Capazoo: les ambitions démesurées d’un réseau social déchu

L’Autorité des marchés financiers entame des procédures judiciaires contre trois dirigeants de Capazoo, dont l’homme d’affaires Paul Delage Roberge. Ce réseau social, qui n’aura duré que quelques mois, avait l’ambition de surpasser Facebook et MySpace en offrant une compensation monétaire à ses participants. Résumé.

L’Autorité des marchés financiers a entamé des poursuites envers trois dirigeants de Capazoo World, une entreprise de Montréal qui a exploité un réseau social nommé Capazoo à partir de l’automne 2007, et ce, durant quelques mois seulement.

L’AMF a déposé 16 chefs d’accusation envers Luc Verville, le président de l’entreprise, en lui reprochant d’avoir exercé des activités de courtier en valeurs sans être dûment inscrit auprès de l’organisme lors du placement d’actions de son entreprise. On reproche également au dirigeant d’avoir procédé à un investissement sans avoir établi de prospectus, ainsi que d’avoir déclaré que les titres de son entreprise seraient inscrits en bourse sans en avoir avisé l’AMF. L’organisme réclame un total de 120 000 $ en amendes.

Les deux autres dirigeants visés par la procédure sont accusés d’avoir exercé des activités de courtier en valeurs sans être inscrits auprès de l’AMR lors d’un placement d’actions et d’avoir procédé à un investissement sans avoir établi de prospectus. Le premier est Denis Richard, qui agissait à titre de directeur des ventes pour Capazoo.

Le deuxième est Paul Delage Roberge, un homme d’affaires bien connu au Québec pour avoir fondé et dirigé Les Boutiques San Francisco, un regroupement de plusieurs bannières de boutiques de vêtement, dont les complexes Les Ailes de la Mode. M. Delage Roberge, qui est membre du conseil d’administration de la bannière Bikini Village et dirige un réseau privé de gens d’affaires nommé RezoPDR http://www.rezopdr.com/ , agissait à titre de président de Capazoo Québec, la division québécoise du réseau social Capazoo.

Approche nébuleuse

Le réseau Capazoo n’aura existé que quelques mois, mais ses traces laissées en ligne laissent croire que les ambitions des fondateurs étaient démesurées.

Lors de son lancement, le 22 octobre 2007, un communiqué en anglais publié de New York – où est établie la firme de relation publique 5WPR qui était responsable des relations de presse – présentait Capazoo comme un modèle « radicalement différent » de réseautage social et de divertissement en ligne qui permet à ses participants « d’obtenir une reconnaissance personnelle et de générer des revenus réels en fonction de leur contenu et de leur participation à des fonctions et services du site ». Les dirigeants du réseau social, à plusieurs reprises, ont évoqué le souhait de surpasser des réseaux établis comme MySpace et Facebook…

Le modèle commercial prôné par Capazoo reposait sur l’obtention de points – des « Zoops » – par le biais de « pourboires » (Tips) qui seraient attribués entre les membres pour récompenser leurs contributions de contenu au réseau. Un Zoop valait un sou américain et un membre pouvait attribuer un maximum de 1 000 Zoops par jour.

Alors que l’adhésion de base au réseau était gratuite, les membres pouvaient adhérer à un niveau Privilège ou VIP, à des frais annuels respectifs de 24,95 $US et 34,95 $US, pour accéder à des sections réservées du site et obtenir des rabais pouvant atteindre 50 % auprès de « plus de 300 000 marchands de grande marque en Amérique du Nord ». Surtout, ces adhésions payantes devaient permettre d’obtenir la Capazoo Cash Card, une carte de débit qui devait permettre de convertir des Zoops en argent sonnant, à raison de 100 Zoops pour 1 $US. Cette carte devait être utilisable dans les guichets automatiques et les consoles de paiement direct du monde entier, en plus de permettre des transferts de fonds de carte à carte.

De plus, les adhérents pouvaient obtenir des Zoops lors de la référence d’amis aux comptes payants, et ce, jusqu’à quatre niveaux d’adhésion. Ainsi, lorsqu’un ami d’un ami d’un ami d’un membre devenait un adhérent payant, toutes les personnes situées dans cette chaîne devaient recevoir des Zoops. Aussi, Capazoo disait vouloir encourager des fondations et des organismes de charité à joindre le réseau pour obtenir une forme de financement par le biais de l’obtention de Zoops d’autres membres. Les organismes caritatifs étaient aussi invités à inciter leurs membres et les personnes inscrites à leurs listes de donateurs à joindre le réseau Capazoo.

Capazoo affirmait que les membres pourraient bénéficier d’un partage des revenus publicitaires et des profits de l’entreprise. Les exploitants affirmaient qu’ils allaient redistribuer aux membres « un pourcentage » des revenus publicitaires chaque mois ainsi que 7 % de profits nets trois fois par année. Alors que les membres gratuits devaient recevoir un montant équivalent à une part, les membres Privilège devaient recevoir 20 fois cette part et les membres VIP 40 fois cette part.

