Vidéosurveillance : sécurité améliorée?

La protection des citoyens justifie-t-elle de les prendre en photo en un nombre croissant de lieux et d’occasions? La vidéosurveillance permet-elle vraiment de mieux protéger les citoyens? Ou est-ce plutôt un moyen permettant simplement d’avoir l’esprit tranquille à peu de frais?

Leur coût diminuant, grâce aux progrès réalisés en technologie de capture vidéo numérique, les caméras de surveillance sont de plus en plus utilisées dans les lieux publics, tels qu’aux abords des rues ou dans les cours d’école. On invoque alors le besoin d’accroître la sécurité des gens qui fréquentent ces lieux. Mais la mise en place de caméras de surveillance vidéo, aussi performantes soient-elles, permet-elle vraiment d’accroître la sécurité des lieux où elles sont déployées?

Aux yeux de ceux qui les ont mis en place, cela ne fait pas de doute. Non seulement cela contribue à dissuader les criminels potentiels de passer à l’acte, mais cela aide à retracer les criminels pour ensuite les punir conformément à la loi, l’image saisie servant de preuve. Mais pour les criminels endurcis qui auront tôt fait de mettre hors d’état de nuire un tel dispositif, que reste-t-il pour rassurer les citoyens? D’autant plus que si on a mis en place une caméra, c’est généralement parce qu’on ne dispose pas de personnes « physiques » sur les lieux pour surveiller et intervenir…

Une question qui mérite qu’on s’y attarde, d’autant plus que la loi permet de mettre en place des caméras de surveillance pourvu qu’un argument sérieux le justifie – un argument tel que la protection des citoyens – et que les gens qui fréquentent les lieux en soient avertis au préalable.

Pierrot Péladeau, chercheur associé au Cefrio, est spécialisé en évaluation sociale des systèmes d’information. Il doute sérieusement de l’efficacité des caméras de surveillance à accroître la sécurité des lieux où elles sont déployées. Il croit, en fait, que leur mise en place relève la plupart du temps de la politique symbolique.

« Toute la question est au niveau du lien entre la vidéosurveillance et la sécurité, résume-t-il. Y a-t-il une réelle augmentation de la sécurité des personnes en installant ces caméras-là? Ce n’est pas nécessairement évident. S’il n’y a personne pour surveiller les caméras, dans quelle mesure cela permet-il de prévenir les actes criminels et ne sert pas seulement a posteriori? Si cela ne s’inscrit pas dans un plan de sécurité où les rôles de chacun sont définis, on est dans le domaine purement de la politique symbolique. Cela a un côté apparemment dissuasif et appa-remment sécurisant qui fait l’affaire d’un peu tout le monde, mais cela peut donner une fausse assurance de sécurité. […]

« Théoriquement, les gens pourraient s’opposer à l’utilisation de caméras de surveillance et obliger les organisations qui les ont mis à les enlever. Il faudrait voir dans quel plan de sécurité ça s’insère et quel est le rôle joué spécifiquement par les caméras. Techniquement, il pourrait y avoir plainte et le recours le plus simple serait devant la Commission d’accès à l’information, qui est un recours gratuit, où l’on invoquerait le principe de la nécessité. Est-il vraiment justifié de collecter toute cette information et que va-t-on en faire? On peut aussi questionner la pertinence de l’investissement. Ne serait-il pas plus pertinent d’investir cet argent dans des programmes de formation du personnel qui travaille sur les lieux pour qu’ils soient en mesure d’agir pour prévenir les actes de violence? »

Une question d’attitude et d’urbanisme

M. Péladeau croit que la sécurité est davantage une question d’attitude sociale, de formation du personnel et d’urbanisme, dans la mesure où la capacité des gens de se sentir collectivement responsables de la sécurité des lieux qu’ils fréquentent et la façon dont ils sont conçus ont beaucoup plus d’effet sur la sécurité des lieux que la présence ou non de caméras de surveillance.

La situation est d’autant plus problé-matique quand il n’y a personne pour surveiller les moniteurs alimentés par les caméras de surveillance, comme c’est le cas dans les écoles primaires de la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île où un vaste système de vidéosurveillance a été déployé.

En fait, M. Péladeau croit qu’il y a un effet pervers à la mise en place d’un système de vidéosurveillance, dans la mesure où cela peut contribuer à déresponsabiliser les différentes personnes pouvant contribuer à la sécurité des lieux.

«  Le problème, c’est le faible coût de la technologie, lance-t-il. Il ne faudrait pas que cela devienne un prétexte à ne pas mettre en place un programme de sécurité. Car, à la base, les problèmes de sécurité dans les lieux publics sont des problèmes d’urbanisme. Si vous concevezdes tunnels aveugles, c’est clair qu’ils ne seront pas sécuritaires, alors que si vous y mettez des fenêtres, ils vont l’être davantage. C’est la même chose pour les quartiers, car on sait que ce qui rend les quartiers sécuritaires, c’est la mixité des usages qui fait qu’il y a toujours des gens qui y circulent. On ne peut pas remplacer la sécurité qu’on perd quand on spécialise un quartier. Si on conçoit des quartiers à vocation unique, comme les parcs industriels qui sont désertés la nuit et les quartiers résidentiels qui sont désertés le jour, on crée une situation où les gens ne peuvent pas se donner spontanément de la sécurité de façon constante. On aura beau y mettre le nombre de caméras qu’on veut, ça va devenir une solution diachylon, car les machines n’assurent pas la sécurité.

