Média en ligne n’est pas synonyme de médiocrité journalistique

INTERNOTE À écouter certains bien-pensants, des gens articulés qui aiment essaimer leurs points de vue éclairés sur des tribunes bien tenues, il semble exister une corrélation entre « presse électronique », celle du Web, et « produit de communication médiocre ». Contrepoint.

La thèse entendue veut qu’avec la disparition en cours des journaux imprimés, le Web ne puisse prendre la relève faute d’avoir pu de trouver un modèle d’affaires rentable lui permettant de salarier des journalistes capables de qualité. On a compris qu’en corollaire, cette opinion de haut niveau campait la facette informationnelle du triple W dans la plaine bouseuse de la médiocrité.   À juste titre, on peut nuancer cette idée en avançant que l’imprimé ne disparaîtra pas complètement, qu’il y aura réaménagement médiatique autrement dit qu’une complémentarité symbiotique impliquant la radio, la télé, le Web et le papier, se mettra en place. Mais là aussi, les opinions, aussi bien influencées que d’influence, commencent à s’exprimer clairement sur la piètre qualité anticipée du cyberjournalisme.   Les grands dossiers bien léchés auront comme cadre la presse imprimée, voire la Tour de Radio-Canada, tandis que, ça va de soi n’est-ce pas, le pipi de chat sera contingenté sur Internet.

« Ah, mon bon monsieur, quel dommage que cette crise qui, depuis l’automne dernier, catalyse la fermeture de certains quotidiens et la diminution de certains autres!

– À qui le dites-vous, moi qui frémit rien qu’à penser au prix terrible qu’il nous faut maintenant payer pour la cupidité des uns et du bushisme des autres! »   Si je sais lire et écouter, cela finit par camper une publication comme celle que vous consultez présentement, dans le camp de la non-crédibilité, de l’amateurisme ou pire, du populisme. Alors, je m’insurge et je me lance céans dans l’éructation de mon opinion laquelle, à défaut d’être éclairée, est articulée autour de 26 ans de journalisme techno, dont quatre en mode exclusivement électronique.   Remettre les pendules à l’heure du Web

Primo, au lieu de pontifier dans une nostalgie tristounette autour de la disparition malheureuse de l’édition dominicale de La Presse, faisons plutôt dans la nuance. Et, pour ce faire, amorçons avec une question : connaissez-vous une publication autre que le mensuel imprimé Direction informatique et, surtout, son pendant Web, celui-là même que vous consultez présentement, où vous pouvez suivre l’actualité québécoise des TI, où une équipe de journalistes spécialisés est capable, en français, de vous analyser l’industrie, de réfléchir sur ses orientations et de vous présenter ses produits, cela avec tout le recul permettant de transcender et digérer la masse ahurissante des communiqués de presse?   On parle ici d’une publication spécialisée qui veut aller plus loin que la nouvelle. On parle de scribes spécialisés qui sont ou seront tout aussi crédibles sur le Web qu’ils le sont ou l’ont été en imprimé, des professionnels dont la prestation de communication (reportage, essai de produit, analyse de tendance, chronique d’opinion) a ou aura autant de valeur sur le Web qu’elle en a ou en a eue en imprimé.   En fait, je dirai qu’elle en a davantage sur le Web. Prenez mon modeste cas. Pendant dix ans, les quotidiens de Quebecor m’ont fait l’honneur de publier mes chroniques technos, de pleines pages de bonnes lignes agate qui coûtent cher, des textes que je retravaillais mille fois afin de mieux informer et, faut l’avouer, divertir. Or, en 2005, j’ai traversé la rue. J’ai cessé d’être imprimé chez Pierre-Karl pour me joindre à l’équipe de la Cyberpresse, le pendant Web du grand quotidien de Gesca. Depuis, tout ce que je produis n’est accessible qu’en ligne.

Je vous parle d’un même produit à trois différences près. D’abord, il n’est plus imprimé, mais mis en ligne sur un site Web.

