Barack Obama et le Web 2.0: 7 leçons à retenir

Originaire de Toronto, Rahaf Harfoush a oeuvré activement dans l’équipe des communications des médias sociaux de la campagne présidentielle de Barack Obama. Dans le cadre de la conférence RDV Média des Éditions Infopresse, elle a partagé à l’intention des organisations sept leçons retenues en matière d’utilisation des nouveaux médias.

La jeune femme originaire de Toronto, qui travaille maintenant à titre de directrice adjointe du projet Global Cooperation Initiative au Forum économique mondial à Genève, a raconté avec verve comment elle a joint sur un coup de tête l’équipe des médias sociaux du candidat Barack Obama, lors de la dernière campagne présidentielle aux États-Unis. À titre bénévole, elle a oeuvré activement au déploiement de stratégies fondées sur la communication et l’interaction avec les partisans et les électeurs par le biais de technologies associées au concept du Web 2.0.

D’entrée de jeu, Mme Harfoush a fait état d’éléments fondamentaux qui ont soutenu la stratégie électronique de l’équipe du candidat démocrate. Notamment, l’organisation réalisée en ligne devait générer une action hors ligne de même importance. Les initiatives visaient « à ce que les gens sortent de leurs chaises et se rendent dans leur voisinage ». Les stratèges ont établi des règles strictes visant une constance dans le design et la stratégie de marque pour le matériel de communication, tout comme ils ont opté pour un déploiement graduel d’éléments de communications – une présence sur Facebook, puis un blogue national, puis des blogues pour chaque État – afin de bien comprendre ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas.

Mme Harfoush a également discuté de l’application réussie de la « stratégie des 50 États » (50-state strategy), qui visait une progression dans l’ensemble du territoire américain au lieu de considérer des États comme étant « non-gagnables », tout comme de l’emphase mise sur la sollicitation en ligne de contributions de petits dons entre 5 $US et 50 $US. Le résultat a été probant, puisque l’équipe d’Obama a pu récolter 750 M$ en deux ans pour la campagne électorale, contre 360 M$ pour le rival républicain McCain.

En septembre 2008, un appel à tous a permis d’obtenir 10 M$ en 24 heures et 150 M$ durant le mois, alors que 67 % de la somme a émané de canaux en ligne. « Ce fut le moment décisif où les gens ont réalisé la puissance des communautés en ligne », a indiqué Mme Harfoush.

La jeune dame a prononcé une allocution qui a fait rire – notamment lorsqu’elle a fait état de regroupements en ligne de bénévoles qui supportaient le candidat, comme les propriétaires de chihuahua ou les joueurs de « Donjons & Dragons » – et qui a fait réfléchir, avec des statistiques comme 2 millions de profils, 35 000 bénévoles, 400 000 groupes d’envois de billets de blogues et 200 000 événements hors ligne qui ont été répertoriés dans le réseau d’interaction en ligne Organizing for America http://my.barackobama.com/ .

Voici donc les sept leçons tirées de l’expérience d’utilisation des médias sociaux lors de la campagne présidentielle de Barack Obama dont les organisations pourraient tirer profit.

1- Redéfinir l’engagement

La comparaison des statistiques d’utilisation des présences établies par les partis politiques dans des médias sociaux démontre des écarts importants à l’avantage du camp des démocrates : 3,2 millions d’amis contre 620 000 d’amis sur Facebook, 1 million d’amis contre 218 000 amis sur MySpace, 20 millions de visionnements pour 1 824 vidéos contre 2,2 millions de visionnements pour 330 vidéos sur YouTube, 137 000 suiveurs contre 4 800 suiveurs sur Twitter.

« Les réseaux sociaux ont donné accès à des groupes de personnes en ligne d’une façon qui n’était pas possible auparavant, alors que les profils ont permis d’établir des relations avec ces personnes, a souligné Mme Harfoush. Nous avons pu tirer profit de réseaux d’amis de confiance, alors qu’un internaute qui affichait son soutien pouvait faire découvrir Barack Obama à un ami qui ne le connaissait pas. »

« Également, nous avons pu bénéficier de combinaisons, de réseaux de distribution. Par exemple, pour une campagne dans une petite ville, un vidéo posté dans un blogue a été diffusé sur YouTube et dans MySpace, mentionné sur Twitter, etc. Au lieu d’avoir dix secondes de couverture à la télé, le message passait dans différents réseaux en ligne. À l’époque, des campagnes de dénigrement semaient de la confusion. Par l’envoi du message directement aux électeurs, on court-circuitait les médias. C’était comme dire à CNN : si vous couvrez notre événement c’est bien, mais nous porterons notre message directement aux gens. »

À propos des nouvelles opportunités d’implication de l’auditoire, Mme Harfoush a suggéré de mettre l’emphase sur la valeur ajoutée et de cibler les utilisateurs fortement engagés. « Les consommateurs fortement engagés aiment parler de vous et se dotent de vos articles publicitaires. Si vous leur donnez quelque chose en ligne, ils généreront du ‘buzz’ ».

