Produire un jeu vidéo, un véritable décathlon

LE JEU – Les producteurs de jeux vidéo doivent suivre des évolutions technologiques et desservir un nombre grandissant de plateformes. Les attentes et les exigences des joueurs ne cessent de croître.

L’industrie du jeu vidéo évolue continuellement sur plusieurs fronts. Nous sommes loin de l’époque de Pong, cette émule du tennis de table qui a révolutionné le divertissement à la maison. Les machines d’arcade et les premières consoles d’Atari, de Coleco et de Mattel (Intellivision), aux graphiques 2D, pixélisés et en seize couleurs, aux sons électroniques basiques et aux mouvements saccadés, ont été le passe-temps de plusieurs personnes qui s’en souviennent avec nostalgie…

Aujourd’hui, le jeu vidéo se rapproche du réalisme, avec des graphiques en 3D, des textures, des éclairages et des ombrages détaillés, du son échantillonné ambiophonique, des mouvements élaborés et une intelligence artificielle moins prévisible. De nouveaux titres font constamment leur apparition sur le marché, dans divers domaines comme le jeu de tir, le sport, la stratégie ou le ludo-éducatif, sous forme de simulation ou bien de fiction, pour un, deux ou plusieurs joueurs connectés en réseau.

Des titres populaires font l’objet d’éditions annuelles qui sont attendues avec intérêt par les consommateurs. Certains titres, qui font l’objet de licences, dépeignent des sports ou mettent en vedette des personnages de dessins animés, de bande dessinée ou de films à succès. Des personnages de jeu vidéo sont si populaires qu’ils font l’objet de films avec des acteurs réels (Tomb Rider, Super Mario, Doom, etc.)

Le travail d’arrière-scène

Pour livrer ces titres, les producteurs de jeux vidéo ont beaucoup de pain sur la planche. Au gré de l’amélioration du matériel d’exploitation et des outils de création, ils doivent produire des jeux qui susciteront l’intérêt des joueurs tout en repoussant les limites établies par une édition précédente ou un titre concurrent.

Ainsi, les studios réalisent bon nombre d’étapes avant d’obtenir un produit final, comme on fait un long métrage cinématographique. Le travail commence par l’écriture d’un scénario, avec l’élaboration des intrigues, des personnages, des dialogues, des accessoires, des fonctions, des menus, des niveaux et de l’environnement de jeu, qui ressemble à la scénarisation d’un film.

Il y a ensuite la conception graphique, avec le développement des structures, des personnages et des composantes et la création de textures et d’artefacts graphiques. Il y a la programmation des comportements des éléments, selon leur interaction avec les éléments et leurs déplacements dans l’environnement de jeu, autant pour les composantes contrôlées par les joueurs que pour celles qui sont contrôlées par « intelligence artificielle. » En matière de son, des comédiens enregistrent les dialogues, des techniciens captent des échantillons en studio ou sur le terrain et des compositeurs créent de la musique d’ambiance. La localisation des jeux, en fonction de la langue des joueurs, nécessitera la production de contenus visuels et sonores additionnels.

Une fois la programmation terminée, l’assurance qualité du jeu sert à vérifier que les mouvements sont fluides et réalistes, que les graphiques sont bien rendus, que les éléments sont bien assemblés, interagissent convenablement et se manient bien à l’aide des contrôleurs, qu’il n’y a pas de bogues (comme un trou dans un mur), que les effets sonores sont synchronisés, que les menus sont fonctionnels, etc. L’essai du jeu est réalisé par une équipe de testeurs, et parfois des joueurs assidus y participent comme on présente un film à des groupes témoins. On teste le jeu en mode multijoueur, pour déceler de la latence lors du recours à des serveurs Web spécialisés. Des solutions de dépannage technique et des astuces sont rédigées pour les joueurs qui auront besoin d’aide ou d’indices.

Enfin, des étapes classiques de mise en marché sont ensuite réalisées, comme la création de l’emballage et du matériel publicitaire, la production d’une version de démonstration qui sera téléchargeable ou offerte dans des magazines, la réalisation d’une bande-annonce pour le Web ou pour la télévision, la création de fonds d’écran pour publiciser le produit final auprès du public visé.

