PC récents et coefficient d’inutilité

Le coefficient d’inutilité des micro-ordinateurs est un état dont la mesure s’établit en comparant la nature du système en place avec l’utilisation que l’on en fait. Explications.

Voici un premier indice pour savoir de quoi je vous entretiens aujourd’hui : La banque et moi possédons une bagnole qui me permet de faire du 240 km/h sur une autoroute infestée de flics embusqués, une autoroute qui, de toute façon, se retrouve bloquée plus au sud par d’éternels bouchons dont l’irrespirable densité ne fait que croître année après année. Cela signifie que, techniquement, je n’ai à peu près aucune chance de tester ce potentiel de vitesse. En revanche, je suis à même de témoigner que par rapport aux modèles des années 90 de ma voiture, le confort s’y est grandement amélioré. Idem pour la visibilité, la tenue de route et la consommation.   Deuxième indice : Il y a seize ans jour pour jour, au volant d’un affolant 486 DX50 sous Windows 3.1, j’écrivais ce qui suit dans Direction informatique : « Naguère aussi attirant qu’un plan d’assemblage de soupape d’étanchéité sur moteur diesel et aussi simple que la manipulation d’une cithare, le traitement de texte évolue aujourd’hui sous l’égide de la convivialité la plus chamarrée. (…) En cet automne 1993, on ne tape plus sur fond d’écran vert, le coude sur CTRL, le petit doigt sur SHIFT, le pouce sur F7 et l’autre main sur la barre d’espacement. On tape désormais en CinémaScope couleur Dolby stéréo. Les traitements de textes sont en train de s’adapter aux moniteurs SVGA de 15 et de 17 pouces, aux mémoires vives de 4 méga-octets, aux pro?cesseurs 486 de 25 mégahertz, tout cela sous Windows, une inter?face utilisateur dont plus personne n’arrive à contester l’hégémonie. »   Troisième indice : Voici deux extraits d’articles (tout aussi pathétiques) publiés en juin 1996 et en février 1999 dans le Journal de Montréal. Le premier : « Un Pentium 166, c’est très vite. Faut le voir se siphonner un fichier de 10 Mo dans la RAM. Pas croyable! On clique pour ouvrir Word? Pouf! Word est ouvert. On dit au PC de charger un vidéo-clip et de le jouer? Il n’y a ni attente ni raté : le clip est joué au meilleur de sa capacité. On décide de se faire une maquette dans Publisher? Zou! La voilà prête pour la séparation de couleur. En fait, c’en est stressant, le P-166 passe son temps à nous attendre. » Le second : « Depuis quelque temps, j’utilise Microsoft Office 2000 dans l’exercice quotidien de ma profession : écriture, recherche sur Internet, calculs dans Excel, etc. Or, je n’arrive pas à comprendre pourquoi je n’ai pas envie de courir vous en parler. Peut-être est-ce dû au fait que j’ai l’impression de me retrouver devant une simple mise à niveau d’Office 97? Moi, monsieur Tout-le-Monde, je n’arrive pas à faire plus qu’avant. »   Vous avez compris? Je vais effectivement vous parler du coefficient d’inutilité des micro-ordinateurs, un état dont la mesure s’établit en comparant la nature du système en place avec l’utilisation que l’on en fait. Je m’explique.

Productivité historique   Je suis journaliste techno à Montréal depuis 26 ans et, sauf exception, j’ai toujours écrit mes articles avec un traitement de texte WYSIWYG (comme on disait à l’époque). Je vous parle de MacWrite, de Microsoft Word en infinies saveurs, de WordPerfect 8 ou d’OpenOffice.org. Durant les années 80, il m’est bien sûr arrivé de devoir utiliser des logiciels peu évidents comme XyWrite ou WordPerfect 4.2, mais je subissais alors une perte vérifiable de productivité.

Or, en 26 ans, cette productivité ne s’est pas réellement améliorée. L’article de 1984 et celui de 2009 nécessitent le même temps de cogitation (mon cerveau a ses limites) et de technique de saisie (clavier et souris). Dans ces deux cas bien précis, je suis au même point qu’en 1984 alors que mon ordinateur était un Macintosh 128 dont le système d’exploitation et le traitement de texte MacWrite tenaient sur une disquette de 400 ko.   La différence se situe à deux niveaux. Primo, il y a Internet. Ma recherche, qui avait essentiellement comme cadre le téléphone, des entrevues, des bouquins, des magazines spécialisés, se fait désormais en très bonne partie sur le Net. Clic, Wikipédia s’ouvre. Clic, voici Net Applications, voici IBM, Intel, Apple, l’histoire micro-informatique, des photos sur tout et ainsi de suite. Que de temps je peux ainsi économiser!   Secundo, la convivialité est devenue un « plus » marketing. Par exemple, il se vend présentement des iMac avec écran de 27 pouces. J’utilise trois moniteurs ACL (pour une surface de 4 480 X 1 080 pixels) sur mon PC principal. Toutes mes panoplies souris-clavier sont sans fil. J’ai certaines souris qui disposent d’un socle de recharge. Tous mes ordis ont des prises USB 2 et la plupart ont des connecteurs FireWire. Et ainsi de suite.

