L’avenir de la bureautique se trouve quelque part dans les nuages

Au-delà du trio tableur-chiffrier-traitement de texte sur PC ou un réseau local, comment définirait-on le concept d’outils de bureautique en ce début de 21e siècle? Nous avons scruté le Web et sondé quelques experts. Tous semblent s’accorder pour dire que l’avenir des outils de bureautique se trouve quelque part dans les nuages!

« Si l’on fait un bref retour en arrière, au tout début de ce 21e siècle, il est certain que l’un des phénomènes ayant eu le plus d’impact sur la communauté de développement logiciel et sur le monde entier est l’avènement des accès réseaux abordables grâce à Internet et aux technologies sans fil », lit-on dans le livre blanc L’avenir de la livraison de logiciels rédigé par Danny Sabbah, directeur général d’IBM Rational Software.

C’est en 2006 que, pour la première fois, les ventes de PC portables et de téléphones intelligents ont dépassé celles des PC de bureau. En 2013, les ventes de PC de bureau pourraient ne représenter plus qu’environ 15 % du marché mondial des objets d’accès à Internet.

Les objets mobiles d’accès à Internet sont en train de marginaliser les PC de bureau et par conséquent, les outils bureautiques, souligne le plus récent rapport sur l’évolution des technologies de Morgan Stanley.

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La banque y prédit qu’entre 2010 et 2014, l’Internet mobile prendra le pouvoir et que 2010 devrait être l’année de basculement. En 2014, nous devrions être… 2,8 milliards de personnes à utiliser des réseaux mobiles pour accéder à Internet. Notons qu’au chapitre de la mobilité, le couple iPhone / iPod Touch d’Apple a eu la plus rapide croissance du nombre d’unités vendues de tous les temps. (voir graphique)

Dans un environnement ainsi décentralisé, les outils de bureautique que sont les ensembles logiciels obèses (comme la suite Office de Microsoft) tels qu’on les connaît actuellement n’ont plus grand place. « Pour mémoire, rappelle Louis Naugès, président de l’agence française Revevol et expert maintes fois cité dans la presse informatique française, la dernière étude Worldstats sur Internet estime que, fin septembre 2009, il y avait dans le monde 1,7 milliard d’internautes, toutes technologies confondues. En clair, cela signifie que le nombre d’internautes mobiles en 2014 sera 1,5 fois plus élevé. À ce moment, 40 % de la population mondiale, soit près de 3 milliards de personnes, utilisera des réseaux et objets mobiles pour accéder à Internet, avec des vitesses qui pourront dépasser le Gbit/s ».

Selon Louis Naugès, on assiste présentement à une querelle des anciens (dont Microsoft, Cisco Systems, Hewlett-Packard, IBM, SAP et Oracle) et des modernes (dont Google, Amazon et Salesforce.com) en matière d’informatique en nuages (cloud computing). Cette bataille concerne en bonne partie le marché lucratif des outils de bureautique mobiles qui risque d’échapper aux fournisseurs traditionnels.

« L’immense majorité des fournisseurs informatiques ont annoncé, en 2009, leur adhésion au mouvement Cloud Computing, écrit l’analyste français sur son blogue. Hewlett-Packard (HP), Oracle, Unisys et beaucoup d’autres ont présenté des offres, souvent intéressantes telles que le système de gestion de la relation client (Customer Relationship Management, ou CRM, en anglais) « Oracle on Demand » ou les « private clouds » hyper-sécurisés d’Unisys. Mais, le plus souvent, il est difficile de décoder ces annonces et de savoir ce qu’elles représentent réellement. »

Fin 2009, trois annonces, presque simultanées, ont confirmé ce soudain intérêt des « anciens » pour les solutions « modernes », souligne Louis Naugès: 1) Naissance de l’Enterprise Cloud Buyers Council (ECBC), une association de fournisseurs tels que Cisco, HP, IBM ou Microsoft, qui appartiennent au TM Forum; 2) Création chez Microsoft d’une division unique, regroupant serveurs et Cloud; 3) Ralliement de SAP aux solutions Microsoft pour son offre SaaS (Software as a Service).

