Être à la fine pointe des TI ne suffit plus

Être à la fine pointe des technologies de l’information ne suffit plus. Les entreprises qui auront du succès sont celles qui tiendront compte de l’humain derrière la machine.

Tomas S. Tullis observe depuis 30 ans les interactions entre les humains et les interfaces. Professeur en design des systèmes de l’information à l’Université Bentley, au Massachusetts, il a publié plus de 35 articles scientifiques sur le sujet et détient huit brevets d’invention aux États-Unis. Il sera de passage à Montréal le 20 septembre prochain dans le cadre d’une conférence internationale présentée par Yu Centrik et Uxalliance sur le design de l’expérience utilisateur. Il a répondu aux questions de Direction Informatique.

DI: Qu’est-ce que les organisations peuvent gagner à mesurer l’expérience utilisateur de leur site ou application web?

Tom Tullis En utilisant certains tests de convivialité et d’ergonomie, les entreprises peuvent identifier les zones ou sections de leur site qui nécessitent une attention particulière et concentrer leurs ressources à améliorer celles-ci. Sur le web en particulier, si vous n’améliorez pas constamment l’expérience vécue par les usagers, vous prenez du retard par rapport à vos compétiteurs, dont le site est souvent à un clic de souris du vôtre!

DI: Parmi les tests qui existent déjà, comme le eye tracking, lequel offre le meilleur retour sur l’investissement?

Tom Tullis Le meilleur retour sur l’investissement viendra du test qui vous donnera les résultats les plus tangibles. Le plus important est d’avoir de la rétroaction de vos véritables utilisateurs et non des utilisateurs en général. Vous devez aussi cibler les actions qui sont représentatives des besoins réels de vos utilisateurs et de ce qu’ils veulent faire avec votre produit. Si ces critères ne sont pas respectés, vous perdez votre argent. Recueillir des données sur les produits de vos compétiteurs peut aussi être très utile. Vous pourrez ainsi identifier les sections de votre site qui performent moins bien que ceux de la concurrence.

DI: L’utilisateur évolue avec les années. Qu’est-ce qui a changé dans sa relation avec les interfaces?

Tom Tullis En 30 ans de travail dans le domaine de la convivialité, j’ai vu beaucoup de changements de comportement. Plusieurs de ces changements sont intimement liés à l’évolution de la technologie. Les êtres humains ont une capacité d’adaptation incroyable. Nous apprenons et évoluons constamment. La plupart d’entre nous ne nous rappelons pas de la première fois où nous avons utilisé une souris, mais dans les années 80, lorsque je testais des interfaces graphiques, je voyais beaucoup d’utilisateurs en arracher avec ce petit objet! De même, il y a cinq ans, il était rare de voir des participants utiliser la fenêtre de recherche pour trouver ce qu’ils cherchaient dans un site. Maintenant, c’est souvent la première chose qu’ils font. J’appelle ça l’Effet Google.

DI: Par ailleurs, y a-t-il des choses qui ne changent pas?

Tom Tullis Nous acquérons de nouvelles compétences, qui changent par la suite notre comportement. Mais il y a aussi des choses qui ne changent pas, comme les limites et les capacités humaines. Je ne connais encore personne qui peut lire du texte en 4 points sur un écran d’ordinateur! Je sais aussi que la plupart des gens peuvent lire plus vite du texte en lettres majuscules et minuscules plutôt qu’en majuscules seulement.

DI: Quel impact a eu l’émergence des écrans tactiles?

Tom Tullis Le principal impact chez l’utilisateur est la confusion. Il ne sait pas quels items peuvent être touchés et quoi faire avec ceux-ci. Les écrans tactiles sont une grande invention, mais nous ne maîtrisons pas encore l’art de fournir des indices visuels efficaces pour indiquer clairement à l’usager quels items il peut toucher et comment il peut les manipuler. La plupart des gens tâtonnent en touchant plusieurs éléments. Ils expérimentent en manipulant et en tournant l’interface dans tous les sens pour voir ce qui va se passer. Ce n’est pas nécessairement négatif, mais cela peut devenir frustrant si vous n’arrivez pas à faire ce que vous voulez.