Ensuite, il ne m’oblige plus aux fameuses contraintes d’espace. Je ne dois plus limiter mes textes à 700 mots; je prends plutôt l’espace nécessaire à l’échafaudage comestible d’une communication digne de ce nom.

Enfin, mon produit est beaucoup plus informatif et nuancé. Non seulement j’essaie d’être aussi rigoureux qu’avant dans ma recherche et mon écriture, mais des gens viennent me compléter grâce au système de commentaires qui suit ma prestation. Quand je commets une ânerie, ils le signalent et je dois apporter une correction. Quant je me perds en conjectures sur le pourquoi du comment d’une quelconque microsoftitude applesque adobisée, certains viennent l’expliquer. Il s’ensuit parfois des débats très intéressants et, pour le moins, précieux quant à leur teneur en information.   Le meilleur

Conclusion? Dans mon cas à moi, le meilleur de ce que je n’ai jamais écrit en 26 années de journalisme techno l’a été directement pour le Web. Idem pour les textes envers lesquels j’ai éprouvé les plus grands plaisirs d’écriture.   Je ne crois pas en la nostalgie; c’est une perte de temps d’un ennui à dormir debout. Il s’est fait de bonnes choses en imprimé et, à l’inverse, l’innommable a été publié. Des journaux, des journalistes et des éditeurs médiocres, il y en a eu. Le contraire itou! Comme à la radio, à la télé et sur le Web.   Je ne crois pas non plus que le modèle Web obligera les journalistes à toujours travailler pour des pinottes. L’économie va reprendre d’ici un, deux ou trois ans et la manne publicitaire recommencera à tomber. J’ignore, pour l’instant, si ce sera comme dans le temps des grands « spreads couleur » à 6 000 $ qui nous arrivaient à tous les mois au magazine Informatique & Bureautique. Mais je sais que les entreprises devront investir en pub. Pourquoi en serait-il autrement? Et elles ne pourront pas éluder le Web qui est en train de cannibaliser non seulement l’imprimé, mais aussi la télé et, un peu moins, la radio.   Auquel cas, la manne tombera sur les médias actifs qui seront en situation de la ramasser, qu’ils soient imprimés, diffusés ou en ligne. On peut imaginer, sans charrier, que parmi ceux dont la clientèle conviendra à l’annonceur, il y aura sûrement moins de publications imprimées et plus de cybermédias qu’il y en avait en 2008, une vérité qui me semble pas mal plus prévisible que celle des Pingouins en sept! Et parmi ceux qui seront sur place, il y aura sûrement la version en ligne de Direction informatique. Pourquoi en serait-il autrement? Ce média de niche a tout le sérieux nécessaire pour intéresser les annonceurs de la reprise économique.   Autrement dit, il existera des webzines capables de rémunérer des professionnels de l’information. Maintenant, si le mandat de ces journalistes est de bizouner dans le potinage « people » et dans le superficiel de salle d’attente, ils le feront comme ils le font présentement, avec tout ce que cela implique. Mais à l’inverse, si leur mission est d’informer au-delà des communiqués, de présenter avec rigueur des analyses utiles, etc., ils le feront aussi bien – et mieux encore – qu’ils l’ont fait sur papier.   Quant à la « Réaction », celle regroupant les technophobes romantiques, ceux que la bonne senteur d’encre fraîche stimule, ceux qui se disent trop vieux pour abandonner le confort de l’imprimé, ou encore ceux pour qui le Web est un endroit malfamé, le temps joue contre elle. Comme dans tout phénomène d’attrition, aussi triste soit-il, la « Réaction » cessera d’être. Ses ténors auront perdu de leur importance et, en conséquence, ils ne pourront plus émettre leurs opinions, celles que je trouve si mal nuancées, à la radio.   Et moi, je continuerai à gagner ma vie en écrivant des textes sur le Web. Et je gronderai à chaque fois qu’un bien pensant viendra mettre en doute le sérieux de mes efforts journalistiques.   Excusez-la!   Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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