Logiciel libre : encore du chemin à faire

Les organisateurs de la conférence MCETECH2008 ont réuni vendredi dernier un groupe d’experts dans le cadre d’une table ronde sur l’utilisation du logiciel libre dans les administrations publiques. Analyse en cinq temps.

Cette table ronde dans le cadre du MCETECH 2008 n’a malheureusement pas attiré une grande foule. Seule une trentaine de personnes se sont déplacées pour les entendre, preuve qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Benoît St-André, directeur du centre des services et directeur des services pédagogiques chez Révolution Linux, a discuté de potentiel des contributions futures du libre. Pierre-Martin Tardif, coordonnateur régional des ressources informationnelles pour le réseau de la santé et des services sociaux de la Montérégie, a parlé des défis que représente l’utilisation des logiciels libres en santé.

Maxime Pelletier de la commission scolaire des Affluents a donné un exemple de l’engagement d’une commission scolaire dans le logiciel libre. Pour sa part, Stéphane Couture du Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur (LabCMO) a présenté le modèle brésilien. Cyrille Béraud, président de Savoir-faire Linux, a par ailleurs discuté de « La longue route du logiciel libre au Québec ».

Révolution?

Faisant référence à la raison sociale de l’entreprise qu’il représente (Révolution Linux), Benoît St-André a lancé la discussion en dressant la carte de l’infrastructure informatique libre et en expliquant que la vraie révolution est silencieuse, transparente pour les utilisateurs, mais néanmoins en cours. « Il y a un mouvement bien réel dans le secteur de l’éducation, autour de l’implantation massive d’Open Office, constate-t-il. Mais l’implantation du logiciel libre n’est pas toujours connue des utilisateurs, ce qui explique sans doute pourquoi on en entend si peu parler. »

Compagnie de services spécialisée en infrastructure à base de logiciels libres, Révolution Linux, de Sherbrooke, compte une quinzaine de commissions scolaires parmi sa clientèle. L’entreprise cible également le marché gouvernemental, mais Benoît St-André avoue qu’il s’agit là d’un défi de plus longue haleine.

« Certaines avancées ont été faites dans ce marché, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. On utilise souvent à tort et à travers le terme “évangélisation”… Chez nous, on préfère parler d’accompagnement. Le processus est enclenché avec un grand nombre d’intervenants. Les gens commencent à embarquer dans l’idée d’une implantation accompagnée… supervisée. »

Cette approche contrebalance certains préjugés persistants et justifiés envers les logiciels libres qui ne sont pas toujours pris au sérieux par les grandes organisations. Beaucoup de logiciels libres ont été développés par des programmeurs en réaction à l’establishment commercial, mais pas toujours nécessairement avec les besoins des utilisateurs en tête. Selon Benoît St-André, cela explique l’échec d’implantation de certains logiciels libres et la pertinence d’une approche axée sur l’accompagnement, qui mise non seulement sur la fourniture d’un produit, mais sur les conseils, la planification et le support.

En éducation?

Le secteur de l’éducation est sans doute le plus propice à l’utilisation du logiciel libre. Maxime Pelletier de la commission scolaire de la Rive-Nord en donne comme exemple le projet MILLE (Modèle d’Infrastructure de Logiciel Libre en Éducation), sa distribution Colibris, son environnement numérique de travail libre Bureau virtuel et sa solution de clients légers Mille-Xterm.

Ces projets témoignent d’un intérêt réel et des efforts cumulés par un ensemble d’intervenants du milieu de l’éducation et de la recherche, dont les membres les plus actifs sont des commissions scolaires (Affluent, Laval, Beauce-Etchemin, Des Phares, Wilfrid Laurier), le CRIM et la société GRICS. Quelque 200 000 élèves profiteraient de solutions développées dans le cadre du projet MILLE, selon les statistiques citées par Maxime Pelletier.

Fortic, par exemple, est un logiciel de gestion de participation aux formations destiné au personnel enseignant. Il serait utilisé par 20 000 employés au service de 120 000 élèves.

