Tarifs mobiles au Canada : Telus discrédite la thèse de l’OCDE, mais…

Quand deux versions d’une même réalité sont contradictoires, qui dit vrai ? Celui à qui la thèse profite, c’est-à-dire Telus qui ne dit pas tout, ou celui qui n’en tire aucun bénéfice, c’est-à-dire l’OCDE qui tente de tout dire, mais qui s’accroche dans les fleurs du tapis ? Allez savoir !

Il y a consensus populaire. Malgré la présence d’entreprises concurrentes, le prix payé par le consommateur est réputé trop élevé. Anormalement élevé. « Petrocan, Shell, Esso ! », peut-on crier. « Bell, Rogers, Telus ! » répond l’écho. Et pour alimenter la grogne, quelques études se signalent dont celle, particulièrement accablante, de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), une structure internationale d’études économiques établie à Paris qui compte 34 pays membres.

Intitulée Perspectives des communications de l’OCDE  (OECD Communications Outlook), la dernière mouture de ce rapport bisannuel, celle de 2009, coiffait en effet le Canada d’un de ses trois bonnets d’âne. La nation de Tim Horton recevait le couvre-chef de bronze parmi les pays de l’OCDE offrant les prix les plus élevés « pour les appels passés depuis un téléphone portable ». Les coiffes d’or et d’argent revenaient alors aux États-Unis et à l’Espagne. Quant au paradis pour usager du cellulaire, il était alors situé en Finlande, aux Pays-Bas et en Suède.

Chez les grands opérateurs canadiens, le trio Bell-Rogers-Telus, les relations publiques ont été placées en mode « Hot Chili Pepper » et la crise a été gérée. Sauf que récemment, face à l’éminence d’une nouvelle charge de l’OCDE dans son rapport de 2011, il a été jugé préférable de prendre les devants. En tout cas, c’est ce que Telus (1), le numéro 2, pourrait avoir fait même si son existence semble avoir été ignorée dans le rapport de 2009. Voilà possiblement pourquoi, la semaine dernière, la boîte de Burnaby (…et de Rimouski) rendait publique une étude qu’elle avait commandée à la firme anglaise Nordicité.

Mais pour Me Anthony Hémond, un analyste spécialisé en télécoms chez Union des consommateurs, ce rapport pourrait cacher une raison d’être plus stratégique. Bien sûr, on y apprend qu’en sa version 2009, l’OCDE aurait commis des erreurs de méthodologie, que ses chercheurs seraient passés bien à côté de la réalité canadienne, que certaines conclusions seraient erronées et que, bien au contraire, « le coût par minute des services mobiles au Canada (soit 0,11 $) se classe(rait) au 11e rang des plus bas prix de l’OCDE, soit 0,02 $ en deçà du coût moyen ». Mais tout cela se ferait un peu au détriment du rendement financier si cher aux opérateurs. Nordicité estime que « les revenus par tête » qui sont engrangés par Telus et les autres joueurs du Canada sont de « 12 % sous la moyenne internationale ». Autrement dit, ce serait moins cher et moins payant qu’ailleurs.

Compte tenu du nombre d’habitants au kilomètre carré et de la superficie à couvrir, le taux de pénétration du mobile au Canada est faible ; reste que c’est un marché qui peut encore croître principalement à l’extérieur des grands centres urbains. Or, le gouvernement Harper est en train d’étudier la possibilité de présenter un projet de loi qui permettrait à des entreprises étrangères de venir s’y escrimer. L’idée est qu’une concurrence accrue, entendre américaine ou mexicaine (2), pourrait faire baisser le coût d’utilisation à la minute. Encore faut-il qu’il y ait de l’argent à faire.

« En général, peut-on lire dans le rapport de Nordicité, moins il y a d’abonnés accessibles par kilomètre carré, moins il y a de potentiel de revenus et donc de rendement du capital investi. Les défis associés à la géographie et à la densité de population se traduiront souvent par des tarifs plus élevés. (…) Bien sûr, il y a des exceptions. Même si le Canada possède le ratio abonnement/km2 le moins élevé, le coût de ses services mobiles demeure sous la moyenne en tant que pourcentage de ratio de revenu par tête. » Bref, le mobile canuck n’est pas payant et ça serait sûrement une mauvaise idée de venir y faire saucette. Avis aux intéressés !