Des investisseurs, des fournisseurs de contenu… et une starlette

L’entreprise Capazoo World aurait été fondée en 2006 par deux frères, Luc et Michel Verville. Les investisseurs qui ont appuyé financièrement le projet inclueraient Paul Delage Roberge ainsi que des joueurs de hockey professionnels de la Ligue nationale de hockey. Internet Wayback Machine a recensé les premières traces de Capazoo le 21 avril 2006.

Le 11 septembre 2007, Capazoo.com annonçait l’entrée en service prochaine du réseau social. Deux jours après l’inauguration publique du réseau, le 22 octobre 2007, les exploitants annonçaient d’un partenariat de marketing et de diffusion de contenu avec ComedyNet, un exploitant de réseau de télévision par câble spécialisé en comédie, afin d’offrir du contenu de coulisse et des fonctions spéciales sur Capazoo. L’entreprise québécoise avait annoncé quelques semaines plus tard, une entente de fourniture de contenu avec 29Sports.com , un site Web torontois spécialisé en sports.

La dernière annonce publique, réalisée en décembre 2007, impliquait The National Lampoon. Ce populaire producteur américain de contenu satirique sur diverses plates-formes traditionnelles et électroniques, en plus d’accepter de fournir du contenu, aurait pris une participation minoritaire dans Capazoo.

Toutefois, l’annonce la plus inusitée est survenue le 26 octobre 2007 lorsque l’entreprise a formulé publiquement une offre mirobolante à Lindsay Lohan, une personnalité qui était alors en traitement de désintoxication. En échange de l’engagement de la vedette d’Hollywood à établir une présence sur son réseau social, Capazoo offrait le paiement du loyer d’un appartement luxueux à Manhattan « ou, advenant que les choses tournent mal encore une fois, le financement pour une quatrième tentative de désintoxication ». L’entreprise montréalaise affirmait également que la vedette de cinéma, grâce au système de partage de revenu de Capazoo, aurait pu empocher « 1 000 000 $ ou plus en quelques mois ».

Courte existence

L’aventure de Capazoo a éte courte durée, alors que la dernière exploration par Internet Wayback Machine a été réalisée le 11 février 2008.

En mars 2008, le site Web TechCrunch rapportait que Capazoo avait congédié la plupart de ses employés. Le blogue Montreal Tech Watch et le journal The Gazette ont traité des licenciements effectués par l’entreprise. Le quotidien La Presse a également réalisé une série d’articles à propos de l’entreprise déchue.

Dans Internet, les spéculations à propos de la déchéance du service en ligne sont aussi nombreuses que variées. Certains évoquent une lutte fratricide entre les cofondateurs en querelle à propos des orientations du réseau social et de son contenu. D’autres font état d’un refus des investisseurs d’injecter d’autres fonds dans l’entreprise. Des allégations à propos d’individus et des propos provenant de sources soi-disant « internes » sont également rapportées sur la Toile.

Le financement même de l’entreprise est un sujet nébuleux. Alors que la somme de 25 M$ est fréquemment mentionnée sur la Toile, certains médias ont avancé qu’un fournisseur d’infrastructure Internet américain, Savvis, aurait pris une participation dans Capazoo. Or, un communiqué publié par Savvis le 12 novembre 2007 annonçait l’obtention d’un contrat de trois ans d’une valeur de 5 M$ US de la part de Capazoo qui allait ainsi recourir à ses services. Capazoo estimait que ce contrat pourrait rapporter jusqu’à 20 M$ au fournisseur américain, au gré de la croissance de la demande en capacité et en stockage.

Avant la déchéance de l’entreprise, des blogueurs avaient exprimé leurs réticences envers le concept proposé par Capazoo. Dans un billet publié en décembre 2007, Steve Faguy avait formulé une quinzaine de raisons qui faisaient en sorte que le concept de Capazoo ne lui inspirait pas confiance. Le premier commentaire laissé par un internaute provenait du directeur des communications de Capazoo qui, comme dans plusieurs autres blogues, a défendu bec et ongles l’entreprise en démentant les propos et les commentaires produits en ligne.

Rien en français

Le réseau social Capazoo, établi à Montréal, n’aura pas eu le temps d’exister assez longtemps pour avoir une interface en français.

Dans une entrevue accordée en décembre 2007 à un magazine Web nommé LeStudio1.com, M. Roberge affirmait que Capazoo, dont le lancement en français était prévu pour janvier 2008, visait l’adhésion de 300 000 membres au Québec à la fin de l’année. Il avait ajouté que l’entreprise visait le marché des 16-25 ans et que des discussions étaient en cours avec des personnalités connues afin d’en faire les porte-parole du réseau social.

Le service Internet Wayback Machine n’affiche que quelques pages relatives à une version française du site. Du 21 octobre 2007 au 28 janvier 2008, le service n’a repéré qu’une page qui annonçait la disponibilité prochaine d’une interface du réseau en français. L’inactivité de l’hyperlien dédié à la version française du réseau social, qui était situé en haut de la page d’accueil en anglais de Capazoo, porte à croire que l’interface en français n’a jamais été activée.

En résumé, le réseau Capazoo souhaitait ravir le premier rang en matière de popularité à des réseaux sociaux déjà populaires. Or, l’aventure aura été de courte durée et suscite bien des interrogations quant à ce qui est advenu des fonds injectés par les investisseurs.

À suivre…

Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.

Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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