Ostracisme numérique

Encore une fois, des statistiques confirment la progression de l’Internet chez les jeunes, les urbains, les érudits, et les riches, mais aussi l’exclusion – relative – des vieux, des ruraux, des moins instruits et des pauvres. Trop peu de personnes se portent volontaires pour soigner la fracture numérique.

Statistique Canada a publié les résultats d’une enquête sur l’utilisation d’Internet qui a été menée à la fin de l’année 2007. En clair, les données fournies par l’organisme fédéral renferment peu de surprises.

L’utilisation de l’Internet a progressé au Canada en comparaison avec la situation en 2005, que ce soit chez les résidants des zones urbaines, les travailleurs à salaires élevés, les détenteurs d’une formation postsecondaire et la jeunesse. D’ailleurs, Statistique Canada a inclus les jeunes de 16 et 17 ans, qui sont de grands utilisateurs de la Toile, dans son sondage.

Plusieurs mentionneront avec enthousiasme de belles données lors de conférences sectorielles ou de réunions d’affaires, afin de souligner la croissance continuelle de l’utilisation de l’Internet. On se félicitera de cette progression en raison du potentiel commercial qu’offre le réseau informatique mondial.

Malheureusement, toute plante qui grandit au soleil a une ombre qui ne cesse de s’allonger. Selon l’enquête de Statistique Canada, 65 % des résidents des petites villes ou des régions rurales, 47 % des gens qui gagnaient moins de 24 000 $, 58 % des personnes moins scolarisées et 29 % des gens âgés de 65 ans et plus avaient utilisé le réseau. Sept internautes sur dix des régions rurales ont déclaré utiliser une connexion à haute vitesse. Mais ce type de connexion n’est pas disponible partout : la moitié des résidents des petites villes et des régions rurales qui utilisent un service « lent » ont dit que le service à haute vitesse n’était pas offert dans leur région.

Ces dernières statistiques sont peu surprenantes, car elles démontrent un portrait similaire à celui de l’utilisation de n’importe quel produit de consommation « novateur », « révolutionnaire » et « indispensable » dont l’utilisation est possible avant tout à ceux qui peuvent y avoir accès ou qui en ont les moyens financiers.

La fracture numérique est un ravin qui sépare les internautes des « techno-exclus. » Le pire, c’est qu’il y a peu de gens pour lancer des cordes afin de tisser un pont entre les deux bords, ou bien pour verser du remblai afin de combler le vide.

Certainement, des observateurs déploreront la situation. Sûrement, des politiciens clameront dans un discours qu’il faut faire « quelque chose pour corriger la situation. » Des groupes de représentation et de défense des droits des exclus publieront des déclarations qui, malheureusement, seront le calque de déclarations déjà publiées au cours des prochaines années.

Plus ça change…

Tout porte à croire que la situation changera peu à court terme. Pour cela, il faudrait que le secteur privé mette la main à la pâte et contribue sérieusement à rendre accessible l’Internet aux exclus de la société de l’information numérique. Concrètement, il faudrait que ces gens aient un accès abordable à des ordinateurs et à des liaisons en réseau, et que ceux qui ont déjà des systèmes informatiques et qui ont des moyens financiers puissent avoir l’accès à des liaisons à large bande dans leur secteur.

Or, les entreprises de notre société capitaliste ne sont pas intéressées à aider les exclus à accéder à Internet, parce que l’entraide ne rapporte pas d’argent sonnant ou des dividendes aux actionnaires. Si un gouvernement met en place des programmes d’accessibilité au matériel informatique ou bien annonce des projets de déploiement de réseaux à large bande dans les zones mal desservies – à l’image des grands mouvements d’électrification du début du 20e siècle – des fournisseurs d’équipements et de services de télécommunications seront aux premiers rangs pour proposer leur implication… Pourvu qu’ils aient une compensation financière pour l’offre d’un tarif préférentiel, ou bien qu’une subvention soit offerte aux consommateurs sans qu’ils aient à altérer leurs prix de détail…

Quelques entreprises lancent des fondations pour offrir du matériel informatique et des accès à Internet dans des écoles ou d’autres lieux fréquentés par des jeunes. L’initiative est louable. Mais il existe un soupçon quant à savoir si ces gestes grandement publicisés sont destinés à servir des fins mercantiles auprès de « futurs consommateurs en formation. » Aussi, il est probable que les reçus aux fins d’impôts sont rarement refusés par les donateurs.

Toutefois, si la majorité des entreprises en TIC soutenait des projets à l’intention des personnes âgées, des gens des régions rurales et éloignées et des résidants des quartiers pauvres, on ne pourrait qu’applaudir cette grande implication sociale qui profiterait à tous.

L’espoir réside dans les organismes sans but lucratif, les associations et les bénévoles qui consacrent du temps à aider les démunis du numérique, tout comme les entreprises et les individus qui, sans faire de bruit médiatique, donnent leur matériel informatique usagé à des personnes qui en ont besoin. Sans eux, le gouffre numérique serait encore plus grand. Nous leur disons merci.

Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.


À lire aussi cette semaine: Que réserve l’avenir pour les laboratoires fédéraux en TIC? La plupart des crimes commis par Internet au Canada ne sont pas punis L’actualité des TI en bref L’économie des TI en bref De la santé de Steve Jobs et du cours de l’action d’Apple

Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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