Vidéophonie mobile: Un vieux rêve sur le point de se concrétiser

Il est de ces auteurs de science-fiction qui, par chance ou vision prémonitoire, frappent juste. Il ne faut surtout pas oublier Chester Gould, le dessinateur de Dick Tracy, qui lui, dès les années 50, avait vu venir la communication vidéo bidirectionnelle intégrée dans une grosse montre de la taille d’un petit téléphone intelligent 3G.

Le 24 février dernier, Bell, Rogers et Telus annonçaient, sous fond estompé de tambours et de crécelles, avoir complété avec succès leurs essais définitifs de communication vidéo bidirectionnelle. Contrairement au service lancé aux États-Unis par AT&T en avril 2007, la communication de type SWICS (See What I Can See) à saveur Canuck pourra, elle, s’établir entre clients des trois grands opérateurs canadiens munis d’appareils compatibles, c’est-à-dire des téléphones sachant se conformer au protocole 3G-324M. Pourquoi? Parce qu’avec cette techno, on  pourra appeler des membres de sa famille, des amis ou clients et partager avec eux des moments spéciaux ou encore obtenir leur avis en pleine session de magasinage, apprend-on dans le premier paragraphe du communiqué.   Si vous croyez que la relation client-fournisseur est complexe depuis que le progrès techno s’est mis à vraiment chambouler nos vies, vous n’avez rien vu. Par exemple, imaginez une scène qui se passerait le samedi avant-midi et qui mettrait en vedette un porteur de veston impeccablement cravaté, coiffé, rasé et « pouch-pouché » en train de faire son épicerie dans un supermarché. Pourquoi n’a-t-il pas sa dégaine détendue et parfois malodorante des fins de semaine? Parce qu’un client peut l’appeler. Effectivement.

Twoulouloulou!   « Ah! Bien le bonjour cher client » fait-il au visage inquiet qui s’affiche sur son BlackBerry 3G-324M. Il faut voir la tête dudit client qui éructe sa diatribe et qui, pour éliminer toute forme de doute, brandit la caméra de son téléphone sur un moniteur ACL  qui témoigne de l’agonie logicielle dans laquelle est entré son PC. « La semaine dernière, tu m’as dit que ça ne se produirait plus jamais! »   Se débarrassant du sac de petits pois congelés qu’il a en main, le type fringué comme au jour de son premier bonus (les Américains utilisent plutôt le mot « suit ») se place le téléphone à cinquante centimètres du nez et entreprend de baratiner le client. Ne faut-il pas le calmer, le réconforter, le faire se sentir « winner »  avant de lui confirmer qu’il est dans la mouise*, ce qui permettra de lui vendre une mise à niveau à 199,95 $?   « Tu veux me montrer le message d’erreur affiché à l’écran? » Le gars obtempère. « Ahhhhhh! Pas de chance, Windows 7 le prend pas, fait le vendeur accoté sur son chariot d’épicerie. Va falloir upgrader le logiciel. – Oui mais la semaine dernière … –  La semaine dernière on a essayé de te sauver l’upgrade et ça n’a pas marché. Passe à la boutique, on va t’arranger ça! »   Quelques secondes plus tard, ignorant les regards haineux que lui adressent les autres clients en raison de son chariot qui est dans les jambes, le rèpe (de l’Américain « Sales Rep ») appuie sur le bouton d’appel du bureau.

Drelin-drelin!

Un visage asiatique le salue. « Salut Ai Quoc, sais-tu si Fadi est là?  – Non, j’suis tout seul et je m’emmerde » Sh..!  Fadi n’est pas là! « OK, Ai Quoc, va vers les tablettes du fond et montre-moi les boîtes de logiciel. » Le commis traîne ses savates jusqu’à l’étalage et se met à balayer les rayons avec son Nokia 3G-324M. « OK, celle-là avec la bande jaune. Prends là. Enlève l’étiquette de prix, 199,95 $, et refais-en une à… 239,99 $. Si tu sais pas comment, appelle Fadi. Y va t’aider. Dépêche, y a un client pas de bonne humeur qui s’en vient l’acheter. »   Ma saynète nous a permis de constater que les technologies de communication vidéo bidirectionnelle ont fait en sorte qu’un représentant commercial comprenne plus vite le problème de son client et agisse sur-le-champ pour le régler. Évidemment, vous pouvez changer de décor et arriver au même résultat, par exemple asseoir le représentant commercial à une terrasse de café parisien avec la tour Eiffel en arrière-plan. « Ouais, j’ai pris une fin de semaine de congé, cher client! » Ici, mon exemple cloche. Il implique que l’opérateur français utilisé soit en affaires bidirectionnelles avec les trois canadiens cités en intro. Or sur ce point, on serait encore loin de la coupe aux lèvres, pour utiliser une expression de café-terrasse.   Mais à mon avis, c’est sur le plan de la vie privée que cette techno risque de remporter la palme d’or comme patente à gosse qui s’est très bien vendue (pourvu, bien sûr, que nos trois opérateurs ne s’entendent pas pour imaginer un forfait que seuls les millionnaires pourront s’offrir). Grâce à la vidéo bidirectionnelle multifournisseurs et multimarques, la vie de couple ne pourra plus être la même.   Imaginez un gars et une fille dans un lit de motel.

Twoulouloulou!

Le téléphone 3G-324M vient jeter cent litres de stress catégorie « muy picante » sur les deux corps repus d’amour. « Sh.., c’est ma blonde! » Ici, deux possibilités. Soit que le gars réponde et il est cuit, soit qu’il ne réponde pas et il est aussi cuit. Dans le premier cas, madame voudra une vue panoramique du bureau où monsieur est sensé travailler tard tard tard, puis là, quoi qu’il fasse, crac! Dans le second cas, elle exigera des explications crédibles sur le fait qu’il n’ait pu répondre. Or comme celles qu’il fournira ne tiendront pas la route, là aussi crac!   Quand j’étais petit, j’attendais patiemment que mon père ait fini la lecture du Soleil avant de m’en emparer. Là, je dévorais les comics, ces BD à l’américaine qui ornaient le bas de certaines pages. Ma préférée était Dick Tracy, un flic bizarrement dessiné qui communiquait avec ses collègues par une montre bidirectionnelle. D’abord uniquement audio, elle devint vidéo avec l’arrivée de la télévision dans les années cinquante. Un jour, j’avais demandé à mon père si un tel objet se pouvait. Il m’avait alors répondu qu’il était possible que je le voie apparaître de mon vivant.   Cela a commencé à être effectivement possible chez AT&T en 2007 et ça le devient vraiment aujourd’hui avec l’entente Bell-Telus-Rogers, même si ce n’est pas une montre-bracelet, mais un téléphone. Il y a quand même espoir. LG n’a-t-elle pas lancé au CES de 2009 la première montre téléphone de l’histoire? Il ne lui reste plus qu’à ajouter de l’intelligence et des capacités 3G-324M au bidule pour que j’en devienne immédiatement un fan.   Mais rassurez-vous, dans mon cas ce ne sera pas dangereux; ma blonde n’a rien d’un flic et moi, j’ai des clients (tous des publications) qui ne m’ont jamais appelé et ne m’appelleront jamais un samedi matin.

*Mouise : n.f. (Familier) Misère, difficultés. (Source : Wiktionnaire).

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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