Canadian Tire revoit son modèle d’affaires sur Internet

L’entreprise, qui met fin à la vente en ligne de produits livrables à domicile, envisage un modèle hybride d’achat sur le Web avec cueillette en magasin. Sur la Toile, des observateurs identifient des carences dans l’initiative terminée.

Discrètement, Canadian Tire a annoncé puis concrétisé la fin de la vente de produits avec livraison à domicile par le biais de son site Internet. L’entreprise de commerce de détail effectuait du commerce en ligne depuis huit ans, mais il appert que l’initiative n’était pas assez rentable.

L’entreprise a annoncé sa décision sur son site Internet ainsi que dans un courriel envoyé aux consommateurs qui avaient déjà réalisé des achats en ligne, sans toutefois émettre de communiqué pour annoncer la nouvelle au médias.

En entrevue, Jennifer Sexton, une porte-parole francophone de l’organisation, a indiqué que les consommateurs fréquentaient le site Web pour effectuer une recherche et une comparaison de produits avant de se rendre dans un magasin pour faire un achat. Seules les cartes-cadeaux pourront encore être achetées sur le site Web et être livrées par la poste.

« Des produits qui font l’objet de beaucoup de recherches sur notre site sont difficiles à livrer, comme les pneus, les barbecues et les ensembles de meubles de patio », a indiqué Mme Sexton.

Toutefois, Mme Sexton précise que l’entreprise entamera dans certains marchés, qui n’ont pas encore été dévoilés, un projet pilote qui visera à permettre aux internautes d’acheter en ligne des produits qu’ils iront cueillir au magasin le plus proche qui les aura en stock.

« Vu que nous avons 473 magasins et que 90 % de la population peut se rendre à une succursale en dix à quinze minutes, nous nous sommes dit que nous pourrions prendre des ressources allouées à la livraison et les rediriger vers l’amélioration du site Web, pour améliorer l’expérience de la clientèle », a souligné Mme Gibson.

De plus, la porte-parole a confirmé que le site Web serait refait pour y ajouter plus de détails sur les produits, tout comme des images en plus grande quantité et de meilleure qualité. Elle a souligné que l’évaluation des produits par les consommateurs, une fonction ajoutée au site il y a quelques mois, était un service apprécié par la clientèle.

Hypothèses

En entrevue au Canal Argent, le cofondateur de la firme Internet VDL2 Philippe Le Roux indique que Canadian Tire a été parmi les pionniers du commerce électronique canadien, mais qu’ils ont fait l’erreur de penser que le commerce électronique était un enjeu d’électronique. « Ils ont pris leur catalogue, l’ont mis sur le Web et ont dit ‘on a réglé le problème’. Ils ont fait depuis quelques revampings de leur site, mais ils n’ont pas adressé l’enjeu majeur du commerce électronique, c’est-à-dire le marketing, de s’occuper du consommateur », déclare-t-il.

Il ajoute que l’entreprise, qui aurait dû développer une stratégie purement Internet, n’a pas réussi à transformer le trafic sur son site en résultats positifs. « On a eu une approche de système informatique et non une approche de marketing, d’intelligence de commerce. On aurait dû y aller par pilote, par cible de marché, et dépenser beaucoup moins d’argent pour avoir beaucoup plus de résultats ».

Sur la Toile, les réactions à la décision de Canadian Tire pourfendent avec cynisme les arguments de l’entreprise. Plusieurs y sont allés d’hypothèses et d’arguments pour expliquer le retrait de la fonction d’achat en ligne avec livraison à domicile du site Web de l’entreprise de vente au détail qui a été fondée en 1922.

Sur Get Elastic, un blogue consacré au commerce électronique, Lynda Bustos souligne que Canadian Tire utilisait un entrepôt dédié de produits pour répondre aux commandes en ligne. « Rajoutez les coûts d’accomplissement des commandes à travers le pays et vous comprenez pourquoi toute la division de commerce électronique saigne », déclare-t-elle.

Elle formule des recommandations pour la réussite d’une éventuelle reprise d’une initiative de vente en ligne, comme d’engager un analyste Web, d’envisager les commandes en ligne assemblées en magasin ou la cueillette en magasin, de fermer des magasins non profitables au profit du canal en ligne et de cibler les consommateurs qui préfèrent acheter en ligne à l’aide d’offres spéciales.

