’avais le site électoral de la SRC où je m’étais préparé quelques comtés « préférés », question de voir les bagarres évoluer au cours de la soirée. Mais c’était déjà trop d’information. Si je suis allé sur le site Web au début, j’ai rapidement cessé de le faire. À lui seul, le spectacle de RDI offrait déjà suffisamment d’info : les comtés, les chiffres, les pourcentages, les tendances, les victoires, les défaites, les analyses, les entrevues et ainsi de suite.

Or, paradoxalement, mon métier est d’informer. Ne devrais-je pas être à la fine pointe, être en situation d’en savoir plus que le commun des mortels, bref, passer des heures et des heures à tout lire, tout fouiner, tout soupeser, pour être en mesure de mieux informer? Jusqu’à un certain point, oui. Mais quel bien ça me ferait de lire 42 papiers sur la décision qu’a prise Microsoft de baptiser son prochain système d’exploitation « Windows 7 »? Et je vous fais grâce ici du « fact checking », la vérification des sources, qui peut prendre horriblement de temps.

En ce sens, tout aussi utile et incontournable puisse-t-il être, Internet n’est pas une panacée. Le journaliste que je suis va continuer à privilégier la vraie vie, celle des contacts humains et des essais de produits. Cela dans un contexte de vie où les journées n’ont que 24 heures et où la dimension « professionnelle » occupe déjà beaucoup trop d’espace.

En n’utilisant plus la techno RSS, il est probable que je sois devenu marginal. En fait, la plupart de mes collègues continuent de s’y adonner même s’ils semblent souvent éprouver le même problème qu’Hervie. Et pire encore. Pas plus tard qu’hier, il y en a un qui m’a dit préférer le portail agrégateur télévisuel Livestation aux services concurrents parce que cela lui permettait de regarder des réseaux comme BBC, Al-Jazeera, France 24, RDI, CBC Worldnews et LCN. Pour cela, il avait « VDO Haute vitesse extrême » branché à un routeur sans fil bricolé avec DD-WRT. Et pour connaître le gars, je sais que son Google Reader a une fenêtre de résultats aussi longue que la 132 entre Châteauguay et Gaspé. À titre informatif, ce gars a, en plus, un emploi et une famille. Et il reçoit du courriel!

N’en jetez plus, la cour est pleine

J’ignore à quoi peut ressembler votre boîte de courriel, mais la mienne est surréaliste. J’avoue honnêtement y avoir perdu le contrôle. Il y a le pourriel, celui que n’a pas bloqué le pourtant réputé « impitoyable » filtre qu’utilise mon FAI et que n’a pas bloqué celui, plutôt sévère, d’Outlook 2007. Régulièrement, je crée de nouvelles règles : je ne veux plus de cc, plus de texte en provenance de tel pays, plus de ceci ou de cela.

Mais il y a également l’info non sollicitée. De par mon métier, je reçois des dizaines de communiqués de presse par semaine, des présentations, des analyses, des échafaudages marketing, etc. Comme je n’ai ni le temps, ni le goût de tout lire, je m’arrête dans 99 % des cas aux titres et, au bout d’un certain temps, je détruis. Dans certains cas, je crée une règle antipourriel contre l’envahissant auteur. Mais ça ne change rien au problème : ma boîte de réception demeure un foutoir, un endroit de moins en moins agréable à fréquenter. J’ai même commencé à sauter une journée. De toute façon, me dis-je, si c’est important, les gens savent comment me joindre par téléphone.

J’ai un ami qui profite de son temps de voyagement en train de banlieue pour nettoyer, matin et soir, sa boîte de courriel et celle de ses flux RSS. Il me dit y arriver. Il me dit même aimer cette routine, le trajet lui paraissant moins long. Mais ne pourrait-il pas en profiter pour rêver, lire ou roupiller? C’est comme s’il fallait constamment occuper son cerveau à quelque chose de soi-disant productif.

Surinformé

Le pire, c’est qu’il est devenu tellement normal de vivre en mode « surinformation » qu’on ne remet plus en question le fléau en soi, mais la difficulté d’y naviguer. Prenez Alltop, un des plus beaux portails d’information au monde, un des bébés de la vedette californienne Guy Kawasaki. La devise est « Aggregation without Aggravation » (agrégation sans irritant). Autrement dit, on a trouvé la façon de vous river aux chevilles de magnifiques cyberboulets sans que vous ne souffriez. Pour bien me comprendre, allez sur Alltop et, dès la page d’accueil, cliquez sur « Tech » ou ici directement. Vous verrez!

Vive l’agrégat

Mais il y en a bien d’autres, des portails-outils-agrégateurs généralement moins complets que celui-ci, mais tout aussi nocifs pour ma pauvre petite tête. Voici quelques exemples bien connus de sites qui rassemblent de l’information pour vous ou qui vous permettront de rassembler tout ce qui vous intéresse, et même plus.

En français : Actuello, Yahoo News, Google News, Netvibes, FlyD, Publie ça, Nuouz, Fuzz, Scoopeo et Wikio.

En anglais : Inform, Memeorandum, Clusty, Technorati, Freebyte, Amphetadesk, 24Eyes, NewsIsFree, Bloglines ou NewsGator.

À ce qu’il semble, à moins d’être accroc, personne ne lit toutes les nouvelles ou opinions qui font enfler, sans arrêt, les contenants de flux RSS. Si la masse de nouvelles, voire de courriels, est tolérée, c’est qu’elle nous confère une certaine importance : « Je suis envahi, donc je suis sollicité, donc je suis important! » Sans compter qu’elle rassure. Elle permet, si besoin est, de retrouver rapidement une information. Bien beau, mais cette possibilité existe déjà et se nomme « moteur de recherche »; il y en a même de très intéressants.

La question est donc de savoir à quoi ça sert de s’abonner à 25 sources de nouvelles et d’opinion, ou d’avoir des signets sur 50 excellents sites, si on ne trouve pas le temps d’en tirer profit. Si l’information est le pouvoir, trop en consommer laisse justement peu de temps pour l’exercice du pouvoir. Auquel cas, la masse d’information devient inutile. D’où l’aphorisme « trop d’information tue l’information », un mot attribué au journaliste et homme politique français Noël Mamère.

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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