Sous-utilisation des TI par les PME : un problème de vision

En plus de l’éternel problème de manque de ressources qui explique la sous-utilisation qu’elles font des TI, les PME ont de la difficulté à saisir en quoi les TI leur permettent de se démarquer de la concurrence.

Le paysage économique du Québec est dominé par les petites et moyennes entreprises (PME), qui ont évidemment un poids important sur l’économie québécoise, en plus de constituer une opportunité commerciale substantielle pour les fournisseurs de technologies.

En fait, 99,9 % des 2,4 millions d’entreprises que comptait le Canada en 2004 se classent dans la catégorie des moins de 500 employés, selon Statistique Canada. À elles seules, les entreprises qui emploient moins de 50 personnes représentent 97,7 % du total. En tout et partout, 56 % de la main-d’œuvre active œuvre au sein d’une entreprise de moins de 500 employés.

Bien qu’elles emploient moins de personnes et génèrent moins de revenus que les grandes entreprises, les PME sont néanmoins soumises aux mêmes impératifs de performance et de rentabilité que les grandes entreprises. Des impératifs que les technologies de l’information (TI) peuvent aider à satisfaire.

Mais voilà, et bien qu’à certains égards, elles soient autant informatisées que les grandes entreprises, les PME ne parviennent pas à tirer pleinement profit des TI qu’elles acquièrent, du moins pas autant que les grandes entreprises.

« Il y a des PME qui sont très bien équipées, étant donné leur niveau de développement, alors que d’autres, c’est à peine si elles ont un télécopieur, affirme Benoit Montreuil, professeur titulaire, Département d’opérations et systèmes de décision, Faculté des Sciences de l’Administration, à l’Université Laval. Toutes proportions gardées, certaines PME vont être aussi bien, sinon mieux nanties que des grandes entreprises. Mais c’est clair qu’il y a sous-utilisation [du potentiel des TI]. Par exemple, on a certain nombre de PME qui traitent avec des compagnies comme Wal-Mart qui utilisent des systèmes comme Retail Link [NDLR : un système d’aide à la décision et d’échange électronique dédié entre Wal-Mart et ses fournisseurs], mais combien de PME utilisent vraiment le potentiel de ces systèmes? C’est assez faible. Très souvent, elles les exploitent au premier niveau qui va les satisfaire, parfois elles utilisent des fonctionnalités avancées ici et là, parce qu’elles ont des problèmes particuliers, mais ça s’arrête là. »

« Comme partout, il y a des exceptions qui confirment la règle, mais d’une manière générale, on a rarement des acheteurs précoces parmi les PME, renchérit Éric Lacroix, directeur, Enquêtes et Veille stratégique, au Cefrio (Centre francophone d’informatisation des organisations). D’ailleurs, des données de Statistique Canada indiquent que l’accroissement de la productivité, qui devrait être dû aux TI, est très faible au Québec. En fait, le Québec et l’Île-du-Prince-Edouard sont les deux provinces canadiennes où la croissance de la productivité a été la plus faible entre 1995 et 2005. Peut-être qu’on n’innove pas assez au Québec et qu’on n’a pas assez intégré les TI dans les façons de faire. »

Éléments de base

Cela dit, les PME ont généralement dans leur environnement technologique trois éléments de base, dont le premier est un système de gestion globale de type ERP. Viennent ensuite les systèmes reliés aux opérations spécifiques de l’entreprise, tels un système de CAO dans le cas des entreprises manufacturières, et les logiciels reliés à la bureautique et aux sites Web. « Après ça, on commence à les voir évoluer vers des systèmes de planification plus évolués, mais là on parle plus de l’élite », soutient M. Montreuil.

Le Cefrio a réalisé, l’an dernier, en collaboration avec la firme SOM, une première enquête sur le degré d’utilisation des TI par les PME québécoises, intitulée NetPME. L’enquête a été menée auprès de 1 800 entreprises québécoises comptant entre 5 à 499 employés.

L’enquête a montré que 84 % des PME sont branchées à Internet, que 73 % disposent d’une connexion à haute vitesse et que 53 % des PME possèdent un site Web. Ce dernier sert, dans 95 % des cas, à fournir des informations sur l’entreprise et les produits et services qu’elle offre. Ce sont seulement 32 % des PME qui disposent d’un catalogue en ligne, 28 % qui offrent la possibilité de soumettre des commandes en ligne et 13 % de payer en ligne. Aussi, le quart des PME détiennent un intranet, alors que 18 % utilisent un extranet et 77 % échangent de l’information avec leurs partenaires.

Au niveau des applications utilisées, ce sont les solutions de gestion financière qui sont les plus répandues, étant utilisées par 86 % des PME, suivies des logiciels de gestion de l’inventaire (51 %) et des systèmes de gestion de la production (46 %).

