Sortie côté cour d’Apotheker, entrée côté jardin de Whitman

Quand les cauchemars sont moins épeurants que la réalité, c’est qu’on ne rêve plus. On est probablement un actionnaire de Hewlett-Packard en train d’observer avec effroi l’autodestruction de l’entreprise symbolisée par le départ de sept P.D.G. depuis 1999. Songes de nuits d’automne, sous fonds de musique apocalyptique.

Outre cette fin de septembre insensée où brille un franc soleil d’été, il se passe des choses bien étranges.

Dans les TI, par exemple, le service « Google Safe Browsing » vient publiquement de clouer « Google.com » au banc d’infamie en raison de code malveillant qui se serait caché dans ses pages Web. Microsoft, la Mecque du PC, vient de rendre virtuellement difficile l’installation d’un deuxième système en amorce dans les machines Windows 8. Amazon, un marchand de biens culturels, vient de présenter une tablette Android, la Kindle Fire, avec laquelle elle entend faire la lutte à Apple, une fabricante de produits techno.

Et la liste de ces événements surréalistes est longue. Regardez simplement Hewlett-Packard où on vient de démontrer que les poules ont des dents. Ça explique pourquoi, la nuit, j’en rêve et pourquoi, le matin, je me réveille encore agité. Tenez, pas plus tard que la semaine dernière, cette propension onirique m’a présenté une fourmilière humaine en train de se débattre dans un va-et-vient frénétique pour tenter de rester en surface.

En retrait de toute cette folle misère, comme si elles observaient l’impressionnant grouilli, trois limousines, celles de Carly Fiorina, Mark Hurd et Leo Apotheker, étaient immobiles. Pas trop loin, sur un petit monticule, la nouvelle P.D.G. Meg Whitman les fixait intensément en psalmodiant « Ainsi font, font, font, les petites marionnettes, ainsi font, font, font, trois p’tits tours et puis s’en vont! »

Au travers, surfant sur ces dizaines de milliers de têtes agités, le patio des membres du CA bourlinguait dans une cohue sans nom où ses occupants, des millionnaires furibonds qu’on aurait dit atteints du syndrome de La Tourette, brandissaient les derniers résultats trimestriels. Imaginez le cauchemar.

Le lendemain, je voyais la géante aux pieds d’argile s’affairer dans un processus d’autoguérison. Elle s’était débarrassée de tout ce qui était devenu risqué à fabriquer, à mettre en marché et à revendre, c’est-à-dire ses PC, ses imprimantes et ses autres bricoles intelligentes. Soit qu’elle en avait fait des entités indépendantes, des spin-off, un peu comme elle avait procédé en 1999 avec Agilent, sa division « instruments » (selon la méthode IBM appliquée dans le cas de Lexmark), soit qu’elle les avait vendues aux Asiatiques, sûrement des proches cousins de Lenovo où se fabriquent de nos jours les ThinkPad. Le deuxième scénario semblait le plus réaliste compte tenu de la culture eBay de la P.D.G. Whitman.

La nouvelle patronne avait, en parallèle, mis l’emphase sur les solutions logicielles destinées à sa clientèle d’affaires et sur la fourniture de services Web, d’hébergement et de stockage. Tout cela comme IBM l’avait brillamment réussi à une époque où la vision était encore exigée chez les hauts dirigeants d’entreprises planétaires. Pour Meg Whitman, c’était comme transformer eBay en fabricant de saucisses avec, en main, le dernier titre de la collection Pour les Nuls, « Gestion de multinationales ».

N’était-ce pas là le plan de Leo Apotheker? Presque! L’homme de SAP, une géante mondiale du logiciel et du service, avait pensé pouvoir faire de HP une nouvelle IBM/SAP. Mais avant, et c’est là son malheur, le pauvre avait cru pouvoir en faire une sorte de Apple. Vous vous rappelez le TouchPad, une tablette morte née dont le patronyme ne cesse, allez savoir pourquoi, de me rappeler IBM?

Le surlendemain de ce rêve, ma divagation subconsciente était devenue toute autre. La mère Whitman s’en était allée consulter la reine déchue, Carly Fiorina. Ça se tenait! Toutes deux étaient des politiciennes républicaines issues des organisations de Mitt Romney, de John McCain et, jusqu’à un certain point, de Sarah Palin, toutes deux avaient mordu la poussière en Californie sous la bannière républicaine, l’une au poste de gouverneur, l’autre à celui de sénateur fédéral.

Un plan digne du Tea Party avait alors été ourdi. HP rachèterait Agilent pour redevenir fabricante d’instruments de mesure, de calcul, de recherche scientifique, des produits increvables, fiables et uniques. C’est cela qui lui avait valu sa renommée des jours meilleurs. Et, tant qu’à y être, elle recommencerait à fabriquer des imprimantes aussi robustes que ses LaserJet et relancerait possiblement des familles d’ordinateurs de grande qualité.

Comme les marges bénéficiaires seraient de loin inférieures à celles provenant du service et des solutions logicielles où on parle parfois de 60 %, les deux hétaires (ne pas confondre avec « hétaïres ») du GOP s’étaient entendues pour faire orchestrer une campagne nationale de retour aux valeurs saines du bon vieux temps, celles qui avaient rendu possible le rêve américain, une sorte de retour aux sources antiétrangères, c’est-à-dire antiasiatique.

Bref, le plan consistait à faire de HP une sorte de grosse Dell ou Apple, avec plein de produits à faible marge tous souhaités et adorés par des masses sans fin de fervents consommateurs, soient-ils chez eux dans la chaleur du foyer All-American ou dans celle des labos de recherche scientifique.

Inutile de vous préciser que j’ai arrêté de dormir pour ne plus avoir à me taper de tels cauchemars.

Pour s’en tenir à la réalité, HP n’est pas encore à l’article de la mort; elle pourra vraisemblablement se payer le congédiement de Meg Whitman avant que ce ne soit le cas. Il lui suffira de continuer avec un CA qui tire dans toutes les directions, qui ne se préoccupe que des marges à court terme et qui a renoncé à se trouver un Steve Jobs à qui confier les commandes, à qui confier la réunification des différentes cultures de la boîte. Pour l’instant, disons que la multinationale californienne se retrouve diminuée, handicapée. Elle a mal à l’âme, elle n’a plus de boussole et elle a perdu tout appétit.

On dit que la raison d’être d’une entreprise est de trouver le meilleur moyen pour faire des profits dans le contexte de ses connaissances et de ses ressources. Sachant que HP ne peut continuer ainsi, comment devrait-elle s’aligner? N’y a-t-il que les deux scénarios que j’ai présentés ci-haut avec l’humour de mes cauchemars, où en existe-t-il d’autres? Je pose la question, voyez-vous, par respect pour le très grand nom qu’a été HP.

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Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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