Pas payant ? Si on tient compte des dépenses d’entretien, de modernisation ou de développement dans le calcul du revenu net, apparemment oui, mais c’est aller un peu vite dans le rendu du tableau. Par exemple, le coût des infrastructures relatives au 4G qu’utiliseront Telus et Bell vient d’être partagé moitié-moitié. Et qu’en est-il de l’itinérance à l’étranger ? En Europe, le coût est raisonnable. Au Canada, c’est prohibitif et ça s’ajoute possiblement aux revenus. « Il n’y a aucune transparence quant à ces frais », soutient Me Hémond.

Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle l’utilisation d’un téléphone mobile ne coûte que 0,11 $ aux abonnés canadiens le fait sourcilier. Pour lui, c’est un raccourci un peu biaisé. « Au Canada, dit-il, quand on reçoit un appel, les minutes nous sont facturées. » Or, c’est un aspect de la question que Telus et Nordicité n’abordent pas. Quand deux clients Telus Rogers ou Bell se parlent une minute, cela équivaut pour ces opérateurs à en facturer deux.

Quoi qu’il en soit, Nordicité lance quelques torpilles, même si certaines sont de couleur rose, qui font parfois mouche sur le rapport de l’OCDE. Par exemple, on apprend que l’organisme international utiliserait comme base de comparaison des profils d’usagers différents de la normalité canadienne, ce qui pénaliserait notre bleu pays.

Chez nous, le consommateur placoterait mensuellement pendant quelque 375 minutes, un chiffre problématique puisqu’il se situe à mi-chemin entre deux profils prédéterminés par les chercheurs de l’OCDE, les « 188 minutes » et les « 569 minutes », ce qui représente, respectivement, 187 minutes de moins et 194 minutes de plus, de quoi fausser les calculs. Peut-être, mais, « l’OCDE, elle, n’a aucun intérêt au Canada, nuance Me Hémond. Elle ne présente qu’un portrait d’ensemble où elle a tenté de comparer les pommes avec les pommes, ce qui n’est pas facile à faire », étant donné qu’il y a 34 pays souverains qui en sont membres.

Dans cette foulée, Nordicité joue à l’équilibriste sur les forfaits, un capharnaüm tarifaire où, de l’avis du soussigné, il n’y a rien à comprendre. On a beau essayer de les comparer en se servant des sites Web des trois grands opérateurs canadiens, on n’y arrive jamais. Tout est confus, les contradictions abondent, les imprécisions sont majeures et la mouvance est fréquente (3). « Il est impossible de faire un comparatif de forfaits, corrobore le porte-parole de l’Union des consommateurs. On les a conçus pour mêler les usagers. L’OCDE s’y est essayée et, ce faisant, a ouvert la porte à la critique. »

En gros, l’organisation est accusée de n’avoir épluché que deux forfaits de Bell et deux de Rogers, sans avoir tenu compte de Telus et des fournisseurs secondaires. L’eussent-ils fait, le tableau aurait probablement été plus souriant. Hum ! « C’est oublier que bon nombre de ces entreprises sont des filiales de Bell ou de Rogers », fait remarquer Anthony Hémond. Effectivement, si Koodo et Mike appartiennent à Telus, un opérateur ignoré par l’OCDE, Fido et Chatr sont des créatures de Rogers, alors que Virgin et Solo émargent de chez Bell, pour ne citer que ces exemples.

Et ainsi de suite. Par l’entremise de Nordicité, Telus tente de rogner la crédibilité du rapport de l’OCDE publié à l’été 2009. Si on se fie à l’analyste Anthony Hémond, elle a possiblement raison dans certaines de ses allégations. Mais étant donné qu’elle ne dit pas tout, qu’elle utilise certains raccourcis et qu’elle biaise certaines informations, il est possible de mettre en doute la thèse véhiculée.

De là à dire que Nordicité s’est livrée à une manœuvre pouvant parfois ressembler à de la fabrication d’évidences (« self-service évidence »), il n’y a qu’un pas que le soussigné (4) laisse Me Hémond franchir.

(1)    Les relations publiques de Telus n’ont pas retourné l’appel de Direction Informatique dans les délais impartis à cette chronique. (2)    Carlos Slim Helu, l’homme le plus riche au monde, est un magnat mexicain des télécoms. (3)    L’hiver dernier, j’ai même eu droit à un forfait Telus qui ne figurait pas sur son site Web, un truc que seul le vendeur en boutique connaissait. (4)    Avis : Je suis client de Telus et de Koodo. Mais je le suis également de Rogers et de Bell. La vie d’aujourd’hui est bien singulière.

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Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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