Spécial 20 ans : Les informaticiens, d’autodidactes à professionnels encadrés

La profession d’informaticien a beaucoup évolué en vingt ans. D’artisan doté d’une aptitude particulière pour l’informatique ayant appris sur le tas, on est passé à un professionnel dûment formé, exerçant une profession de plus en plus encadrée.

En vingt ans, le métier d’informaticien a considérablement évolué, tout comme la perception qu’en a la population. Dans les années 1980, un informaticien, c’était un mystérieux spécialiste faisant partie d’une classe à part qui, à la manière d’un médium doté de dons surnaturels, pouvait « parler » aux machines et leur faire faire des choses extraordinaires. La profession était alors entourée d’une aura « mystique », étant admirée de tous, tel un génie aux capacités hors d’atteinte pour le commun des mortels.

Plus concrètement, un informaticien était un spécialiste ayant des connaissances et des aptitudes particulières pour mettre sur pied et implanter des systèmes informatiques permettant aux organisations d’automatiser certains de leurs processus. À part quelques nuances quant au type de solutions mises en place et au domaine d’intervention de l’informaticien, qui inclut désormais aussi l’élaboration des stratégies de développement, cette définition a somme toute peu changé en deux décennies.

« En 1980, on était à l’ère des grands systèmes, ce qui fait que c’était très complexe d’implanter des systèmes à cette époque, et l’informaticien était celui qui aidait les compagnies à faire ça », se rappelle Denis Desbiens, vice-président pour le Québec chez IBM Canada.

Bien qu’elle demeure l’apanage d’un certain groupe d’« élus », la profession d’informaticien a un peu perdu de son lustre et de son caractère élitiste depuis. Cela est dû en grande partie à l’accroissement de la convivialité des outils de développement, de mise en oeuvre et de gestion des technologies et à leur démocratisation accrue, ce qui fait qu’un nombre croissant de gens sont confrontés à celles-ci, au travail comme à la maison, et sont donc moins dépourvus face à elles.

« Être informaticien en 1988, ça voulait dire beaucoup plus qu’aujourd’hui, déplore Ronald Brisebois, président du conseil et président et chef de la direction d’Isacsoft. C’était plus excitant, parce que c’était quelque chose de nouveau. On développait des solutions pour le monde. C’était de la création, parce qu’il n’y avait pas grand-chose qui existait. Aujourd’hui, c’est plus difficile de créer quelque chose de nouveau : il y a des logiciels qui existent depuis longtemps et ce n’est pas facile de déloger les grosses firmes. C’est sûr qu’on peut développer des choses nouvelles pour le iPod, le iPhone… »

« En 1980, quelqu’un qui pouvait ‘pitonner’ sur un ordinateur était un king, un crack de l’informatique! Ça paraissait magique pour tous ceux qui étaient autour, de renchérir Luc Poulin, président de l’Association professionnelle des informaticiens et des informaticiennes du Québec (APIIQ). Aujourd’hui, n’importe quel ado est capable de faire ça! »

Face à la nouveauté de la discipline, les programmes de formation en informatique étaient au départ beaucoup plus restreints qu’ils ne le sont aujourd’hui, ce qui permettait à plusieurs de s’improviser informaticien, d’autant plus que la demande était forte. Maintenant, alors que les programmes de formation se sont multipliés depuis, tant au niveau collégial qu’universitaire, c’est plus difficile d’accéder à la profession par la voie de l’expérience sur le terrain.

« Au début, on ne demandait pas de diplôme pour travailler en informatique. Il faut dire que les programmes de bac en informatique ont seulement commencé dans les années 1970, affirme Luc Poulin. […] Puis en 2005, apparaît le bac en génie logiciel. La formation est de plus en plus encadrée et structurée. […] La profession a évolué et est devenue plus mature. D’une profession artisanale, on est passé à une profession qui est guidée par les meilleures pratiques. Il ne faut pas oublier que la profession est excessivement jeune : il y a 50 ans, l’ordinateur n’existait même pas! »