La bureautique migre vers le Web

Benoit Descary, formateur, conférencier et cofondateur de DCE Solutions, une entreprise québécoise spécialisée en formation sur les technologies mobiles et la fourniture de solutions d’apprentissage Web, observe attentivement la migration des outils de bureautique vers le Web. Son blogue Descary.com, qui traite de l’actualité du Web 2.0, est classé parmi les blogues technos francophones les plus influents.

« Les outils bureautiques sont en pleine mutation, soutient Benoit Descary. L’idée de stocker ses données sur le Web, ce que l’on nomme le cloud computing, progresse rapidement. L’avantage est énorme pour les petites et moyennes entreprises. Cette solution qui « délocalise » les données ainsi que les outils bureautiques permet aux entreprises d’obtenir à très bas coût des applications qui étaient jusqu’à maintenant uniquement offertes aux grandes entreprises. Le partage de données, tout comme le travail collaboratif et distant, sont accessibles à tous. Le travail et la bureautique évoluent d’un ensemble de réseaux fermés de grandes entreprises à un ensemble de réseaux ouverts et interconnectés entre eux. »

À son avis, Google Apps constitue le meilleur exemple de ce phénomène: « Cet outil ne demande aucune installation et surtout aucune mise à niveau ou administration de serveur, souligne Benoit Descary. Google Apps représente en quelque sorte la démocratisation des outils collaboratifs. Cet ensemble de bureautique et de messagerie permet à une petite entreprise de mettre en place instantanément des outils de communication courriel, de téléphonie IP (VOIP), notamment, à travers une suite bureautique de type Office. » Salesforce.com, un CRM Web qui est maintenant perçu comme une véritable solution pour l’entreprise, constitue un autre exemple de solution Web adaptée aux besoins des entreprises.

Incidemment, l’informatique en nuage figure au palmarès de l’étude Prédictions mondiales de 2010 pour le secteur des technologies, des médias et des télécommunications (TMT) de Deloitte. Le rapport recense les technologies émergentes à surveiller selon 6 000 spécialistes des TMT oeuvrant au sein des cabinets membres de Deloitte. « L’informatique en nuage connaîtra une expansion plus rapide que pratiquement tous les autres secteurs de la technologie, mais elle n’a pas encore conquis le monde. Soucieux de la fiabilité et de la sécurité du concept, les grandes entreprises et les gouvernements restent sur leurs gardes. Par contre, les consommateurs et les PME seront logiquement parmi les premiers à l’adopter », estime le rapport, qui précise que l’industrie devrait croître de près de 50 % à l’échelle mondiale en 2010 pour atteindre près de 80 milliards de dollars.

Benoit Descary partage cette opinion. « Le concept de cloud computing résonne toutefois encore avec méfiance pour bon nombre d’entreprises, dit-il. Comme les données sont stockées sur le Web et possiblement à l’étranger, les entreprises devront être rassurées sur l’intégrité et surtout la sécurité de leurs données. Il reste donc un travail de conscientisation à faire du côté des clients et de clarification du côté de ceux qui offrent ces services. Ce seront surtout les petites et moyennes entreprises qui adopteront plus rapidement ces outils. Elles seront séduites par les coûts d’utilisation très bas et la facilité de gestion des services Web. »

Le logiciel libre a-t-il perdu?

Louis Naugès déclare que « sur le PC classique, qu’il s’agisse d’un ordinateur de bureau ou d’un portable, Microsoft a, depuis longtemps, gagné la guerre des logiciels. » Il cite à ce sujet les données publiées par StatCounter, un organisme qui mesure des parts de marché des systèmes d’exploitation et de navigateur en Europe. Selon StatCounter, les différents systèmes d’exploitation (OS) Windows dépassent 90 % de part de marché, avec pour seul concurrent significatif MacOS. Linux reste collé autour du 1 %, même si ses promoteurs tentent des efforts de commercialisation très importants depuis 10 ans.

« Sur l’immense majorité des PC professionnels, on trouve trois logiciels « obèses » installés, tous fournis par Microsoft. Ce sont des produits aux fonctionnalités très, trop, nombreuses, dont la majorité des personnes n’utilisent qu’une infime partie », soutient Louis Naugès.

