Diia – L’Ukraine met en place un gouvernement numérique de premier plan malgré une guerre. Quelle est notre excuse ?

L’Ukraine a réussi à mettre en place un ensemble étonnamment complet de services gouvernementaux numériques, avec 70 services publics clés disponibles, la moitié de la population adulte y participant et un objectif de numérisation de tous les services gouvernementaux d’ici 2024 – malgré le fait que le pays se bat pour son existence même, dans une guerre avec la Russie.

Cet accomplissement remarquable a été présenté lors d’une réunion spéciale du CIO Strategy Council, un regroupement des principaux DSI et leaders de l’industrie au Canada.

Le sénateur Colin Deacon a ouvert l’événement exclusif en présentant Mstyslav Banik, directeur de la direction du développement des services électroniques au ministère ukrainien de la transformation numérique. Banik est apparu via Zoom depuis l’Ukraine. Un enregistrement vidéo de la présentation (en anglais) est disponible en suivant ce lien.

Selon le sénateur Deacon, l’un des premiers actes de Volodymyr Zelenskyy en tant que président, immédiatement après l’élection, a été de créer le ministère de la Transformation numérique dans le but exprès de « construire le pays le plus pratique du monde », et non seulement de numériser les services, mais de les simplifier et de réinventer leur mode de livraison.

Étude de cas

Deacon a ensuite publié une étude de cas complète, qui peut être téléchargée (en anglais) via ce lien.

L’engagement indéfectible de Zelenskyy envers cette initiative se reflète dans le nom de l’application mobile qui est le centre et le symbole de la prestation de services gouvernementaux. Elle se nomme Diia qui, en ukrainien, signifie « action ». C’est, à juste titre, aussi un acronyme qui, traduit librement, signifie « rencontrer l’État ».

L’engagement personnel de Zelenskyy a fourni la « volonté politique » qui a conduit au succès de ce projet même en pleine guerre, selon Banik.

Il a expliqué que le gouvernement ukrainien, semblable à notre gouvernement fédéral, compte de nombreux ministères qui pourraient et ont effectivement opposé une résistance au changement massif que représentait ce projet. L’équipe chargée de la conception et de la mise en œuvre était composée en grande partie de professionnels de la technologie qui – et Banik s’est inclus avec un sourire penaud – « ne comprenaient pas vraiment la politique ».

Le monde en est venu à voir Zelenskky comme un brillant tacticien en temps de guerre, mais selon Banik, il est également un maître de la politique gouvernementale.

Zelenskky a nommé un agent principal de la transformation numérique et s’est assuré que chaque ministère avait un poste similaire à ce qui s’apparenterait au niveau de sous-ministre au Canada – un poste gouvernemental extrêmement puissant. Cela a envoyé un message aux chefs de tous les ministères.

Il a également envoyé un message clair à l’équipe chargée de la conception et de l’exécution que la tâche du personnel de la transformation numérique était de « donner une victoire au chef du département gouvernemental ».

Selon Banik, le chef d’un département, une figure à la fois physiquement et politiquement imposante, a juré qu’il « n’y aurait jamais de passeport numérique ». Des mois plus tard, il assistait à une conférence de presse pour saluer les premiers pas réussis de son département vers un passeport numérique.

Embûche après embûche ont été supprimées par cette équipe incroyable en utilisant tous les moyens, de la persuasion à ce que nous pourrions considérer comme du salissage sur les réseaux sociaux.

L’équipe a fait ses devoirs. Elle a identifié les principales entreprises qui devraient adopter des signatures et des documents numériques pour fournir une masse critique. Lorsque le responsable de l’une des grandes banques a déclaré que sa banque ne soutiendrait pas cela, ils ont souligné que potentiellement des milliers, voire des centaines de milliers de clients qui utilisaient avec succès l’application Diia devraient renoncer à la commodité ou passer à une autre banque.

