RIM: Quand l’argent n’a pas d’odeur

Dans la foulée des péripéties récentes de Research in Motion en Arabie Saoudite, on est en droit de se poser des questions sur l’importance du compromis à consentir quand on veut continuer à entretenir des relations commerciales avec une dictature qui n’entend pas à rire.

Toute la semaine, on a parlé du bras de fer et de l’éventuel effet domino entre l’Arabie Saoudite et RIM  (Research in Motion), la fabricante ontarienne du BlackBerry. Aux dernières nouvelles ( Reuters), l’entreprise que dirige Mike Lazaridis  aurait cédé aux exigences des autorités saoudiennes et trois serveurs « destinés à faire transiter les communications et les données par l’Arabie saoudite avant qu’elles n’arrivent au Canada » seront installés sur place. La mesure vise les quelque 700 000 utilisateurs locaux de BlackBerry, ce qui fait du royaume sunnite, un état classé par The Economist (Democracy Index) au 7e rang des pires dictatures au monde, le principal marché de la région.

Bras de fer ? « Vous me laissez épier et censurer les messages que permet votre techno et je vous tolère chez moi. Vous refusez? Je vous bloque et vous rends commercialement inutile. » Et comme pour prouver que la menace n’était pas vaine, le service BlackBerry a été gelé pendant quatre heures vendredi dernier sur décision de la Commission de la technologie des communications et de l’information (CITC), le régulateur saoudien des télécoms.

Effet domino? D’autres pays, dont quelques sombres dictatures, en veulent autant. En cédant aux exigences de Riyad, RIM se trouve à plier l’échine un peu partout. Selon Reuters, « l’Arabie saoudite craint, à l’instar de l’Inde, du Liban, des Émirats arabes unis ou du Koweït, que les données cryptées transitant sur les serveurs de téléphones mobiles et smartphones BlackBerry puissent porter atteinte à ses intérêts nationaux. » Plus précisément, si on en croit le quotidien Le Monde, « l’Arabie saoudite estime que le système de chiffrement des téléphones, conçus pour les hommes d’affaires, est contraire à sa législation, parce qu’il empêche la surveillance des courriels et messages instantanés. »

De par sa techno de chiffrement, un des points forts en sa faveur, le BlackBerry déjoue toute forme de censure, incluant celle qui vise les 400 000 sites Internet (porno, pro-occidentaux, etc.) soi-disant bloqués par l’État religieux. Pour l’Arabie saoudite, c’est là un contournement intolérable à ses lois. « Classé sur la liste des pays ennemis d’Internet de l’organisation Reporters sans frontières, l’Arabie saoudite censure largement le Web, écrit Le Monde. Les téléphones BlackBerry y sont devenus populaires parce que leur messagerie chiffrée permet notamment aux Saoudiens de parler à des membres du sexe opposé – un délit passible de coups de fouet et de peines de prison dans le royaume, qui fait une application rigoriste de la loi religieuse. »

Petite parenthèse. Je vous incite grandement à suivre les activités de Greg Mortenson, un Américain pas comme les autres qui, depuis une quinzaine d’années, construit des écoles dans les zones dites tribales du Pakistan et de l’Afghanistan, cela avec de l’argent qu’il gratte ici et là. Avec la bénédiction des autorités religieuses, celles qui appliquent la Charia (il a notamment fait annuler deux fatwas le concernant), il privilégie l’éducation des filles, faut le faire, et refuse toute forme d’ingérence idéologique, aussi bien américaine qu’islamiste. Son travail est tel qu’on lui a remis, à ce jour, une vingtaine de doctorats honorifiques aussi bien aux États-Unis qu’au Canada. Plus personne, ce qui inclut le général Petraeus (commandant des troupes américaines en Afghanistan), ne met sa crédibilité en doute.

Un de ses messages vaut qu’on le reprenne ici. Les preuves étant faites, l’instruction a de nombreuses conséquences, dont le recul de l’ignorance, l’ouverture des esprits, la réduction de la violence, le progrès économique et l’amélioration du tissu social. Pour Mortenson, permettre à une petite fille d’apprendre à lire, à écrire et à compter, c’est ouvrir toutes grandes les portes du possible et de la qualité de vie. En ce sens, l’instruction est plus efficace que les bombes pour nuire aux forces obscurantistes qui sévissent dans ces zones on ne peut plus montagneuses.

Les talibans l’ont compris eux aussi. D’où les madras qui poussent un peu partout, un foisonnement d’écoles coraniques où seule la vision intégriste, moyenâgeuse et violente de l’Islam, encore faut-il appeler cela une vision, est enseignée à des gamins illettrés au mépris de toutes autres disciplines scolaires. Or ce réseau dont le développement est infiniment plus rapide que celui qui anime Greg Mortenson, est financé, à coups de milliards en pétrodollars, par l’Arabie Saoudite. Dans les faits, soutient-il dans ses conférences, Riyad se trouve à nourrir les pépinières à talibans, ce qui nuit considérablement à son œuvre humanitaire, pour ne mentionner que cet aspect du méga merdier (ce qui me permet de passer sous silence d’autres horreurs dont les 150 quelques soldats canadiens qui y ont laissé leur vie).

Pour revenir à la Canadienne RIM, disons qu’elle vient de faire les compromis qu’il fallait, sans nécessairement avoir eu à « serrer la main du diable »,  pour se maintenir en giron commercial saoudien. À moins de modifications de dernière minute, il continuera à se vendre des BlackBerry au royaume sunnite et les actionnaires de RIM seront contents.

Je n’accuse cette manufacturière ni complicité ni de collaboration avec la théocratie saoudienne dans la perpétuation d’une forme d’obscurantisme incompatible avec toute notion de droits humains. Je dis simplement qu’elle fait celle qui, résultats financiers obligent, ne voit pas, n’entends pas et ne sent pas. Ce n’est ni la première fois, ni la dernière, qu’un tel manque de principes moraux vient caractériser nos fleurons industriels.

Dois-je rappeler qu’à la fin des années 30, la section d’IBM qui était la plus profitable était sa division allemande, celle dont les machines mécanographiques servirent au décompte de la population juive dans les ghettos et les camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale ? Dans un registre infiniment moins grave, dois-je rappeler l’affaire Shi Tao, où un dissident a été condamné à dix ans de prison en 2005 à la suite d’une collaboration entre les autorités chinoises et Yahoo? Et ainsi de suite, ad nauseam.

« L’argent n’a pas d’odeur » (Non olet), avait répondu l’empereur Vespasien à son fils Titus quand ce dernier lui avait reproché de taxer les toilettes publiques de Rome. Dans la foulée de cette logique, les états engrangent de nos jours d’importants revenus avec le jeu, le tabac et l’alcool. Et les compagnies d’informatique, pour ne nommer que celles-là (vous avez entendu parler de ces multinationales minières – incluant des canadiennes – au Sierra Leone?), en font autant en entretenant des clientèles déplorables.

La morale de mon histoire? C’est que, justement, il n’y en a pas.

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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