Mme Bustos réfère à un commentaire de Andrew Goodman, qui a déjà exécuté des mandats pour le compte de Canadian Tire, qui s’étonne de l’argumentaire de l’entreprise lié aux objets difficiles à livrer.

« Voyons donc. Les ensembles de patios n’ont jamais été dans la mire en tant qu’item à acheter en ligne chez Canadian Tire. Il y a plutôt une longue, longue liste d’items attrayants que les gens peuvent en effet acheter. Mais la présence en ligne ne facilitait pas l’achat et avait besoin d’un remaniement total […] », indique M. Goodman sur son site.

« Bien qu’il est vrai que le monde en ligne est confronté à des enjeux […], il y a une seule façon d’entrer dans ce monde à titre de détaillant majeur. En un mot : investissement. Investissement, même à une fraction de l’échelle de l’investissement dans 450 magasins en brique et mortier », ajoute-t-il.

Sur le site StorefrontBacktalk, qui est consacré aux technologies de commerce de détail et au commerce électronique, Evan Schuman croit que la situation pourrait s’expliquer par un « inconfort qu’auraient plusieurs vétérans de la direction de commerce de détail envers le Web », ce qui pourrait constituer une vague de fond. Il cite un dirigeant responsable des technologies dans le commerce de détail, qui a déclaré « la direction de la vieille école a toujours cru que l’Internet était pour la collecte d’information, et seulement pour la collecte d’information » et que « personne dans le secteur n’a de succès » avec des initiatives de livraison de commandes placées sur le Web.

« Ce problème est un facteur important au sein d’efforts de canaux fusionnés, alors que les gérants du ‘brique et mortier’ s’accrochent à l’espoir que le Web s’en ira ou bien sera mis sur la voie de desserte comme un canal de niche. Et le Web ressent ce manque de confiance et de confort et, en conséquence, inonde d’information et de données de ventes dans une tentative de démontrer que la présence en ligne vaut la peine et est puissante. Cette situation apeure les deux parties à s’entraider », écrit M. Schuman.

Conflits de canaux?

Michael Seaton, un expert en marketing numérique, exploite le blogue The Client Side. Il rappelle qu’à une certaine époque « quelqu’un d’autre » dans une compagnie était en charge des inquiétudes liées à la présence en ligne. Ce quelqu’un d’autre, affirme-t-il, se doit maintenant d’être « tout le monde » au sein d’une organisation.

« Les organisations progressives sont nombreuses à reconnaître que la pensée du silo, du canal en soutien ou de l’ajout à propos du numérique est très dépassée., et que cela nécessite plus que la simple notion de ‘Construisez-le et ils viendront’. Plusieurs marques ne saisissent pas que le succès dépend d’une collaboration et d’une intégration constante de toutes les perspectives », mentionne-t-il, en évoquant l’importance d’une inclusion de la présence numérique dans les cycles de planification du marketing et des affaires.

Chris Glynne, sur le blogue Not The Droids You Are Looking For, affirme que Canadian Tire a peu fait de choses pour attirer les consommateurs sur son site. « Une petite note en bas de page d’une circulaire est insuffisante pour informer les abonnés qu’ils peuvent acheter en ligne. Il n’y avait pas d’incitatifs à acheter en ligne. Je ne me rappelle pas d’avoir vu une offre ‘seulement sur le Web’ qui aurait requis qu’un consommateur achète l’item sur le site Web pour profiter d’une bonne aubaine. » M. Glynne ajoute que l’entreprise oubliait de mentionner sa présence en ligne dans les annonces de ses campagnes publicitaires.

Enfin, dans un article publié sur le site du journal Financial Post, l’analyste de l’industrie du détail Richard Talbot met peut-être le doigt sur une plaie, soit qu’il en coûte cher de soutenir un commerce de détail en ligne en considérant la taille de la population en relation avec la superficie du pays.

« Le fait que Canadian Tire a plus de 450 magasins à travers le pays et claironne fréquemment que 85 % des Canadiens vivent à 15 minutes de voiture d’un magasin peut faire mal à son commerce en ligne. Le solide réseau de magasins fait en sorte qu’on peut autant se rendre en magasin pour faire un achat. Ceux qui ne vivent pas près d’un magasin sont très éloignés et coûtent cher à [desservir par la livraison] », indique l’expert.

Mentionnons que Canadian Tire, en 2008, a mis fin à l’impression de catalogues sur papier pour privilégier le recours à son site Web. L’entreprise offre également sur son site Web ses circulaires, qui continuent toutefois à être distribuées en format papier.

Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.

Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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