Linux incapable d’endiguer la mentalité du gratos

Quand je chicane amicalement mes amis qui piratent leurs logiciels, ils me répondent que je n’ai pas voix au chapitre puisque moi, on me les donne en service de presse, mes logiciels, et que, de toute façon, ils n’ont ni le temps, ni le goût d’aller jouer avec Linux. Alors, je prends mon trou.

Dans sa vie privée, le commun des mortels admet que l’univers informatique est irréversiblement devenu essentiel en raison, surtout, de l’accès Internet qui rend possible le réseautage social, le jeu en ligne, les finances personnelles, les cyberachats, le suivi du travail de bureau, la messagerie et tutti quanti. Ainsi, l’informatique est un outil qui s’ajoute aux autres dans un contexte où il est normal de payer tant par mois pour l’électricité, le téléphone, le câble, le système d’alarme, les assurances, pour des billets de loterie, des titres de transport et de la nourriture, dans un contexte où Il est normal de payer tant par année pour un antirouille, un ramonage de cheminée, l’entretien du terrain, le suivi dentaire, etc.

Mais, paradoxalement, il est anormal de souscrire 50 $ pour deux ans de protection « antichtouille » (NOD 32, Avira, Kaspersky, etc.), ce qui pousse à chercher l’alternative gratuite (p. ex. AVG) ou empruntée au beau-frère. Il est anormal de s’offrir une copie parfaitement légale de Microsoft Office, ce produit auquel on est habitué, ce qui oblige à s’en télécharger une copie frelatée, sinon de se rabattre sur OpenOffice.org ou ses équivalents. Il est anormal de débourser une centaine de dollars pour se procurer un système d’exploitation Microsoft ou Apple, ce qui explique que l’on s’en tienne, trop souvent, à une version piratée de Windows XP ou à la version du SE fournie avec l’ordi à l’achat. Et ainsi de suite.

Je ne suis ni actuaire, ni comptable, ni mathématicien. Mais j’ai une blonde qui tient les livres. Ainsi, je sais qu’en calculant tout sans rien oublier, la somme annuelle de mes dépenses informatiques, moi qui ne me prive de rien à cet égard, est inférieure à celle de mes dépenses automobiles ou à celle de mes dépenses en loisir et en culture. Autrement dit, il y a pas mal plus cher dans ma vie.

Je me résume : l’informatique, cet outil essentiel, coûte des sous sur une base annuelle, sans pour autant être la source principale de dépenses, mais les gens vont tout faire pour ne pas avoir à en payer la note. Bienvenue au gratos, à l’emprunté ou au piraté. Voler la richissime Microsoft pour ses besoins personnels ce n’est pas vraiment voler. Un technicien qui charge 60 $ pour remonter un PC plein de mélasse innommable est un voleur. On connaît le discours.

Bienvenue aussi à l’alternative libre, ouverte et, pourquoi pas, linuxienne. Ne voilà-t-il pas une plateforme entièrement gratuite, logiciels compris? Certains le pensent. Les récentes moutures d’Ubuntu, la saveur Linux la plus populaire, démontrent, sans l’ombre d’un doute, qu’il est possible de l’installer et de le configurer sans avoir besoin de grosses connaissances informatiques. La convivialité y a été considérablement améliorée et, avec de la chance, l’utilisateur néophyte peut dénicher sur la Toile des tutoriels parfois bien faits. Vous avez compris que je parlais ici de la version Bureau et non Serveur du produit.

Dès lors, les besoins normaux peuvent être pris en charge. J’entends navigation Internet, messagerie, réseautage social, gestion musicale, traitement de photos, bureautique, tout cela sans avoir à débourser un liard. Le tout est d’une grande stabilité et est naturellement à l’abri du code malveillant. Le pied!

Il n’y a qu’un problème. Quand vient le temps de regarder un film sur DVD (pour prendre cet exemple), il faut savoir que l’on devra ajouter un dispositif logiciel dont pas grand monde ne parle, LibDVDread4 (Restricted Area), cela en tapant deux commandes dans la console : sudo apt-get install ubuntu-restricted-extras et sudo /usr/share/doc/libdvdread4/install-css.sh. Je sais, nul n’est besoin d’apprendre ces commandes par cœur. Il suffit de taper quelque chose comme LibDVDread4 Installation dans Google pour les retrouver assez rapidement. Ici le point n’est pas dans l’apparente difficulté qui n’en est pas vraiment une de ces commandes. Il est plutôt dans le fait qu’avant de savoir qu’il faut installer LibDVDread4 pour visionner un film sur DVD, l’utilisateur va ramer assez longtemps, surtout s’il est isolé ou s’il n’a pas accès à un beauf plus connaissant que lui.