Elle a donné l’exemple d’une application qui générait une liste de numéros de téléphone en fonction du code postal de l’utilisateur, qui pouvait remplir durant un entretien téléphonique un rapport en ligne qui était acheminé au bureau électoral de l’État. Quelques milliers de personnes réalisaient jusqu’à 500 appels chacun par semaine, ce qui avait plus d’impact que des personnes qui téléversaient une photo sur le Web”.

2. Convertir les utilisateurs peu impliqués

En constatant que la majorité des personnes qui s’abonnent à une liste d’envoi de courriels sont plutôt passives, Mme Harfoush a rapporté que les courriels envoyés en réponse par bon nombre de personnes démontraient qu’ils croyaient engager une conversation « avec le vrai Barack Obama ».

Alors qu’un milliard de courriels (!) ont été envoyés durant la campagne électorale vers quelque 13 millions d’adresses électroniques, l’équipe des médias sociaux du camp démocrate a eu recours à une hypersegmentation des envois en fonction de trois catégories. Outre les régions du territoire américain, les envois étaient catégorisés selon les enjeux qui avaient été indiqués comme étant importants lors de l’abonnement. Mme Harfoush a indiqué que les gens ont tendance à lire l’information, à la digérer puis à en discuter lorsque cela les intéresse. « Enfin [avant de faire un envoi], nous nous assurions de savoir à quand remontait le dernier don pour la campagne d’un abonné et quelle était la valeur du don. La dernière chose à vouloir était de demander à quelqu’un une contribution tout juste après qu’il ait fait un don important en rapport à son budget », a-t-elle souligné.

Pour impliquer les gens, la dame a ensuite comparé « les demandes (Ask) et les coups de coude (Nudge) ». Plein de choses ont été demandées durant la campagne aux personnes fortement impliquées, par exemple par l’envoi d’une liste contenant les noms et adresses de cinq personnes dans leur voisinage à contacter le jour du vote pour les inciter à aller voter. Pour ceux qui étaient peu impliqués, les coups de coude consistaient à inciter les gens, par le biais d’une application en ligne, à regarder un vidéo puis à appeler une personne bénévole pour discuter du sujet. L’outil a permis de suivre la progression de l’engagement de ces personnes. « Une personne qui faisait un appel en faisait ensuite dix, puis quinze… Cette approche a constitué un élément fondamental de notre stratégie d’implication, parce que la majorité des bénévoles n’avaient jamais fait cela auparavant. Ce qui est très important, toutefois, est de définir ce que l’on demande et à qui on le demande. »

3. Faciliter des comportements existants

Mme Harfoush a traité des bénéfices qui peuvent survenir lorsqu’on aide des personnes à mieux réaliser des tâches qu’elles réalisent déjà, notamment à l’aide des technologies de l’information.

Elle a présenté une application, créée pour la plate-forme iPhone d’Apple, qui facilitait l’accès à l’information et la suggestion de gestes à poser. Notamment, la fonction « Appeler des amis » priorisait les contacts dans le carnet d’adresses en fonction des États où la lutte était serrée. «  Ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise pour appeler un étranger, mais les gens sont plus enclins à appeler des amis ». Également, le bouton « Enjeux » fournissait des points clés sur certains sujets, afin d’éduquer les partisans, mais aussi assurer une constance dans la communication.

4. Suggérer les bonnes actions

Pour illustrer ce point, Mme Harfoush a présenté une application en ligne qui établissait un index d’activité des bénévoles en fonction des gestes qu’ils posaient. Le pointage, sur une échelle de dix, était affiché sur la page de profil des bénévoles dans le site myBO, ce qui motivait les personnes à réaliser des actions quotidiennement pour maintenir un pointage élevé. Ce pointage progressait davantage lorsque des actions hors ligne étaient posées par les bénévoles, tout comme il diminuait s’il n’y avait pas eu de gestes posés après plusieurs jours.

« Les personnes très engagées pouvaient être invitées à participer à une téléconférence avec Barak Obama, recevoir une formation spéciale en ligne ou se procurer des items promotionnels uniques », a-t-elle relaté.

