Pourquoi je parle rarement de logiciel québécois

Nul n’est prophète en son pays; Félix dut briller en France avant d’être reconnu au Québec. Qu’en est-il, en 2010, pour le logiciel québécois, le grand absent de la presse techno du Québec? Pourquoi n’en parle-t-on pas?

Un copain me faisait récemment remarquer que je n’écrivais plus que très rarement sur le logiciel québécois. Il soulignait, à juste titre, que les rares fois où il m’arrivait de la faire, c’était pour parler d’une app sympathique destinée au iPhone ou pour lancer des fleurs à Druide Informatique, notre prothèse linguistique nationale. En ce sens, déplorait-il, j’avais pris le même pli que mes collègues de la presse techno québécoise.   Cela m’a interpellé et je me suis torturé les méninges pour essayer de comprendre. Si les journalistes technos du Québec ne parlent pas de produits québécois, qui va le faire? Nos producteurs de logiciels ne méritent-ils pas une place au soleil médiatique comme leur concurrence étrangère?   Pourtant, il n’en fut pas toujours ainsi. Pendant des années, j’ai couvert  systématiquement notre industrie québécoise dans des canards spécialisés, par exemple Informatique & Bureautique (I&B), InfoTech et Direction Informatique (DI). Par contre, je l’ai fait avec infiniment moins de zèle dans les médias généralistes où j’ai travaillé de plus en plus à partir de la fin des années 90. Quoi qu’il en soit, il m’était possible de me taper des reportages sur des produits Softimage, Fortune 1000, Kutoka, Dynacom, Logidisque, LMSoft, Logibec, Machina Sapiens, Procol, Hopem, Tenrox. Alouette!  Maintenant, je ne le fais plus. Pourquoi?   Comme premier élément de réponse, j’oserais bêtement répondre que plus personne en situation d’autorité médiatique ne me le demande. Gil Tocco me le commandait parfois dans I&B, Liette D’Amours m’en avait confié la chronique régulière dans InfoTech et Patrice-Guy Martin me demandait un article de cette farine tous les mois du temps où j’étais régulier à DI. Depuis cinq ou six ans, les médias où je travaille me laissent normalement choisir mes sujets de prestation.   En ce cas, si c’est moi qui décide, pourquoi est-ce que je ne choisis pas de parler davantage du logiciel québécois? Pour plusieurs raisons. Primo, je travaille sur une base quotidienne, cinq jours par semaine et, une fois sur deux, je décide d’un sujet d’article le matin même. Si je prends mon courage à deux mains et que je vais consulter l’effroyable pile de communiqués de presse qui vient alourdir ma boîte de courriels, je n’en trouve à peu près pas en provenance d’un fabricant québécois de logiciel. C’est comme si ces gens ne se donnaient plus la peine d’essayer de sensibiliser les médias, c’est comme s’ils avaient baissé les bras, c’est comme si leur marché de prédilection était ailleurs qu’au Québec.   Et même si j’en trouve, il s’agira, sauf exception, de produits ne pouvant intéresser la majeure partie de mes lecteurs. Intéresser? Prenez Mia la souris (Kutoka), un très beau produit montréalais. Les fois où j’en ai parlé dans la Cyberpresse ce fut une grande déception du côté lecture. Vous comprendrez, bien sûr, que dans sa sagesse, ce bon Monsieur Gesca n’endure pas longtemps un chroniqueur qui n’arrive pas à attirer les lecteurs.   Idem si j’aborde de graves sujets de gestion, un des créneaux d’excellence du logiciel québécois; personne ne me lira. Et que voulez-vous que j’en dise? Que je structure un vrai reportage en allant rencontrer le PDG de la boîte pour parler de sa vision logicielle, de ses résultats, de ses cycles de développement, que sais-je, de ses projets de marché? Je n’en ai ni le temps, ni les moyens. On me paie à l’article publié pour chroniquer cinq fois la semaine, incluant le jeudi ici même. Je ne suis pas un employé permanent.   