Mon exemple de LibDVDread4 est pertinent. C’est même un produit interdit dans certains pays en raison du fait qu’il déjoue un peu le système du DRM (Digital Right Management) qui protège les œuvres multimédias. Comme le monde Open Source est généralement opposé aux obstacles commerciaux, p. ex. la philosophie du DRM, attaquant la liberté informatique, les grands pourvoyeurs de contenus ignorent Linux. Tant et si bien qu’il faut bricoler. Idem pour des histoires dites propriétaires comme Flash (Adobe) ou Silverlight (Microsoft). Il faut palier, ajouter des panoplies de codecs comme Medibuntu. Encore faut-il le savoir.

Autre problème, l’utilisateur habitué à brancher un périphérique à un Mac ou à un PC sans avoir à redémarrer le système et en se contentant de suivre les instructions simples qui apparaissent à l’écran pourra en arracher sous Ubuntu. Parfois, ça fonctionne du premier coup, mais parfois, il faut mettre à contribution toutes ses connaissances vaudou. Par exemple, cette semaine, pour pouvoir faire reconnaître un simple projecteur, j’ai finalement dû me résigner à réinstaller le système d’exploitation, procédure radicale qui est quand même plus rapide que dans les cas de Windows ou du Mac OS X. En dernier, je n’avais plus accès au mode graphique, il me fallait aller bizouner dans le fichier xorg.conf, etc. Dieu du ciel!

Tout cela pour dire que la banque de logiciels, d’utilitaires et de pilotes que les gens pourraient utiliser est loin d’avoir l’envergure de celle de Windows ou de celle du Mac. Sauf exception, on est à l’enseigne du gratuit avec tout ce que cela suppose. Pire, considérant la relative anarchie de l’univers Open Source, il n’y a généralement pas de similitude procédurière (look’n’feel) d’un produit à l’autre, malgré les progrès. Passez d’OpenOffice à Gimp et vous comprendrez de quoi je veux parler.

Reste que personnellement, j’aime bien. Par temps perdu, je m’amuse à apprivoiser Ubuntu et je trouve que c’est un passe-temps agréable. Encore faut-il en avoir du temps. Cependant, pour les gens normaux, des personnes qui n’en ont rien à cirer des ordis et de leurs caprices, Ubuntu peut devenir un petit cauchemar. Comme Windows ou Mac OS X du reste.

Mais à la différence, il n’y a pas grand monde autour de leur chaumière pour les aider à se sortir de la misère, misère noire s’entend. L’impérative commande SUDO reprend alors son sens premier de sueur. Tant et si bien que cette absence d’écosystème linuxien autour de chez soi nuit à la propagation de la philosophie libre et ouverte. Ma belle-mère qui habite un bled où je n’ai pas encore rencontré d’utilisateurs de Linux (…il doit sûrement y en avoir…), se fait entretenir son PC par sa belle-sœur, une retraitée qui connaît l’essentiel de Win XP. Si j’installais Ubuntu dans sa machine, un SE pourtant pas plus difficile que Win XP, elle se retrouverait isolée et perdue.

Cela pour dire que l’alternative libre, Open Source et linuxienne devrait normalement être « LA » solution au fait que les gens veulent tout gratuitement quand il est question d’informatique. Mais elle ne lève pas en raison de problèmes découlant de sa nature même.

Il reste quoi? Ni Apple ni Microsoft ne se mettront à donner leurs systèmes d’exploitation, pas plus qu’Adobe ou Symantec ne le feront avec leurs logiciels. Heureusement, l’offre en ligne, celle du Nuage, semble en gain de popularité. Les Office Live et autres Google Docs, solutions multiplateformes full gratos, pourraient satisfaire en partie aux besoins des gens. Encore leur faudra-t-il être mieux ficelées que maintenant.

Pour que les mœurs populaires changent, autrement dit, pour que l’appropriation illégale de logiciel diminue de façon significative, les prix devront baisser et, surtout, le phénomène de l’obligatoire gratuité devra être sérieusement remis en question. Effectivement, l’industrie devra persuader les gens que l’informatique a une valeur, en tout cas autant qu’un antirouille ou qu’un abonnement au gymnase.

Y a-t-il un gourou marketing dans la salle?

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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