« La tentation est grande de pallier aux problèmes de sécurité en installant ce genre d’outils, au lieu d’inciter le milieu à produire sa propre sécurité, et on donne énormément de pouvoir aux gens qui détiennent ces outils-là. Quand on met des caméras partout, comme à Londres, c’est clairement un dérapage, parce qu’on sait que ça n’améliore pas la sécurité des gens, même que ça incite à déresponsabiliser les citoyens qui ne se sentent pas le devoir d’intervenir, vu qu’il y a des caméras qui surveillent. Et la déresponsabilisation n’est pas seulement au niveau du simple citoyen, elle peut être aussi au niveau des urbanistes, des décideurs publics et des architectes qui ne vont pas chercher à rendre les lieux spontanément sécuritaires et vont s’en remettre aux caméras de surveillance. Car la sécurité est quelque chose qu’une société saine peut produire spontanément et c’est là qu’il y a un glissement, puisqu’on se trouve à déléguer cette responsabilité à des machines. »

Protection de la vie privée

Bien que les citoyens soient informés de la présence de caméras de surveillance dans les lieux qu’ils fréquentent, tel que sur les routes soumises au contrôle de vitesse par radars photographiques (voir l’encadré), ce que requiert la loi, la capture d’images personnelles pose un défi en termes de respect de la vie privée et du droit des individus de contrôler l’utilisation qui est faite de leur image. Car, comme le fait remarquer M. Péladeau, la notion de vie privée n’est plus associée à l’endroit où se trouve l’individu et celui-ci peut s’objecter à ce qu’on le prenne en photo dans un lieu public s’il s’adonne à une activité privée.

« Le fait qu’une personne soit dans un lieu public n’implique pas nécessairement qu’on puisse le photographier,ça dépend de la nature de l’activité, précise le chercheur. Si c’est une activité de nature privée, comme une femme lisant un livre dans un parc, c’est considéré comme sa vie privée. La définition même de ce qui relève du privé par rapport à ce qui relève du public a changé. Traditionnellement, c’était lié au lieu : si on était sur la rue, c’était public, si on était dans la maison, c’était privé. Maintenant, l’État permet d’intervenir dans un lieu privé, par exemple s’il y a un acte de violence, qui constitue une infraction publique, qu’on veut empêcher. La division territoriale entre le privé et le public a éclaté. On peut tenir une activité privée dans un lieu public, et vice versa. »

Par conséquent, l’organisation qui prend des clichés des personnes qui fréquentent ses établissements ne peut les publier sans l’accord des individus qui y figurent et si ceux-ci ne veulent pas, elle est obligée de dépersonnaliser les clichés. Mais s’il s’agit d’un crime, la personne ou l’organisation qui a pris les clichés est tenue de les fournir au service de police qui peut décider de les publier dans les médias.

« C’est la personne légale qui produit l’information qui en est détentrice et c’est elle qui doit établir une politique d’utilisation des renseignements personnels, rappelle M. Péladeau. Dans aucun cas, le renseignement n’appartient à la personne dont il est question, mais celle-ci a un droit à l’image, qui inclut la possibilité de contrôler l’usage qui en est fait. Donc, l’organisation qui a pris les clichés ne pourrait les vendre, par exemple, à une émission comme Drôles de vidéos, sans obtenir préalablement la permission des personnes qui y figurent. Par contre, si la personne pose un geste criminel, on peut publier la photo, parce que ça permet d’alerter la population et de compléter l’enquête. »

C’est d’ailleurs en raison du droit des citoyens de contrôler l’utilisation qui est faite de leur image et d’accéder aux documents qui les concernent, tel que le stipule la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, que les organisations ayant recours à la vidéosurveillance conserveront le moins longtemps possible les clichés.

« Une fois qu’on a mis en place les dispositifs, que fait-on avec cette information-là? s’interroge M. Péladeau. Le plus simple, en termes légaux, pour les organisations, est de conserver temporairement l’information. Parce que si on accumulait cette information-là, ça poserait toutes sortes de problèmes administratifs. Puisque les caméras contiennent des informations sur des personnes identifiables, techniquement les gens pourraient demander d’obtenir tous les documents sur lesquels ils apparaissent et on serait obligé de leur fournir, ce qui serait ingérable. […] La règle est qu’on ne peut détenir des informations que durant le temps que cela est nécessaire. La borne, c’est la nécessité, elle n’est pas fixée dans le temps. »

Marché prometteur

Quelles que soient les considérations éthiques reliées à la vidéosurveillance, le marché que représente cette activité au Québec, ainsi qu’à l’échelle de la planète, est en croissance et est promis à un bel avenir, si on se fie à un récent rapport publié par le Centre de recherche informatique de Montréal (CRIM) et Technopôle Défense et Sécurité, intitulé La vidéosurveillance intelligente : promesses et défis. Les actes terroristes de 2001 et les autres incidents violents qui ont suivi, ciblant la sécurité des gens dans les lieux publics – par exemple dans les écoles – ont eu un impact important sur la croissance de la demande depuis 2001, notent les auteurs de l’étude. Ils citent un créneau particulier du marché qui s’avère tout particulièrement prometteur, soit celui de la vidéosurveillance intelligente et de l’analytique vidéo.