Avec la participation de la moitié de la population adulte de l’Ukraine, la capacité d’une entreprise à résister à l’adoption a été considérablement réduite.

L’Ukraine a également adopté une loi rendant illégal le refus d’accepter des documents numériques. Pour toute entreprise qui refuserait ou résisterait encore, les médias sociaux étaient utilisés pour leur faire honte, avec des vidéos de clients mécontents devenant virales en Ukraine. L’impact des médias sociaux, selon Balik, a été énorme.

Le soutien du public a été essentiel au succès de la mise en œuvre, mais il a été bien mérité. L’équipe n’a pas seulement conçu un portail et une application, elle a repensé les services gouvernementaux et les a simplifiés pour les rendre plus pratiques. Ils ne se sont pas contentés de numériser le passeport, ils ont cherché à « réinventer le concept de passeport ». Dans un autre exemple, Balik a noté qu’un formulaire qui avait 58 champs était simplifié à 10 champs. Même après cela, ils ont continué à pousser pour rendre le processus plus aisé, dans le but de réduire encore plus les intrants.

Avant même le début du développement de l’application, elle a eu une consultation et une communication substantielles avec toutes les parties prenantes. Cette communication n’a pas pris fin lorsque le portail et l’application ont été créés. Il existe une importante composante de formation basée sur la vidéo qui offre un soutien à toute personne essayant d’apprendre à utiliser l’un des services gouvernementaux numériques. Elle prévoit également tester les stagiaires, et la formation rencontre un tel succès que les futurs employeurs veulent que les résultats des tests prouvent que les candidats sont compétents en matière de services numériques.

Pour encourager l’utilisation, l’application Diia a également permis la diffusion en direct de chaînes de télévision, y compris le grand concours Eurovision mettant en vedette un groupe de musique ukrainien.

Bien que cela puisse sembler étranger en termes de conception, ce n’était pas seulement populaire – c’était prémonitoire. Avec les Russes attaquant les sites des médias, le gouvernement avait une communication bidirectionnelle populaire avec la population. Non seulement le gouvernement pourrait faire passer son message, mais il pourrait aussi consulter les citoyens. Ils obtiennent, selon Banik, entre un et deux millions de réponses à des sondages ou autres demandes d’avis et de consultation des citoyens.

La sécurité et la confidentialité sont les principaux obstacles perçus à l’identification numérique et au gouvernement numérique. L’application et le portail sont conçus pour séduire les utilisateurs en offrant une meilleure protection que les documents physiques.

Ne faisant confiance ni au nuage ni à l’appareil, la signature numérique est divisée en deux, une moitié étant conservée dans le stockage en nuage du gouvernement et l’autre moitié sur l’appareil du citoyen. Lorsque l’identité est confirmée, la signature est réunie.

Même lorsque des documents sont demandés, ils ne sont pas stockés dans l’application. Les informations pertinentes sont demandées au registre gouvernemental et une preuve est fournie au besoin. Mais qu’il s’agisse d’une signature ou de codes, qu’il s’agisse de codes QR, de codes-barres ou de clés numériques pour les services financiers, ils sont conçus pour être actualisés toutes les trois minutes, ce qui rend presque impossible pour quelqu’un de les copier par photo ou autre duplication,

La popularité de l’application et les services générés acomplissent ce que les signatures numériques devraient faire – offrir de meilleurs niveaux de confidentialité et de sécurité. Aujourd’hui, l’application peut être utilisée pour se connecter ou accéder à des services à la place des fournisseurs de connexion traditionnels – Facebook, Google ou d’autres services. Cela garantit que la connaissance de ce à quoi un citoyen accède reste entre le ministère et le citoyen. Il n’est pas nécessaire qu’un tiers puisse monétiser ces informations ou les stocker de manière non sécurisée.