Ah tiens, je pourrais tester leurs logiciels de gestion. J’ai de gros ordis chez moi, des machines qui se prêteraient bien à cela. Mais j’ai déjà donné et je ne le ferai plus. Prenez le cas de Simple Comptable, un produit de ce type qui est réputé pour sa grande convivialité. Pendant des années, la fabricante (désormais Sage) m’en faisait parvenir un exemplaire et il me fallait passer au travers. Pour le comprendre, il me fallait me casser la tête (je suis tout sauf comptable) et en discuter avec Nabil, mon fiscaliste d’ami qui l’utilise sur une base professionnelle. Tant et si bien, qu’une fois l’article publié, le salaire que j’en tirais équivalait à quelque chose comme cinq sous de l’heure, tellement j’avais travaillé. J’ai donc mis fin à ce rituel cyclique.   Je pourrais lire les communiqués et produire des « papiers automatistes » comme il m’arrivait d’en faire pour un hebdo d’affaires bien connu. Par exemple, voici un lead (intro) que je vous  écris mécaniquement sans aucune réflexion: « Non seulement Avionique Truc Canada ltée, fabricante de systèmes embarqués établie à Saint-Hubert sur la Rive-Sud de Montréal, croit pouvoir doubler son chiffre d’affaires d’ici un an grâce à eTruc, une solution clé en main qu’elle développe depuis cinq ans, mais elle entend percer le marché aéronautique américain en inaugurant d’ici la fin du présent exercice financier un bureau à Seattle. C’est du moins ce qu’a déclaré à (mettre ici le nom du Journal) le président de l’entreprise. M. Victor H. Trucmuche, lors du déjeuner annuel de la Chambre de commerce de Saint-Hubert. » Je n’en fais plus et, même si on me battait à coups de bâton, n’en ferais pas.   Je pourrais parler de notre industrie du jeu vidéo, un des créneaux d’excellence du logiciel québécois, en mettant des produits à l’essai. Mais ça aussi, j’ai arrêté de le faire; les jours n’ont que 24 heures. Comment croire que l’on peut, en une journée normale de travail, installer un jeu, en faire le tour et en tirer un article avec illustrations, sans ne rien bâcler, sans prendre d’imprudents raccourcis? Je l’ai essayé et je n’y suis jamais arrivé. Ces jeux sont énormes, complexes et captivants. Pour être juste à leur endroit, il faut leur consacrer le temps nécessaire, ce que je n’ai pas.   Pourtant, je parle très souvent de logiciel. Mais, sauf exception, ce sont des produits américains, soit de gros machins à la sauce Adobe ou Microsoft, soit de petits partagiciels géniaux qui font ceci ou cela de très utile (p. ex. CCleaner), soit des produits Open Souce qui offrent des solutions de rechange aux empires logiciels. Les lecteurs adorent. Si j’en trouve made in Québec, il est assuré que je vais en parler, mais je n’en trouve guère et personne ne m’en propose. Je ne suis quand même pas pour toujours parler d’applicatifs pour iPhone ou de Druide Informatique!   Qui plus est, si je choisis de traiter d’un logiciel fabriqué, disons, par Google, je vais tout trouver sur le Net, incluant l’opinion de mes collègues. Tellement qu’il arrivera que je n’aie pas de téléphone à faire. Or, si je veux le faire pour un produit québécois, il est possible que je me bute à un mauvais site Web mal torché. Un jour, le PDG d’une boîte montréalaise m’avait dit que toutes les infos étaient sur le site Web de sa boîte. Je m’en suis donc inspiré pour l’article. Ce n’est qu’après publication qu’il a réalisé que son site n’avait pas été mis en jour depuis six mois et que, conséquemment, j’avais tout faux. Annoying, my dear!   Ça, c’est pour justifier mon cas, en réponse à la remarque de mon copain. Qu’en est-il chez les autres? Chez les pigistes comme dans les publications? Je remarque une grande similitude: trop à faire avec pas assez de temps ou de personnel ou les deux, cela dans un contexte où les revenus ont chuté, où il faut produire à moindres frais, où il faut aller au plus pressé, où il faut s’en tenir au plus incitatif à la lecture.   Morale de ma chronique: si quelqu’un a un logiciel pouvant plaire aux technophiles de Direction Informatique, un produit que je pourrais installer, tester, illustrer et expliquer dans le cadre d’une journée « normale » de travail, contactez-moi, je me ferai un plaisir de le mettre à l’épreuve.   Je le jure!

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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