Pour pallier au manque de formation disponible sur le marché, certaines entreprises, comme IBM, avaient recours à des « universités » internes. « Quand les gens d’IBM nous recrutaient à la sortie de l’université, ils avaient leur propre université et on devait partir pendant six mois se former à l’extérieur, sept jours par semaine, douze heures par jour », se rappelle Denis Desbiens, qui est au service de l’entreprise depuis 1978. « On avait des examens, comme dans une vraie université. Si on ne réussissait pas les examens, on était renvoyé. Ensuite, ils nous jumelaient avec des seniors de la compagnie pour qu’on apprenne notre métier, pendant six à douze mois. On appelait ça l’armée! »

Avec la démocratisation des technologies et des programmes de formation est venue la démocratisation de l’accès aux postes supérieurs. Dans une entreprise comme IBM, cela voulait dire qu’un nombre croissant de francophones pouvaient accéder à des fonctions de direction. « En 1980, 90 % de la direction d’IBM au Québec était anglophone, soutient Denis Desbiens. Maintenant, 100 % de la direction est francophone! »

Bientôt un ordre professionnel?

De mieux en mieux formés et encadrés, les informaticiens ne sont toujours pas pourvus d’un ordre professionnel, comme le sont plusieurs autres professions dites libérales, tels les médecins, les avocats et les ingénieurs. Mais l’APIIQ, qui a déposé en juin dernier un mémoire à l’Office des professions du Québec (OPQ) en faveur de l’établissement d’un tel ordre, espère éventuellement remédier à cette lacune.

On se rappellera que l’APIIQ avait fait une demande similaire en 1993, laquelle avait essuyé un refus de la part de l’OPQ, qui considérait que la création d’un tel ordre n’était pas nécessaire pour protéger les intérêts du public. Or, l’APIIQ revient à la charge cette année, en soutenant que justement l’intérêt du public et des organisations serait davantage protégé si un tel ordre existait, puisque le fait d’en être membre attesterait de la compétence de celui qui se prétend informaticien. Se référant à divers incidents étant survenus au Québec, lesquels sont en hausse aux dires des auteurs du mémoire, ces derniers soutiennent que les erreurs de conception peuvent avoir aujourd’hui des conséquences dramatiques.

Le modèle d’ordre préconisé par l’APIIQ fournirait, tout en se voulant ouvert, un contrôle sur les personnes voulant exercer la profession au Québec et la formation qui leur est dispensée, en plus de documenter les incidents étant survenus aux fins d’enseignement.

« C’est incroyable de voir autour de nous, tout ce qui a été impacté et amélioré par l’informatique depuis 20 ans, lance Luc Poulin. L’informatique est partout. C’est un outil puissant, offrant de milliers de possibilités. Cet outil peut […] engloutir des sommes astronomiques ou permettre la divulgation d’informations personnelles qui peuvent avoir un impact sérieux sur la vie privée de personnes ou la survie des organisations. […] On dit à l’OPQ : regardez l’impact économique de l’informatique qui est majeur, peut-être que pour la protection du public et des entreprises il serait bien de s’assurer que les personnes qui travaillent dans ce domaine-là aient une compétence minimale. Parfois le marché est plus fort que ce que les universités peuvent produire et des gens n’ayant pas les compétences adéquates peuvent se glisser sur le marché.

« Nous demandons donc à l’OPQ d’encadrer cette profession dans un ordre à titre réservé, afin de n’empêcher personne de travailler, mais depermettre à tous d’identifier les professionnels qui ont suivi un cheminement d’acquisition de connaissance qui a formellement étéévaluée par les pairs du domaine. Ensuite, ce sera à tout un chacun de faire les choix qui conviendront le mieux à leurs besoins. […] Un jour ou l’autre, ça va se faire : peut-être que ce ne sera pas l’OPQ qui va le faire, mais la profession va éventuellement être encadrée d’une manière ou d’une autre. L’informatique est là pour rester et va continuer à s’étendre à d’autres champs d’application, de façon de plus en plus transparente. »

Alain Beaulieu est adjoint au rédacteur en chef au magazine Direction informatique.


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