Quand l’informatique met le feu aux poudres…

Le Système canadien d’information relativement aux armes à feu coûtera très cher aux contribuables canadiens. Les coûts, évalués en 1995 à quelques millions de dollars, pourraient être mille fois plus élevés lorsque la deuxième mouture du système informatique sera enfin opérationnelle. Mais est-ce que ce genre de dérapage est seulement l’apanage des projets des organisations publiques ?

À la lumière des informations publiées dans la section consacrée au Programme de contrôle des armes à feu du rapport du Vérificateur général du Canada, qui a été publié cette semaine, et d’un reportage de l’émission « Zone libre » diffusé à la Société Radio-Canada en 2004, la création d’un système informatique pour l’enregistrement des armes détenues par les citoyens canadiens a constitué et constitue encore un exercice à la fois long, chaotique et coûteux.

D’un projet de conception et de déploiement d’un système informatique qui devait être opérationnel après quelques années, la situation a tourné au vinaigre, voire à la comédie au fur et à mesure de l’apparition des contraintes : retard dans l’approbation du projet et des budgets, système informatique engorgé, taux élevé d’erreurs et d’omissions, changements apportés aux formulaires, amendements aux contrats avec les fournisseurs, multiples changements informatiques, absence de fonctionnalités, et surtout, une augmentation faramineuse des coûts.

En 2002, face à l’échec de la livraison du premier système informatique, on retient les services d’autres fournisseurs qui doivent concevoir un autre système. Malheureusement, les dépassements de coûts se poursuivent. Dans son rapport, la vérificatrice générale déclare :

Les coûts du système d’information principal, SCIRAF I, y compris les coûts de fonctionnement, s’élevaient à 190 millions de dollars, soit nettement plus que le montant prévu à l’origine. Le système est maintenant opérationnel, mais comme sa viabilité et sa maintenabilité suscitaient des préoccupations, on a entamé un deuxième projet pour le remplacer. Le coût du SCIRAF II, estimé initialement à 32 millions de dollars, s’élèvera sans doute à 87 millions de dollars au moins.

Ce deuxième système informatique, selon les estimations, devrait entrer en vigueur bientôt, soit plus de dix ans après l’annonce du projet initial par le gouvernement fédéral. Et cette semaine, le système est venu à quelques cheveux de devenir obsolète, puisque le gouvernement récemment élu aurait pu abolir l’enregistrement obligatoire des armes à feu.

Cette situation a suscité beaucoup d’indignation auprès des élus et du public. « C’est inacceptable ! », ont dit les uns. « On gaspille l’argent des contribuables ! », ont dit les autres. Bref, l’implantation d’un système informatique aux fins d’une organisation publique n’aura pas permis d’atteindre les objectifs escomptés, du moins pas en fonction des notions initiales de temps et de budget.

…mais qu’en est-il dans le privé ?

Plusieurs entreprises, qu’elles soient privées ou cotées en bourse, entament des projets informatiques jugés nécessaires et essentiels qui sont parfois très modestes, parfois très ambitieux. Mais les deux cas, des dérapages similaires à celui du système d’information pour le programme des armes à feu peuvent survenir contre toute attente : révision des fonctionnalités en cours de route, pépins de compatibilité ou d’interopérabilité, développements imprévus, révision des contrats avec les exécutants, accumulation des retards, et surtout, une hausse des coûts qui peut être modérée ou ahurissante, selon la gravité de la situation.

Un jour, enfin, l’application sera fonctionnelle et des bénéfices pourront en être soutirés… Mais est-ce que l’application sera encore pertinente ? Et si la donne avait tellement changé que les besoins étaient maintenant tout autres ?

Qui en paie alors le prix ? À l’interne, certains départements verront leurs budgets être réduits et leurs projets être mis en veilleuse. À l’externe, il est possible que les coûts des produits et services soient augmentés pour absorber les hausses des coûts du projet. Pis encore, les coûts additionnels reliés à un projet informatique peuvent être camouflés dans d’autres dépenses, afin de ne pas inquiéter les clients, ou pire encore, les actionnaires de l’entreprise.

Mais la vérité finit toujours par ressortir un jour ou l’autre, et qu’il s’agisse d’un gouvernement public ou d’une entreprise privée, les conséquences seront alors désastreuses. Dans les deux cas, on demandera de rendre des comptes et des têtes rouleront (au sens figuré, espérons-le). Non seulement la confiance envers des personnes sera altérée, mais la confiance envers l’informatique en prendra encore pour son rhume. Au niveau des gouvernements, un vérificateur scrute à la loupe les dépenses et les programmes des institutions publiques. Faudrait-il, dans l’entreprise privée, avoir recours à des vérificateurs indépendants pour en faire autant pour les projets technologiques ?

Des situations regrettables du genre se sont sûrement produites plusieurs fois dans le passé et de telles situations se reproduiront sûrement dans le futur. D’ici à ce que ces situations soient évitables, il est toutefois assuré que plusieurs personnes, lorsqu’elles apprendront l’existence de dérapages reliés à l’implantation de systèmes informatisés, seront… « en beau fusil. »

Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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