Il s’agit, en fait, de l’application de techniques de traitement logiciel aux images numériques captées pour n’en retenir que les données pertinentes à la sécurité des biens et des personnes. Cela permet non seulement de réduire la quantité de données saisies, mais aussi la bande passante utilisée, en plus de faciliter la localisation des séquences suspectes.

Les opportunités offertes par le marché se situent à deux niveaux, soit le développement de technologies et la fourniture de services. Au Québec, le marché est très fragmenté, étant constitué de plusieurs petits joueurs employant moins de dix personnes. La majorité de ceux-ci sont des distributeurs/installateurs/intégrateurs. Il y a très peu de concepteurs de solutions, si ce n’est Genetec, un fournisseur de logiciels de gestion vidéo de calibre mondial.

Selon un rapport de Homeland Security Research Corporation, le marché de la sécurité publique et civile a crû de 600 % entre 2000 et 2008 et le marché devrait croître de 81 % d’ici 2018. Le segment de la vidéosurveillance, qui représente 34 % du marché de la sécurité publique et civile, devrait passer, quant à lui, de 13,5 milliards $US en 2006, à 46 milliards $US en 2013, ce qui représente une croissance de 34 %, soutient la firme ABI Research. Le créneau des logiciels de vidéosurveillance intelligente devrait, quant à lui, passer de son niveau actuel de 245 millions $US à 900 millions $US en 2013.

Le rôle joué par l’État est déterminant pour la croissance du marché, puisque le secteur public – notamment celui de la sécurité publique – et le secteur de l’éducation figurent parmi les grands acheteurs de technologies de vidéosurveillance. On trouve aussi parmi les clients-clés des produits de la vidéosurveillance le secteur du commerce de détail, le secteur financier et le secteur des transports. Il s’agit donc de secteurs dominés par les grandes organisations, disposant de ressources importantes et d’une infrastructure réseau IP suffisamment performante pour supporter le trafic engendré par les systèmes de vidéosurveillance.

Certains facteurs auront un impact important sur le développement futur du marché de la vidéosurveillance, soutiennent les auteurs du rapport, dont la capacité des produits de réduire la criminalité et les préoccupations des citoyens au chapitre de la protection de la vie privée. En outre, la baisse des coûts et l’essor des caméras numériques devraient accélérer le développement du marché. En favorisant une hausse de la criminalité, l’actuelle crise économique devrait aussi jouer en faveur de la demande de solutions de vidéosurveillance.


Surveillance routière robotisée

Depuis mai 2009, les automobilistes québécois, plus particulièrement ceux se déplaçant à Montréal, en Montérégie et dans la région Chaudière-Appalaches, sont surveillés par des radars photographiques quant au respect des feux de circulation et des limites de vitesse. Cette initiative qui s’inspire d’expériences similaires effectuées dans d’autres pays, dont la France, a pour objectif d’améliorer la sécurité routière et de réduire le nombre de personnes victimes d’accidents de la route.

Les six appareils de surveillance, qui ont été mis en place à des endroits stratégiques, saisissent des photos des véhicules et de leur plaque d’immatriculation, après que leur conducteur ait contrevenu au Code de la route. Des boucles d’induction magnétique sont enfouies dans la chaussée pour mesurer la vitesse du véhicule, dans le cas du respect des limites de vitesse, ou pour détecter le mouvement du véhicule, dans le cas du respect des feux de circulation. Les photos sont cryptées, pour assurer la confidentialité des renseignements, et transférées automatiquement au centre de traitement de la preuve, où elles sont décryptées et analysées par des policiers pour établir la preuve; l’habitacle est masqué pour respecter la vie privée.

Lorsque l’infraction est confirmée, un rapport d’infraction est transmis au Bureau des infractions et des amendes (BIA) du ministère de la Justice. Lorsque le système était en période d’essai, les contrevenants ne recevaient qu’une lettre d’avertissement par la poste. Toutefois, à partir du mois d’août et tout au long de la période que durera le projet pilote – soit 18 mois – ils recevront un constat d’infraction par la poste et auront 30 jours pour payer l’amende associée à l’infraction qu’ils ont commise.

Un rapport d’évaluation du projet pilote sera ensuite déposé à l’Assemblée nationale et fera l’objet d’une étude en commission parlementaire, quant à la suite à donner au projet pilote.

L’objectif du système n’étant pas de « taxer » la population, la présence de chaque radar photo est annoncée par un panneau de signalisation posté en amont.

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