Bref, le processus de développement de jeux vidéo, qui peut durer jusqu’à cinq ans, nécessite le travail de dizaines de créateurs, de programmeurs, de testeurs et de gestionnaires spécialisés pour réaliser une multitude d’étapes.

Niveaux de jeu

En parallèle de l’évolution des capacités technologiques, les plateformes d’exploitation de jeux vidéo se sont multipliées et diversifiées, ce qui ajoute un niveau de difficulté au travail des producteurs.

Les récentes consoles de jeu vidéo Playstation 3 de Sony et Xbox 360 de Microsoft, dont la puissance des processeurs est comparée à celle de superordinateurs, rehaussent la donne en matière de rendus graphiques, de qualité sonore et de réalisme. Comme ces deux consoles détiennent des parts importantes du marché, la plupart des producteurs doivent réaliser simultanément un jeu pour l’une et pour l’autre. Certains titres, qui sont offerts exclusivement sur une console, font l’objet d’attentes élevées de la part des joueurs.

Les consoles de la génération précédente, utilisées par des millions de consommateurs qui ne sont pas prêts à passer à la nouvelle génération, incitent les producteurs à publier un titre à leur intention. La console Xbox n’est plus disponible, mais la console Playstation 2 trônait récemment en tête des palmarès des ventes…

Depuis plus d’un an, la console Wii de Nintendo ajoute de l’interaction au jeu vidéo, ce qui complexifie le processus de développement d’un titre. La définition des mouvements à exécuter à l’aide de manettes et d’accessoires implique de nouvelles étapes de création, de programmation et d’essai. Parions que les autres consoles, qui effleurent le concept avec des contrôleurs sous forme d’instruments de musique dans Guitar Hero et Rock Band, penseront sérieusement à intégrer l’interaction dans leurs prochaines consoles.

Les consoles portatives, comme la DS de Nintendo et la PSP de Sony, sont populaires et de plus en plus puissantes. Ainsi, certains titres offerts sur les consoles fixes sont publiés pour ces consoles nomades. L’ordinateur personnel, encore très prisé des mordus du jeu, incite les producteurs à offrir un titre pour cet appareil polyvalent. D’ailleurs, quelques éditeurs offrent depuis peu des titres pour l’environnement Mac.

Somme toute, il est possible qu’un même titre soit publié simultanément en cinq ou six versions. Toutes ces versions nécessiteront des outils de programmation, des équipes de testeurs et du soutien technique, afin que les éditeurs produisent des moutures de qualité.

D’autre part, on retrouve les jeux destinés à l’Internet, les jeux destinés aux téléphones mobiles, aux assistants numériques et même aux lecteurs de contenus multimédias, comme le iPod d’Apple, et les jeux destinés à des créneaux spécialisés, comme le divertissement dans les avions, qui constituent des niches en forte croissance. Plusieurs producteurs se spécialisent dans ces plateformes particulières.

Écosystème

Les éditeurs de jeux vidéo sont nombreux sur la scène internationale, et le Québec s’est développé une industrie des plus respectables au cours des dernières années. On y retrouve des studios de développement de grands éditeurs mondiaux, des studios de moyenne taille qui sont des indépendants ou des filiales de multinationales, ainsi que des petits producteurs de titres spécialisés.

En périphérie, on retrouve une variété de prestataires de produits et de services forment un « écosystème. » Si les studios majeurs réalisent la plupart de leurs fonctions à l’interne, d’autres ont recours à ces fournisseurs externes pour produire des étapes d’un projet. On y retrouve des impartiteurs qui se chargent de l’assurance qualité, de la localisation ou de portage d’un environnement vers un autre. D’autres entreprises fournissent des services auxiliaires, comme des serveurs pour le mode multijoueurs en ligne.