En impliquant les bénévoles qui faisaient preuve d’un désir poussé d’engagement, la réalisation de tâches devenait plus efficace. Pour la visite d’un stratège en Idaho, un appel à tous réalisé auprès des bénévoles qui avaient un score de plus de sept points sur dix a eu comme résultat la formation de l’équipe bénévole « Idaho for Obama » qui a réalisé plusieurs appels dans les environs chaque semaine, a recueilli des dizaines de milliers de dollars pour la campagne et organisé plusieurs rencontres pour ce stratège.

5. Personnaliser la mission

En donnant l’opportunité aux personnes de présenter leur vision personnelle d’un but, d’autres personnes peuvent y trouver résonance et contribuer à leur tour.

Pour illustrer ce point, Mme Harfoush a présenté un plugiciel de « campagne de financement personnelle » qui s’intégrait à toute page d’un média social. Un bénévole pouvait y établir un objectif de montant à recueillir pour la campagne de Barack Obama, alors qu’un thermomètre indiquait la progression à cet effet. Le bénévole, dans ses réseaux sociaux, indiquait les raisons et les intentions politiques ou sociales qui motivaient ses efforts de soutien financier.

« Nous avons constaté que des voisins donnaient des montants à un bénévole pour qu’il atteigne son objectif. Il y avait un aspect personnel et humain, un sentiment de coopération à une chose pour laquelle les gens avaient un bon sentiment. »

6. Soutenir la co-innovation

Cet élément, en pratique, consiste à faciliter la diffusion d’informations relatives à des projets ou des activités afin d’inciter les gens à y participer, mais aussi à permettre à d’autres personnes de reprendre l’idée ou de s’impliquer.

Dans le site myBO, une carte interactive permettait aux bénévoles de trouver un événement ou une activité qui avait lieu à proximité, tout comme d’inscrire des initiatives personnelles. Mme Harfoush a donné l’exemple d’un groupe d’étudiants de l’Université Yale qui ont annoncé qu’ils allaient faire une corvée de nettoyage en étant habillés aux couleurs des partisans de Barack Obama.

« En quelques heures, une myriade d’événements locaux sont apparus sur la carte. Des bénévoles nous ont aussi fait part que des personnes ayant vu des équipes réaliser des corvées de nettoyage avaient souhaité faire un don. Cette forme de partage permet de renforcer la marque et l’esprit communautaire, fait prendre une direction différence à une marque et procure une valeur d’une façon qui n’avait pas été envisagée », a-t-elle indiqué.

7. Saisir l’inattendu

Enfin, Mme Harfoush a souligné qu’il n’est plus possible, à l’ère des médias sociaux, de contrôler complètement un message comme autrefois, surtout si quelqu’un exprime son opposition ou son insatisfaction à l’égard d’un élément.

Elle a indiqué que les canaux en ligne ont un bon côté, puisque leur suivi permet de prendre conscience de la façon par laquelle un message est exprimé et offre une chance d’y réagir. Mais ils ont aussi un mauvais côté, puisque l’organisation perd le contrôle sur le message.

Elle a donné l’exemple du site Yes We Carve où des gens téléversaient des images de citrouilles sculptées à l’effigie de Barack Obama ou du logo des démocrates. Des internautes ont même téléversé sur ce site des stencils qui pouvaient être téléchargés par d’autres internautes. Mme Harfoush a également fait mention de graffitis produits un peu partout, dont des photos ont été publiées en ligne, mais aussi du vidéo Yes we can, de l’artiste will.i.am qui a été visionné 26 millions de fois sur Internet.

« Que serait-il arrivé si le parti avait écrit à celui qui avait publié ce vidéo pour qu’il le retire du Web en raison d’une utilisation non autorisée d’un discours d’Obama? Nous nous serions privés de 26 millions de personnes qui n’auraient peut-être pas vu autrement ce contenu. Il faut que [cette attitude] change sur Internet et laisser les gens créer du nouveau contenu à l’aide de contenu créé par d’autres gens et y ajoutent une valeur ».

Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.

Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

Articles connexes

Malgré les défis, l’embauche se poursuit au Canada selon une étude de Robert Half

Une nouvelle étude de la plateforme de recrutement Robert...

L’opposition tape sur la cheffe de l’ASPC concernant l’appli ArriveCAN.

Les députés de l'opposition ont sévèrement critiqué la cheffe...

Le monde selon Hinton: Ralentir l’IA n’est pas la solution

Y a huit mois, Geoffrey Hinton, professeur émérite à...

Avertissement : Campagne d’hameçonnage visant les cadres supérieurs

Des centaines de comptes d'utilisateurs Microsoft Office et Azure,...

Emplois en vedette

Les offres d'emplois proviennent directement des employeurs actifs. Les détails de certaines offres peuvent être soit en français, en anglais ou bilinguqes.