Selon Maxime Pelletier, le logiciel libre répond adéquatement aux besoins du secteur de l’éducation, qui compose avec des budgets serrés et vit très mal l’évolution technologique forcée par les entreprises commerciales. « Avec des solutions comme les clients légers, donne-t-il en exemple, on peut prolonger la vie de notre parc informatique et investir dans le contenu plutôt que dans le contenant! ».

En santé?

Pierre-Martin Tardif du réseau de la santé et des services sociaux de la Montérégie fraie dans l’univers du libre depuis une quinzaine d’années, mais il constate que le secteur de la santé n’est pas le milieu le plus susceptible d’adopter massivement le logiciel libre.

Le secteur de la santé accapare 44 % du budget du gouvernement québécois en 2007-2008, soit 24 milliards $ et emploie plus de 267 000 personnes dans plus de deux cents établissements publics (hôpitaux, centres de santé et services sociaux, de soin pour les personnes âgées, l’enfance et la jeunesse, centres de réadaptation, etc.). « Dans notre secteur, souligne M. Tardif, l’accent est mis sur la prestation des services et avec la population vieillissante, nous devons adopter des stratégies du survivant, faire attention à l’avenir et composer avec des marges très minces. »

Parallèlement, le réseau comprend entre 20 000 et 30 000 médecins – travailleurs autonomes qui prennent individuellement leurs propres décisions administratives et informatiques, 3 260 organismes communautaires subventionnés, 2 000 cliniques privées, 1 630 pharmacies et 2 240 résidences avec services pour personnes âgées. Pierre-Martin Tardif pense que c’est surtout du côté de ces organisations que le logiciel libre fera d’abord sa place.

Dans le secteur hospitalier, le personnel est constitué d’à peine 5 % de cadres et de 12 % d’employés de bureau, la majorité des effectifs étant alloués à la prestation des services : 11 % de professionnels, 15 % de techniciens, 22 % d’infirmières diplômées, 25 % d’aides-techniciens et 11 % de services auxiliaires. La plupart de ces employés ne font pas grand usage de logiciels.

« Quand on y pense un peu, on réalise assez vite que l’information joue un rôle-clé dans la qualité (et la quantité) des soins apportés à la population, souligne Pierre-Martin Tardif. Toutefois, les investissements dans ce secteur représentent à peine 1,4 % du budget. C’est bien peu, si l’on compare à d’autres secteurs comme les finances où les budgets alloués aux technologies de l’information avoisinent 4 à 5 %. »

« Le milieu de la santé reste très conservateur; nous fonctionnons dans un environnement normalisé, avec des cadres et des budgets très stricts. Pour que le logiciel libre y trouve son chemin, il faudrait qu’il y ait davantage de firmes de bon calibre qui se positionnent dans ce secteur. Une organisation comme le CHUM, par exemple, ne fera pas affaire avec une firme de 10 personnes. Nous devons assurer la protection des renseignements personnels, et assurer la pérennité de nos investissements et choix technologiques. »

Et ailleurs?

Stéphane Couture, étudiant au doctorat en Communication à l’UQÀM, a présenté le Projecto Software Libre adopté par l’administration publique brésilienne. Le contexte économique et socio-politique du Brésil (population : 180 millions; langue : portugais; 3 000 entreprises en TIC; revenu brut par habitant : 8 402 $US) se compare difficilement à celui du Québec. Mais le modèle retenu par ce pays pourrait fort bien s’appliquer au Québec. Stéphane Couture a clairement démontré lors de sa présentation que l’adoption du logiciel libre présuppose toutefois une volonté politique qui n’existe clairement pas au Québec.