Je me souviens des souris imprécises des années 80 dont il fallait nettoyer le mécanisme de roulement avec un « Q-Tip » trempé dans l’alcool. Je me souviens du moniteur monochrome de 9 pouces qu’arboraient fièrement mes premiers Mac. Je me souviens de mon premier moniteur de 17 pouces, un mastodonte CRT mal luné que j’avais payé 750 $ à l’été 1994. Je me souviens des DVD+R qui ne fonctionnaient pas sur mon graveur « -R ». Je me souviens des disques rigides formatés en FAT32 (ou, pire, en FAT16) qu’il fallait compartimenter avec Partition Magic pour récupérer précieusement des centaines de Mo d’espace perdu. Et ainsi de suite.   De quoi est-ce je vous parle ici? Certainement pas de vitesse ou de puissance. Certainement pas de processeurs i7, voire E6500, d’Intel, de cartes graphiques Radeon HD 5870, de cartes ayant 2,15 milliards de transistors, de blocs d’alimentation de 1 200 watts, etc. Je vous parle de commodités, de fonctionnalités, d’ajouts intelligents, d’amélioration ergonomique. Pour caricaturer, je vous affirme que je serais aussi créatif, voire aussi productif, avec un Mac 128 auquel un sorcier aurait raccordé un moniteur couleur de 24 pouces, une connexion Internet, un disque rigide et un jeu clavier-souris sans fil.

La fin justifie-t-elle les moyens?   Sur une échelle de 1 à 10, à combien évaluez-vous le coefficient d’inutilité de mon PC dans le cas d’une machine avec laquelle je vais sur le Net, je fais de la bureautique, je « bizoune » des photos et des MP3, je fais un peu de Photoshop et un peu de VMware? Imaginons que ce PC vendu autour de 2 500 $ chez Dell soit un i7-870 cadencé à 2,93 GHz, avec 8 Go de RAM, deux disques de 1 To chacun, des cartes vidéo nVidia GeForce GTS240, une carte audio Sound Blaster X-Fi Xtreme, un moniteur ACL 20 pouces*, Windows 7 Pro et tout le bordel afférent?

Ça ressemble à cette fin de journée où j’avais utilisé un camion Tilden de 26 pieds pour aller chercher une caisse de 24 au dépanneur du coin au terme d’un déménagement mémorable. Dans un tel cas, le coefficient d’inutilité pourrait être de 10.   Je sais : Le contexte socio-économique fait qu’il me faut Windows 7, Office 2010, inDesign et Photoshop CS4, Firefox 3.5, pour ne nommer que ces inflagiciels, cela pour faire sensiblement la même chose que je faisais avec Windows 98, Office 97, PageMaker 7,Photoshop 4 et Explorer 3; les logiciels migrent un à un vers le 64 bits, sont de plus en plus chargés « d’inutiliciels » ou de « futiliciels » et exigent des ordis de plus en plus musclés. (Incidemment, tout cela vient d’avoir raison du P2-350 que mon ami Réjean vient de mettre à la casse après onze ans de loyaux services. Chapeau à Info-Montréal qui avait fabriqué cette machine increvable…).   De plus en plus musclés, les ordis? Mon PC principal fait tourner parfaitement bien les gros logiciels cités au paragraphe précédent, et cela, la plupart du temps, en 64 bits sans devoir émuler le 32. Or, il ne s’agit que d’un Core 2 Duo d’Intel acheté il y a 4 ans. Et j’ai de la puissance en réserve : Windows 7 a coté ma config à 5.8. Mais je suis très loin de la machine Dell dont je parle plus haut, ce qui signifie que dans mon cas, le coefficient d’inutilité pourrait être plus proche de 1 que de 10.

Matière à réflexion   Posez-vous la question: sur mille personnes qui utilisent un ordi, combien doivent se servir d’AutoCAD, de Creative Studio, de Final Cut Pro, de VMware chargé au max? Combien ont vraiment, mais alors vraiment, besoin de grosse puissance brute? Les amateurs de jeux vidéo? J’en doute, la plupart utilisent des consoles spécialisées. Il m’est avis que la plupart de ceux (le masculin est ici précisément voulu…) qui se nantissent de ces monstres stéroïdés présentent un coefficient d’inutilité plutôt élevé.   Hélas! C’est faire fi de la sinistre réalité du beau-frère qui nous les gonfle avec son nouveau PC à tuyau d’échappement quadruple, à pneus 17 pouces extra larges, à suspension « spéciale » et à « cinq au plancher ». Il faut l’entendre clamer sur tous les toits que sa « réguine » « boote » deux fois plus vite que son vieux quadricoeur. Quel c… !

Comment planter ce désagréable personnage avec notre PC très modeste, peut-être un peu vieillot, auquel on a consenti plein d’améliorations ergonomiques – ce qui est pourtant la chose intelligente à faire? Comment éviter qu’encore une fois, le foutu « beauf » nous traite de « mononk dépassé »? Peut-être faudra-t-il hausser le ton et lui brandir son coefficient d’inutilité ?

Incidemment, avez-vous une idée de votre coefficient d’inutilité? S’il vous était possible de profiter du fait que Windows 7 n’est pas un ogre, pourquoi ne tenteriez-vous pas de conserver votre PC – si faire se peut – un peu plus longtemps? Peut-être que l’ajout d’une barrette de RAM ou d’un très bon moniteur, par exemple, serait une solution acceptable?

Qu’en pensez-vous?

* Dans le cas d’un gros gros PC, bien des gens vont se contenter d’un ACL de 20 pouces, même s’il y a beaucoup mieux de disponible. C’est de l’économie mal comprise.  

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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