Pour « remplacer » chacun de ces logiciels, la communauté du logiciel libre (Open Source) propose ses options, qui sont: Linux contre Windows; OpenOffice contre Office et Thunderbird contre Outlook. « Ces solutions à code source libre, qui tentent de déloger des leaders ayant plus de 90 % de parts de marché en proposant des solutions quasi identiques, n’ont aucune chance de les remplacer », estime l’expert français. C’est également l’opinion de Clayton M. Christensen, professeur à l’Université de Harvard, et auteur de trois livres importants sur l’innovation (The Innovator’s Dilemma, The Innovator’s Solution et Seeing What’s Next : Using Theories of Innovation to Predict Industry Change).

Louis Naugès déclare que la communauté Open Source ne gagnera jamais labataille du poste obèse. Toutefois, le poste obèse deviendra sous peu marginal et sera remplacé par une nouvelle génération de produits, mobiles et allégés, sur lesquels les solutions à code source libre devraient gagner la guerre.

Le rapport « Open Source in Global Software: Market Impact, Disruption, and Business Models » d’IDC n’abonde toutefois pas dans le même sens. On y souligne que les logiciels libres devraient faire partie des applications de mission critique de plus des trois quarts des grandes entreprises internationales d’ici la fin de la décennie, et de nombreux sondages indiquent qu’une majorité d’entre nous utilisent des logiciels libres en production dès maintenant.

Et le multimédia?

« Traditionnellement, les outils de bureautique étaient vus comme des moyens de manipuler du texte ou des chiffres. Aujourd’hui, la notion de document s’élargit pour inclure toutes sortes d’autres contenus, notamment du côté du son et de l’image. Les outils de bureautique devront de plus en plus être capables de gérer tous ces contenus de manière transparente. Un exemple : si on lance une recherche dans les documents d’une entreprise pour y rechercher le nom d’une compagnie par exemple, on voudra trouver non seulement les textes où ce nom apparaît, mais aussi les messages vocaux où ce nom a été mentionné et les vidéos où l’on aperçoit le logo de la compagnie », souligne Gilles Boulianne, conseiller senior, directeur équipe Reconnaissance de la Parole au Centre de recherche informatique de Montréal (CRIM).

Ce dernier constate que cette évolution est déjà évidente sur le Web, où la majeure partie de l’information n’est plus sous forme de texte, mais sous forme de photos et de vidéos. L’enjeu est de pouvoir accéder et manipuler cette information aussi facilement que du texte.

M. Boulianne et son équipe travaillent présentement sur les problèmes classiques en reconnaissance de la parole : comment mieux modéliser statistiquement la voix et le langage, comment adapter des modèles existants à une nouvelle voix ou un nouveau domaine, comment obtenir des modèles qui résistent mieux à la variabilité des conditions d’enregistrement, etc.

« L’application la plus connue de la reconnaissance de la parole en bureautique est sans doute un logiciel prenant la dictée, comme Dragon Naturally Speaking, illustre Gilles Boulianne. Il n’y a pas si longtemps, il fallait passer plusieurs heures à familiariser un tel logiciel avec sa voix avant de pouvoir l’utiliser, alors que maintenant il suffit de quelques minutes, grâce entre autres au progrès des méthodes permettant d’adapter des modèles existants à une nouvelle voix. La reconnaissance du locuteur est une technique de biométrie, parmi d’autres, comme les empreintes digitales ou le balayage de la rétine, qui permettent d’autoriser un accès à des documents confidentiels, ou de sécuriser un ordinateur portable, par exemple. Elle a l’avantage d’être moins intrusive, ce qui lui ouvre d’autres applications, comme la confirmation de l’identité d’un interlocuteur au cours d’une conversation téléphonique. »

« La reconnaissance de la parole est un domaine où l’on n’observe pas de grands bonds en avant, mais des améliorations graduelles, et constantes, je dirais depuis les 20 dernières années, souligne Gilles Boulianne. L’impact de ces recherches sur les outils de bureautique sera surtout de faciliter leur utilisation, car le principal problème est qu’il faut encore adapter l’outil à la voix de son utilisateur; à un moment donné, les taux d’erreurs seront suffisamment faibles au départ pour que cette adaptation ne soit plus nécessaire. »

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