DI: La règle des « trois clics », comme étant le minimum qu’un utilisateur doit faire pour trouver ce qu’il cherche est-elle toujours pertinente?

Tom Tullis Je pense qu’elle ne l’a jamais été! Les usagers cliquent tant et aussi longtemps qu’ils ont l’impression de progresser vers leur but. Ils continueront de cliquer si ça ne leur demande pas d’efforts. Ce qui frustre un usager, c’est de devoir cliquer plusieurs fois simplement pour se retrouver, sans progresser. Il risque alors d’abandonner. Ce sera le cas aussi lorsqu’il ne sait pas sur quoi cliquer. Nous pouvons comparer ce phénomène à la Paralysis du choix en économie. Les consommateurs à qui on présente trop d’options suspendent plus souvent leur décision d’achat que ceux à qui on présente moins de choix différents.

DI: Est-ce que les tests qui font appel à un grand bassin d’usagers sont plus utiles que les tests plus restreints en laboratoire?

Les deux peuvent être très utiles, tout dépend de vos buts. Les études en ligne, à grande échelle, sont très utiles pour comparer deux designs et voir lequel est le plus efficace. Les études en petits groupes sont généralement meilleures pour identifier les problèmes que les usagers rencontrent. L’avantage est que vous pouvez observer en direct leurs réactions et au besoin leur demander ce qu’ils pensent ou à quoi ils s’attendent dans différentes parties de l’interface. Personnellement, je fais régulièrement les deux, pour un même site ou une application.

DI: Est-ce que les médias sociaux transforment le design de l’expérience utilisateur?

Tom Tullis Certainement. Par exemple, plusieurs personnes veulent lire les critiques ou commentaires émis par d’autres consommateurs avant d’acheter un produit. Au-delà de la machine, nous sommes des êtres profondément sociaux. Nous avons besoin d’interagir. À preuve, l’activité la plus courante encore sur le web est l’envoi de courriel. Les usagers vont donc réagir positivement à un site qui leur présente de nouvelles façons d’interagir et d’apprendre des autres, particulièrement quand c’est présenté de manière simple et ludique.

DI: Y a-t-il des secteurs d’industrie qui font mieux que d’autres en matière d’expérience usager?

Tom Tullis Ce n’est pas tant une question d’industrie qu’une question de coût pour l’utilisateur de passer d’un produit, d’un site ou d’une application à l’autre. Quand ce coût est bas, on doit constamment améliorer l’expérience de l’usager pour demeurer compétitif. C’est le cas, par exemple, dans le secteur du voyage. Passer d’un site à l’autre pour organiser un voyage ne demande pas un grand investissement de la part de l’utilisateur. Les entreprises qui offrent ses services doivent donc améliorer constamment l’expérience qu’elles offrent. Par ailleurs, le coût associé à l’utilisation d’un système d’imagerie médicale sophistiqué est beaucoup plus élevé pour un utilisateur, qui doit investir du temps pour apprendre à l’utiliser. Dans ce cas, même si beaucoup de compétiteurs offrent le même type de produit, l’utilisateur ne passera pas facilement d’un à l’autre. Cependant, les entreprises qui croient avoir une clientèle captive doivent aussi réaliser qu’une expérience pauvre peut aussi éloigner les usagers à plus long terme.

DI: En matière de design, vous parlez d’une approche de plus en plus centrée sur le « bien-être » plutôt que sur la « maladie ». Que voulez-vous dire?

Tom Tullis Traditionnellement, les tests de convivialité se sont concentrés sur l’identification des problèmes majeurs d’un système. On se demande: qu’est-ce qui ne va pas avec ce patient? Je crois qu’il faut faire plus que ça. Nous devons aller au-delà des problèmes pour identifier et quantifier les aspects d’un design qui fonctionne bien pour l’utilisateur. C’est comme l’approche d’un coach de vie qui travaille avec vous pour identifier les choses que vous pouvez faire pour améliorer votre santé. Ça ramène à une idée de Bill Buxton, un chercheur canadien qui est maintenant chez Microsoft et qui dit que trop souvent nous essayons de « réparer » un mauvais design, plutôt que de trouver le meilleur design pour ce qu’on veut que l’utilisateur accomplisse.

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