Râteau et logiciel, même combat!

Il y a une analogie évidente entre l’industrie américaine du logiciel, celle d’Adobe, de Microsoft ou d’Apple, et l’industrie chinoise du « beau bon pas cher », celle des étales de Canadian Tire, de Walmart ou de Costco, mais que la première est de loin plus tordue que la seconde.

Quand je me suis fait campagnard, il y a de cela trois ans, j’ai dû m’acheter un nombre effarant d’outils. Dans un premier temps, faute de moyens financiers, j’ai dû m’en tenir à ces Réno-Dépôt, Matério, Canadian Tire et tutti quanti (je n’ai pas encore pu m’astreindre à fréquenter Walmart) qui prolifèrent autour des grands centres comme le tussilage autour de mes calvettes et dont la mission semble être de servir d’exutoire au « made in China ».   Aujourd’hui, je ne m’adonne plus à une telle pratique; trop d’achats se sont avérés malencontreux et le pigiste que je suis n’a pas les moyens de s’adonner à un tel gaspillage. Le pire, c’est que je n’ai pas retourné ces misérables articles pour remboursement ou remplacement, cela parce que ces produits coûtaient des pinottes, parce que le commerce visité était vraiment trop éloigné ou parce que la preuve d’achat avait disparu.   Voici quelques exemples (et je vous fais grâce de ces grille-pain, malaxeur, fouet électrique et autres électroménagers inertes, quoiqu’hostiles, qui partagent une haine profonde à l’endroit des humains) :   – Balais à trottoir : la brosse s’est fendue en deux dès sa première utilisation. Mis à la récup ! Coût : 12 $. – Peigne à gazon : manche cassé en dedans d’un mois. Achat d’un nouveau manche qui ne tient pas puisque l’embout (en plastic) a été forcé. Mis à la récup ! Coût 30 $. – Râteau : trois dents tombées à force de les redresser tellement le métal est de mauvaise qualité. Mis à la récup ! Coût 25 $. – Brouette : Cuve en gros plastique trouée et fendue quatre mois après son achat. Rafistolée (jusqu’à un certain point) et utilisée de façon pathétique pour déplacer des charges légères. Coût 75 $. – Boyau d’arrosage : malgré son aspect robuste, n’arrêtait pas de s’obstruer en se tordant, ce qui empêchait l’eau de circuler. Mis à la récup ! Coût : 25 $. – Pompe « allume-cigarette » pour regonfler les pneus : cesse de comprimer l’air vers la fin de sa troisième utilisation. Mise à la récup ! Coût : 15 $. – Et cetera ad nauseam.

Je viens, vite fait, de vous lister une kyrielle de mauvais achats qui s’est soldée par une dépense inutile de plus de 180 $ et, honnêtement, j’aurais pu continuer pour encore quelques centaines de dollars (tout en évitant de vous raconter mes mésaventures de tondeuse et de tronçonneuse par crainte que vous ne vous moquiez de moi). Depuis, j’ai racheté la plupart de ces articles en exigeant, cette fois, qu’ils soient fabriqués autrement (la rectitude politique m’empêche d’écrire « qu’ils soient fabriqués chez nous »). Si cela m’a parfois coûté le double, j’en ai eu pour mon argent et je n’ai plus de problème de bris.   Ce qui m’amène au logiciel américain. Pour bien nous comprendre, prenons trois exemples patents : Vista Intégrale 32 bits de Microsoft, iMovie ’09 d’Apple et Premiere Elements 8.0 d’Adobe. Pourquoi Vista? Simplement pour m’en tenir à un cas récent, ce qui m’éviter de remonter la nébuleuse de Redmond jusqu’à Microsoft Bob, en passant par le WMA-DRM 9.1, les UMPC, les promesses de Mira, les routeurs exclusifs aux modems câble et Windows ME. Quant à iMovie et Premiere Elements, je les ai récemment crucifiés en toute justice ici et ici.

Si vous lisez Direction informatique, vous êtes particulièrement bien placés pour savoir que les conséquences de s’être procuré un mauvais logiciel sont infiniment plus dommageables que celles de se retrouver avec une pelle ronde inutilisable (je ne parle pas d’une tronçonneuse à 700 $ ou d’un tracteur VTT à 4 000 $, des produits dont la complexité les classe dans une catégorie à part). Je ne m’accuserai pas d’être un citadin établi en campagne, de ne pas avoir les compétences d’un terrassier et de devoir apprendre sur le tas lorsque les dents de mon râteau crochiront. Je me dirai tout naturellement (parce « rien qu’à voir on voit bien ») que je me suis fait avoir, que j’en ai eu pour mon argent, bref, comme le dit ma mère, que « ça coûte cher, sauver! ».   Mais avec un produit aussi mauvais que Premiere Elements 8.0, un produit vendu 150 $ en combo avec Photoshop Elements 8.0, je maudirai mon incompétence, mon analphabétisme informatique, ma méconnaissance du jargon technophone, la pitoyable nature de mon ordi, ou, trop souvent, la présence, dans mon système, d’une variante de Microsoft Windows. En regardant un manche de pioche fracturé, je ferai porter le blâme sur les Chinois. En devisant mon écran gelé raide mort, j’accuserai ma nullité cybernétique.   Et je passerai des heures et des heures et des heures à redémarrer mon système pris dans la graisse de binne sous Vista 32 ou Win ME, à essayer de le dégourdir avec toutes sortes de produits soi-disant miracle, à lire sur les forums, à parler (un bien grand mot) avec des préposés d’Adobe à Bangalore. Ou bien, je regarderai, impuissant, iMovie ’09 planter pour une énième fois sans pouvoir, nulle part, me plaindre efficacement de cette situation, l’univers Mac étant, disons, réfractaire à la critique.   Pire, je ne pourrai jamais me dire qu’il ne me faut plus acheter du logiciel américain comme je l’ai fait pour les manches de hache, les laisses à chien ou l’ail chinois. D’une part, la Silicon Valley fabrique de fichus bons logiciels (encore faut-il les connaître). Personne ne dira que SharePoint, Exchange Server ou Office 2007 sont de mauvais produits Microsoft, pas plus qu’ils ne diront du mal de Flash ou de Creative Suite 4 chez Adobe et de Final Cut Pro et iTunes chez Apple.   D’autre part, il n’y a pas vraiment d’alternative canadienne ou autre au rouleau compresseur états-unien. Vous pensez à ce joyau outaouais appelé Corel? Vous songez au monde du logiciel libre? Vous croyez que M. Mme Tout le Monde va s’installer CorelDraw X4 ou va privilégier The Gimp ou Cinerella? C’est mal connaître ou comprendre le réseau de distribution des logiciels grand public et c’est surestimer la connaissance industrielle des consommateurs. Rappelez-vous que la très grande majorité ignore qu’il y a de meilleurs fureteurs Internet qu’Explorer 6 ou 7.   Tout cela pour dire que le fait d’acheter de mauvais outils horticoles est peut-être détestable ou enrageant, mais c’est bien moins pire que d’acheter du mauvais logiciel américain. Si on peut jeter son triste râteau pour s’en acheter un de meilleure qualité, il nous est techniquement plus difficile d’en faire autant avec du logiciel qu’on a payé entre 50 $ et 300 $. Et je me dis parfois qu’il y a sûrement chez Microsoft, Adobe et Apple (pour ne pas parler de Symantec et des autres), des bollés en marketing qui comprennent très bien cette situation et qui en font profiter leur employeur.   Alors, on fait quoi?   Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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