« L’essor du logiciel libre en Amérique latine est presque toujours lié à des mouvements politiques progressistes, tel le Parti des travailleurs au Brésil », souligne le chercheur. Projecto Software Livre (PSL) est né en 1999 quelques mois à peine suivant l’élection de ce parti au Brésil. PSL n’est ni une association ni une entreprise. Il s’agit en fait d’un réseau d’initiatives visant la diffusion et l’adoption du logiciel libre dans l’administration publique brésilienne. L’établissement du PSL a joué un rôle pivot dans la mise en place de nombreuses initiatives : groupe d’intérêts régionaux et sectoriels (dont un qui s’intéresse plus spécifiquement aux logiciels libres dans l’administration publique), organisation d’une conférence annuelle. Ce mouvement aurait permis au Brésil de réaliser des économies de l’ordre de 9 millions $ US en licences. Sans compter ses retombées indirectes sur les pays voisins.

Au Québec?

Cyrille Béraud pense lui aussi que l’adoption du logiciel libre repose sur une volonté politique. Figure bien connue dans le secteur du logiciel libre à Montréal, le président de la société Savoir-Faire Linux milite en faveur d’une politique éclairée et déterminée d’utilisation du logiciel libre au sein de l’administration publique québécoise. « L’utilisation du logiciel libre répond à des considérations éthiques et responsables de l’argent public », dit-il.

Cyrille Béraud pointe du doigt le système actuel d’octrois de contrats en place dans le secteur public. Son entreprise a incidemment entamé une poursuite contre le gouvernement du Québec à ce sujet. « La plupart des gros projets d’acquisition de logiciels au gouvernement ne font même pas l’objet d’appels d’offres, déplore-t-il. On ne peut même pas contester. On nous met devant des faits accomplis, des avis d’attribution. » Il cite plusieurs exemples récents : des avis d’intention pour des contrats de 722 000 $ pour des postes Vista et Office, d’autres contrats de valeur équivalente octroyés à des compagnies privées telles que, Microsoft, Sun et Oracle. « On a beau se consterner, se rouler par terre et taper du pied, il existe un cadre juridique au Québec qui ne nous aide pas. (…) On frappe un mur juridique, technique et organisationnel. La question du logiciel libre est au coeur de la modernisation de l’État. »

« Malgré toutes les initiatives tout à fait nobles qui existent, c’est en convainquant les politiciens et en leur donnant les outils conceptuels pour prendre des décisions éclairées que nous allons y arriver… C’est au plus haut niveau de l’appareil gouvernemental qu’il faut agir. Ce sont eux qui sont garants de la pérennité et de l’interopérabilité des systèmes entre les différents ministères. Il faut aussi compter sur le rôle éminent du milieu universitaire pour créer les discours du possible. »

« Dans tous les pays qui ont développé une politique d’adoption du logiciel libre, c’est parti d’une volonté politique au plus haut niveau de l’État. Il existe des initiatives intéressantes en Allemagne, en France, en Italie, dans plusieurs pays d’Amérique latine, en Chine, au Japon et même dans quelques états américains, dont le Massachusetts, le Texas et le Minnesota. Aux Pays-Bas, par exemple, on interdira à compter d’avril 2008 l’utilisation de logiciels propriétaires au sein de l’administration publique. Pendant ce temps, au Québec, on est en train d’assister à la mise en place d’une plateforme unique, propriétaire : la plateforme de Microsoft, poursuit Cyrille Béraud. C’est en quelque sorte un deuxième projet Gires qui est en train de se construire et qui coûtera extraordinairement cher à l’État. »

Lors de la période de questions, André Cotte, responsable des projets de logiciels libres au sein de la Société GRICS et personnalité bien connue dans le domaine du logiciel éducatif, a évoqué un autre grand absent dans ce débat : le mouvement syndical.

« Dans le domaine de l’éducation, je me suis rendu compte que l’argument qui fonctionnait, c’est celui de la légalité, dit-il. Les enseignants sont mal à l’aise avec l’idée d’utiliser des logiciels piratés, mais n’ont pas les moyens de faire autrement. Le logiciel libre leur enlève cette culpabilité. Cela dit, j’ai hâte que le mouvement syndical en fasse autant. Je trouve aberrant que des organisations comme la CSN et la FTQ n’aient pas encore adopté ni même pris position à ce sujet. L’utilisation du logiciel libre c’est un moyen concret d’appuyer l’économie durable et de créer des emplois locaux. »


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