La saga de la fusion Rogers-Shaw : bilan 2022

La saga de la fusion Rogers-Shaw a suivi un chemin cahoteux en 2022, à la suite des revers de plusieurs « chiens de garde » de la concurrence, de quelques victoires de courte durée, de nouvelles entreprises et de désillusion après un trop grand nombre de rencontres de médiation sans succès.

Les investisseurs de Rogers espéraient un peu de répit avant Noël, mais le Tribunal de la concurrence n’a pas encore pris de décision sur l’accord, deux semaines après que les deux géants des télécommunications, Rogers et Shaw, eurent déposé leurs plaidoiries finales dans une bataille judiciaire avec le Bureau de la concurrence. 

Voici un résumé des événements clés :

En mars 2021, Rogers a proposé une prise de contrôle de Shaw Communications pour 26 milliards de dollars canadiens, une décision qui réduirait le nombre d’opérateurs sans fil canadiens de quatre à trois. L’entente devait être approuvée par le Bureau de la concurrence, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ( CRTC ) et le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique (ISDE).

Un an plus tard, après que le CRTC eut approuvé l’entente à la suite de sa propre audience de cinq jours, le Bureau de la concurrence a bloqué la fusion, arguant que l’entente nuirait à la concurrence.

Après l’échec d’un processus de médiation de deux jours avec le bureau en juillet, Rogers et Shaw ont annoncé en août 2022 la vente pour 2,85 milliards de dollars de la société de télécommunications sans fil de Shaw, Freedom Mobile, à la filiale de Québecor, Vidéotron, dans l’espoir d’apaiser les inquiétudes concernant la domination du marché par Rogers.

Cette manœuvre n’a pas non plus convaincu les régulateurs antitrust, amenant les deux géants des télécommunications à affronter le Bureau de la concurrence dans une bataille juridique qui a débuté en novembre, dans l’espoir de mettre fin à une saga de 20 mois.

Voici quelques-uns des arguments déposés au cours des six semaines d’audiences devant le tribunal :

Les principaux arguments du Bureau de la concurrence tournaient autour du risque d’augmentation des factures de téléphone cellulaire et de service de moins bonne qualité, qui devrait toucher des millions de personnes.

« L’entité fusionnée aura la capacité et l’incitatif d’augmenter les prix et de réduire la qualité immédiatement après la clôture de la fusion proposée. Les conditions de service permettent aux transporteurs de modifier n’importe quelle condition de leur contrat, y compris les frais, simplement en donnant un préavis de 30 jours. »

Le bureau a également cité la panne de Rogers du 8 juillet pour démontrer la fiabilité déjà médiocre du réseau de télécommunications.

Le nombre de réseaux distincts dans l’Ouest canadien passerait également de trois à deux, ce qui entraînerait moins de concurrence et moins d’investissements, a affirmé l’avocat de l’organisme de surveillance de la concurrence.

De plus, le commissaire a fait valoir que la défense des telcos concernant l’intention d’aider les entreprises canadiennes à réaliser les économies d’échelle nécessaires pour contrer la concurrence étrangère est sans fondement. « Rogers achète un concurrent national, non pas pour concurrencer à l’échelle internationale, mais pour consolider sa position nationale en éliminant un concurrent régional efficace. »

L’avocat du bureau a également fait valoir que la vente de Freedom Mobile à Quebecor placerait Vidéotron dans une « vulnérabilité grave », créant une « relation de dépendance sans précédent entre le concurrent des Trois Géants et Vidéotron, un acteur régional nettement plus petit que Shaw ». Vidéotron, a-t-il soutenu, avait auparavant accusé Rogers d’avoir saboté son entente de partage de réseau au Québec.

Shaw Mobile, en tant qu’entreprise sans fil autonome, était une force perturbatrice, a fait valoir le bureau, car elle « favorise une concurrence vigoureuse » en offrant des options de services groupés à des prix inférieurs à un nombre croissant de nouveaux abonnés. Les Trois Géants (Rogers, Bell, Telus) ont répondu avec leurs propres réductions de prix et des forfaits de données plus importants qui sont rentables pour les consommateurs.

En réponse, les avocats de Rogers ont affirmé que Shaw, en fait, faisait face à de sombres perspectives sans la prise de contrôle de Rogers et ont fait valoir que l’accord était « pro-concurrence », permettant à l’entité combinée de Rogers et de Shaw de mieux concurrencer sur le marché concentré des télécommunications au Canada.

Le rôle de l’opérateur concurrent Telus a été particulièrement disséqué lors des audiences, car les opérateurs de télécommunications ont fait valoir que Rogers et Shaw perdaient régulièrement des parts de marché au profit de Telus, ce qui a entraîné des hausses de prix. « Tout le monde reconnaît que Rogers fera face à la même pression concurrentielle exercée par Telus, car c’est de loin le joueur dominant en Colombie-Britannique et en Alberta », ont soutenu les avocats des opérateurs télécoms.

De plus, le témoignage de Quebecor a révélé qu’elle pourrait lancer des services sans fil 5G à l’extérieur du Québec dans les trois mois suivant l’acquisition de Freedom, et qu’elle obtiendrait quatre ans d’accès gratuit à l’infrastructure qui relie le cœur de réseau à l’équipement à ses périphéries de Rogers.

Lors des plaidoiries finales, les opérateurs de télécommunications ont souligné que le bureau n’a pas été en mesure de prouver que le préjudice allégué d’une concurrence réduite l’emporte sur l’efficacité de l’accord. Se référant au droit de la concurrence comme « l’intellectualisation du bon sens », les avocats se sont demandé si les mesures « draconiennes » préconisées au nom de la politique de la concurrence étaient « fidèles aux réalités commerciales de l’industrie et à la politique réglementaire », et si le blocage de l’accord est dans l’intérêt des consommateurs.

Le Bureau de la concurrence a, pour sa part, souligné que les gains en efficience revendiqués par Rogers-Shaw-Quebecor grâce à l’entente proposée sont sans fondements.

Si aucune décision n’est prise avant la fin de cette année, Rogers fera face à des centaines de millions de dollars de frais pour ses prêteurs et risque une poursuite de Shaw si les choses ne se passent pas comme prévu.

Le juge en chef Paul Crampton a déclaré que le Tribunal de la concurrence reconnaît les risques financiers auxquels Rogers est confronté, mais prendra le temps nécessaire pour rendre « une décision juste et éclairée ».

L’article original (en anglais) est disponible sur IT World Canada, une publication sœur de Direction informatique.

Adaptation et traduction française par Renaud Larue-Langlois.

Ashee Pamma
Ashee Pamma
Ashee est rédactrice pour IT World Canada. Elle a obtenu son diplôme en communication et études médiatiques à l'Université Carleton à Ottawa. Elle espère devenir chroniqueuse après d'autres études en journalisme. Vous pouvez lui envoyer un courriel à [email protected]

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