La violence dans les jeux vidéo : un débat obsolète?

Deux chercheurs de l’École médicale de Harvard soutiennent que le débat autour de l’impact des jeux vidéo violents sur la criminalité est aussi obsolète que celui autour des romans d’aventures sensationnels au XIXe siècle.

Est-ce correct que des ados et des préados s’amusent à faire éclater – sur écran ACL, s’entend – la cervelle de malfrats et de marginaux? Est-ce socialement acceptable qu’une industrie vive et prospère de la vente de jeux vidéo dont la raison d’être est de permettre au joueur de donner libre cours à ses instincts les plus violents? Ce ne l’est certainement pas moins qu’une industrie qui vit et prospère de la vente d’armes servant en toute légalité à détruire des êtres humains, bien réels cette fois.

Aux dires de Chreyl Olson et Lawrence Kutner, deux chercheurs de la faculté de psychiatrie de l’École médicale de Harvard qui ont collaboré à une vaste étude dont les résultats ont été publiés plus tôt cette année, il s’agit d’un débat obsolète. Aussi obsolète que l’a été celui entourant l’avènement du roman d’aventures sensationnel en format compact bon marché (Dime novel ou Penny Dreadful) vers les années 1870 et, plus tard, des films de gangsters et de la bande dessinée d’horreur. On arguait qu’en dépeignant des habitudes de vie hors-norme, ces ouvrages littéraires de « bas étage » allaient inciter les jeunes, et plus particulièrement les jeunes filles, à adopter un comportement délinquant et violent. Plus d’un siècle plus tard, l’objet de récriminations a changé, mais l’argumentation est foncièrement la même.

Intitulé « Grand Theft Childhood : The Surprising Truth about Violent Video Games and What Parents Can Do », l’ouvrage, dont il a été question lors d’une conférence donnée par les coauteurs à la dernière édition du Sommet international du jeu de Montréal (SIJM 08), s’appuie sur une vaste enquête menée auprès de 1 254 jeunes de 12 à 14 ans et de 500 de leurs parents aux États-Unis. Le SIJM 08, dont c’était la cinquième édition, a rassemblé 1 500 spécialistes du secteur qui sont venus des Amériques et d’Europe pour entendre ce que 88 conférenciers avaient à dire à propos de jeux vidéo.

Le titre de l’ouvrage fait référence au jeu Grand Theft Auto de Rockstar Games, célèbre pour son caractère violent et dont la première version a été lancée en 1997. Malgré le fait qu’il s’adresse à un public adulte, ce jeu est, selon les résultats de l’enquête, le jeu le plus utilisé par les jeunes de 12 à 14 ans (!). L’étude conclut aussi que la presque totalité des jeunes a déjà joué à un jeu vidéo (seul 17 des 1 254 jeunes interrogés n’ont jamais touché à un jeu vidéo) et que les filles, bien qu’elles jouent moins que les gars, placent Grand Theft Auto en deuxième position des jeux qu’elles préfèrent, juste après The Sims. « On a fait cette étude-là parce que les gens véhiculaient plein d’idées préconçues, sans qu’il existe de données sur le sujet », explique M. Kutner.

Outre l’intéressant parallèle qu’ils ont établi avec l’ancêtre du roman de poche, les deux chercheurs croient, en fait, que les jeux vidéo violents, bien qu’ils banalisent le recours à la violence, ne concourent pas à rendre les jeunes plus violents et peuvent même jouer un rôle bénéfique auprès de ceux-ci. Selon un rapport du FBI cité par les coauteurs, la violence armée parmi les adolescents a diminué depuis 1994, bien que les cas de voies de fait sans arme aient augmenté.

« Les tueries dans les écoles ont alimenté et intensifié le débat à la fin des années 1990 », reconnaît M. Kutner, qui estime qu’on ne peut établir de lien de causalité entre les tueries et les jeux vidéo. Les auteurs de ces drames se caractérisent davantage par leur masculinité et leur caractère dépressif que par leur intérêt pour les jeux vidéo violents (seul un des huit tireurs s’intéressait aux jeux vidéo). « Il faudrait plutôt regarder du côté de la violence domestique pour expliquer la hausse des cas de voies de fait, ajoute-t-il. C’est facile d’attribuer la hausse de la violence à une cause unique, mais c’est souvent plus complexe que ça. »

La frontière entre le rêve et la réalité

C’est que les jeunes, en règle générale, sont parfaitement capables de faire la différence entre la fiction et la réalité et sont donc conscients que ce qu’ils font dans ces jeux relève de la fantaisiste pure. Cette capacité a été mise en relief lors des multiples entrevues réalisées par les chercheurs. En revanche, les parents, qui sont surtout préoccupés par la présence de contenus à caractère sexuel dans les jeux violents, ne sont pas aussi sûrs de la capacité des enfants à faire cette distinction, surtout de ceux des autres…

« Le côté sanguinaire des jeux ne dérange pas tellement les jeunes, parce qu’ils savent bien qu’ils ne peuvent pas faire la même chose dans la vraie vie, même ceux qui vivent dans des quartiers défavorisés, souligne M. Kutner. Ce n’est pas parce qu’on joue à des jeux violents qu’on devient nécessairement insensible à la violence. Par contre, tout ce qui tourne autour de l’amour et de la sexualité les rend mal à l’aise. »

« Les enfants font la différence entre la fiction et la réalité, de renchérir Mme Olson. D’ailleurs, les nouvelles à la télé, avec leur lot d’histoires d’horreur, effraient bien plus les enfants que les jeux vidéo, parce que ce qu’on y montre s’est vraiment passé. »

En fait, ce qui attire les jeunes dans les jeux vidéo violents n’est pas tant leur caractère violent, bien que ça apporte un élément d’excitation indéniable, que la complexité de l’intrigue et des enjeux qu’ils véhiculent.

Mais au-delà de la fonction de divertissement du jeu, celui-ci permettrait au jeune confronté à des situations difficiles, à la maison comme à l’école, de gérer plus facilement ses émotions. En offrant un exutoire à la colère et à la frustration, le jeu vidéo violent agirait ainsi à titre de soupape. Il s’agit d’un des avantages qu’offre ce type de jeu. « Dans les familles où les parents se chicanent souvent et parlent de divorce, les jeunes vont faire passer leurs angoisses dans le jeu », note Mme Olson en précisant que seulement 8 % des jeux offerts sur le marché sont destinés à un public adulte. « Mais on ne sait pas s’il y a des effets secondaires à cette façon de gérer les émotions, si les enfants ne vont pas développer une certaine dépendance au jeu, comme d’autres à l’alcool. »

Aussi, le jeu vidéo violent ferait prendre conscience au jeune des conséquences de ses actes, puisque les actions qu’ils posent dans le cadre du jeu engendrent des conséquences avec lesquelles il doit vivre ensuite. Et puisque les jeux vidéo violents se jouent souvent à plusieurs, notamment via Internet, ils favoriseraient la socialisation parmi les jeunes, ce qui en constitue le troisième avantage cité par les auteurs de l’étude.

Alain Beaulieu est adjoint au rédacteur en chef au magazine Direction informatique.


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