Des leçons à tirer

Que pouvons-nous apprendre au Canada de l’Ukraine ? J’espère que nous sommes déjà en train d’apprendre et qu’il y a des signes que les gouvernements adoptent une nouvelle approche des initiatives d’e-gouvernement dans tous les secteurs. Nous avançons, mais avons-nous avancé assez hardiment et assez rapidement ?

L’idée qu’il faille simplifier le processus avant de créer un portail ou une application en ligne est essentielle. Nous serions tous mieux servis si notre objectif n’était pas seulement de mettre un service en ligne, mais d’en faire « le service le plus pratique ». Comme l’Ukraine, nous devons penser à réinventer des choses que nous tenons pour acquises afin de les rendre plus efficaces.

Avoir la volonté politique de surmonter la résistance au changement même des plus puissants est quelque chose que nous pouvons apprendre. Les gouvernements ont traditionnellement trouvé de nombreuses raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas simplifier un processus. Ce que COVID nous a appris, c’est que les choses que nous « ne pouvions pas faire », pouvaient être faites si nous avions la volonté de le faire.

La sécurité ne peut pas être une excuse pour l’inaction. Nous devons exiger des solutions créatives pour améliorer la sécurité sans perdre en commodité.

Il faut rendre ça facile et divertissant. Avoir les finales de l’Eurovision sur le portail gouvernemental était un divertissement, mais cela a aidé à créer une énorme base d’utilisateurs qui n’étaient pas seulement engagés, ils étaient des fans.

N’ayez pas peur d’utiliser un grand nombre de participants et les pouvoirs législatifs pour vous assurer que les entreprises et les parties prenantes acceptent l’application et les normes afin que les citoyens bénéficient de plus de valeur et de commodité.

Une occasion de partager et de prendre les devants

L’expérience ukrainienne du gouvernement numérique a été un tel succès que même l’Estonie – le pionnier mondial en matière de gouvernement numérique – a cherché à adopter le modèle ukrainien pour ses services numériques.

L’Ukraine a été plus que disposée à partager ses informations, et même son code source, avec les gouvernements et les organismes de normalisation comme le CIO Strategy Council. En offrant de partager ses expériences, l’Ukraine apporte une contribution à ses citoyens et aux citoyens des pays du monde entier. Elle nous offre son expérience et même sa conception – en autant que nous sommes disposés et capables d’accepter un tel cadeau de cette nation assiégée qui a prouvé qu’il est possible de numériser le gouvernement même en temps de guerre.

Mais le partage n’est efficace que si nous avons des cadres et des normes communs qui nous permettent de partager nos innovations. Avec les normes, nous pouvons innover en sachant que ce que nous développons peut être largement partagé et utilisé. L’élaboration de normes est un endroit où le Canada peut vraiment faire progresser son propre gouvernement numérique.

Le CIO Strategy Council est un véhicule stratégique pour ce type de leadership. Il ne s’agit pas seulement d’un forum national de discussions, il élabore des normes utilisées au Canada et dans le monde entier. Il poursuit également un rôle stratégique complémentaire en devenant un organisme accrédité chargé de délivrer des marques de certification aux principales organisations qui respectent les normes nationales reconnues en matière de gouvernance numérique. Si nous pouvons tirer parti de groupes comme celui-ci et continuer à rassembler tous les acteurs pour trouver un terrain d’entente, nous pouvons nous aussi apporter une contribution à nos citoyens et sur la scène mondiale.

L’article original (en anglais) est disponible sur IT World Canada, une publication sœur de Direction informatique.

Adaptation et traduction française par Renaud Larue-Langlois.

Jim Love
Jim Love
Jim œuvre dans les domaines de l'informatique et des affaires depuis plus de 30 ans. Il a gravi les échelons à partir de la salle du courrier et a fait tous les métiers, du commis au courrier au PDG. Aujourd'hui, il est directeur des systèmes d'information et de la stratégie numérique chez IT World Canada – le leader canadien de l'édition en TI et du marketing numérique.

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