« Là où le retard est le plus grand, c’est dans le cas où les technologies sont plus dispendieuses à mettre en place ou qu’elles bouleversent beaucoup les processus d’affaires, ce qui est notamment le cas des systèmes de gestion intégrés, note M. Lacroix. C’est très rare que les petites entreprises auront un système intégré, ou même des applications autonomes reliées d’une quelconque façon, parce que cela a des impacts sur les processus d’affaires. »

Manque de ressources et de compétences

La raison pour laquelle les PME ont de la difficulté à tirer le maximum de retombées de leurs investissements technologiques serait double. Il y a d’une part le manque de ressources et de compétences. Disposant rarement d’une équipe nombreuse de gestionnaires des TI et d’informaticiens, les PME ont rarement les compétences internes, ou le temps, qui leur permettraient d’explorer toutes les finesses des outils qu’elles acquièrent et de transformer ces finesses en atouts concurrentiels tangibles.

« Ça demande des spécialistes des TI et de la gestion qui ont le degré de compétence adéquat pour comprendre tout ce que les TI permettent de faire, affirme M. Montreuil. Ça va arriver ça, quand il y a dans la boîte un ou deux [enthousiastes de la technologie]. Mais le manque de ressources n’est pas absolu. C’est un manque de ressources dans le modèle d’affaires qui n’accorde pas beaucoup d’importance aux technologies et qui fait qu’on n’y consacre pas beaucoup de ressources. »

« On a souvent l’impression qu’on court pour éteindre les feux dans une PME et qu’on n’a pas nécessairement le temps pour prendre des actions plus stratégiques pour se positionner sur le marché, ajoute M. Lacroix. On peut difficilement mettre sur pied une équipe de trois à quatre personnes pour réfléchir à l’avenir de l’entreprise pour voir quelles vont être les implications si on adopte telles ou telles technologies. D’autant plus que dans beaucoup de cas, l’acquisition de technologies est perçue comme une dépense, et moins comme un investissement. Donc, les dirigeants des PME ne perçoivent pas toujours la valeur ajoutée des investissements informatiques. »

C’est ce qui explique d’ailleurs que nombre de PME vont adopter des technologies pour simplement satisfaire les exigences de certains clients d’envergure, sans percevoir toute l’étendue des avantages qu’elles offrent.

L’incapacité des fabricants de fournir des solutions qui répondent réellement aux besoins des PME, et qui respectent leurs contraintes, explique aussi l’incapacité des PME à tirer pleinement profit de leurs outils technologiques. C’est que plus souvent qu’autrement les grands fabricants se limitent à proposer aux PME des versions appauvries des solutions qu’elles offrent déjà aux grandes entreprises.

« La plupart des systèmes ne sont pas bien conçus pour les PME, soutient M. Montreuil. On essaie de passer aux PME des versions réduites des grands systèmes, alors qu’une PME n’est pas une version réduite d’une grande entreprise. Les PME ont parfois besoin de fonctionnalités qu’on va considérer avancées pour une grande entreprise. Il y a une notion de paradigme, au niveau du développement, qui est différent quand on s’adresse à une PME versus une grande entreprise.

« À côté de ça, il y a des révolutions en cours, au niveau des logiciels de bureautique, qui offrent de plus en plus de fonctionnalités, des logiciels de type Google, qui offrent beaucoup de possibilités pour presque rien, et du phénomène des logiciels libres. Tout ça crée beaucoup de potentiel et brasse la table, et ce qui va en sortir dans 5 ou 10 ans, c’est une nouvelle génération de systèmes de gestion. Les grands ERP monolithiques qu’on connaît aujourd’hui vont se faire transformer. »

Effets de la mondialisation

Sous l’impulsion de la mondialisation des marchés et de l’accroissement de la concurrence qui en découle, il est à prévoir que le niveau et la profondeur d’utilisation des TI par les PME augmentent prochainement.

« Actuellement, les TI ne permettent que partiellement aux PME d’être plus concurrentielles face aux entreprises étrangères, mais au cours des prochaines années, elles devront les exploiter de façon nettement plus forte, plus intégrée et complète, mets en garde M. Montreuil. Il faut exploiter les compétences et le savoir-faire qu’on a au Québec dans une perspective mondiale. Il ne faut pas chercher à copier les PME des pays en développement, il faut chercher à s’élever, à faire un effet de levier avec nos cerveaux et les connecter au maximum. Il ne faut pas faire de la technologie pour de la technologie, il faut l’utiliser pour valoriser au mieux chacun des travailleurs qu’on a dans l’entreprise. Si on ne réussit pas à faire ça, tout va être envoyé à l’étranger. »

« La force du dollar canadien au cours des dernières années a fait que les entreprises se sont un peu laissées aller, ajoute M. Lacroix. Mais la perte de contrats importants et de marchés va les faire se réveiller et investir de façon plus créative pour se sortir du trouble. J’ai espoir que la situation qu’on vit actuellement sur le marché américain va donner un coup d’accélérateur en ce sens. La collaboration entre des entreprises qui se complémentent pour répondre à certains besoins permet à chacune d’elles d’être plus concurrentielle et les technologies favorisent cette collaboration. »

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