On y retrouve également des concepteurs d’outils spécialisés qui servent à la création des jeux. Ces « quincailliers électroniques » développent de nouveaux outils qui élargissent les possibilités des créateurs et raffinent les détails des jeux créés. Ces outils nécessitent l’obtention d’une formation afin d’en exploiter le potentiel au maximum.

Ainsi, les responsables des studios de développement et des fournisseurs doivent s’assurer que le personnel utilise les outils les plus performants et détient les compétences les plus fructueuses pour produire des jeux vidéo de qualité. Le suivi de l’évolution des plateformes matérielles est également crucial pour produire des titres qui seront offerts à temps pour la sortie d’une nouvelle console. Enfin, l’optimisation du flux de travail, à l’aide d’outils de gestion et de planification, aide à assurer que la production d’un jeu sera complétée à temps.

Bref, les investissements en temps et en argent réalisés par les producteurs de jeux vidéo sont considérables.

Une clientèle exigeante

Si l’industrie du jeu vidéo semble attrayante pour ceux qui y travaillent – Wow, être payé pour jouer!, entend-on parfois – la pression sur ses travailleurs peut être élevée, car la rentabilité ou la survie d’un studio dépend de l’accueil qui sera réservé à un titre lorsqu’il sera commercialisé.

Si, auparavant, quelques magazines spécialisés et quelques chroniqueurs émettaient une opinion susceptible d’influencer l’intérêt du public, l’Internet a multiplié les commentaires à l’égard des jeux. Les chroniqueurs Web et les internautes peuvent manifester leur appréciation ou être impitoyables envers un titre donné. L’Internet permet aux éditeurs de publiciser leurs jeux à grande échelle, ce réseau de communication peut être un couteau à double tranchant…

Malheur au studio qui produit un titre dont les graphiques, les mouvements, la durée de vie ou le degré de difficulté ne répondent pas aux attentes des joueurs! Avec des projets de plus en plus élaborés, qui nécessitent de plus en plus de temps à produire, des millions de dollars sont investis pour produire un jeu dont on espère qu’il générera un profit, ou du moins qu’il fera ses frais.

Contrairement au jeu sur ordinateur qui peut faire l’objet de rustines pour appliquer des correctifs, un jeu de console bâclé ne peut être corrigé. Plus que jamais, l’assurance qualité joue un rôle crucial.

Gros jetons

La principale source de revenus des producteurs reste encore la vente au détail des jeux vidéos. Les moyens de financement de la production d’un jeu vidéo sont multiples, par exemple par l’insertion de publicités dans les jeux. Certains studios misent sur un modèle d’affaires où des accessoires et des niveaux de jeu sont vendus en ligne aux joueurs qui n’ont pas la patience de les déverrouiller.

Éventuellement, un jeu qui obtiendra du succès auprès des joueurs pourra faire l’objet de versions annuelles, de modules additionnels et de versions spécialisées, comme le simulateur de ville Sim City dont les personnages ont depuis quelques années leur propre jeu. Les studios peuvent alors obtenir des revenus intéressants, pourvu qu’ils produisent des versions satisfaisantes pour les joueurs fidélisés.

L’industrie du jeu vidéo ne cesse de progresser, autant par de nouveaux titres pour les joueurs actuels que par l’obtention de nouveaux joueurs. Cette industrie est effervescente, avec l’apparition de nouveaux développeurs et fournisseurs et la réalisation de transaction comme l’obtention de mandats, les fusions et les acquisitions. Tout porte à croire que l’industrie du jeu fera encore l’objet d’une croissance et d’un dynamisme pour plusieurs années.

Toutefois, les entreprises de l’industrie du jeu vidéo font face à deux enjeux similaires que vivent les entreprises des autres secteurs des TIC. D’une part, la concurrence est d’ordre mondial et les entrepreneurs doivent affronter des concurrents au coin de la rue et à l’autre bout de la planète pour obtenir des mandats ou bien convaincre les joueurs d’acheter leurs titres. D’autre part, en considérant le temps et l’argent investis pour produire un jeu chaque éditeur espère que ses concurrents ne sortiront pas un meilleur jeu peu avant le lancement de leur nouveau titre…

Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.


À lire aussi cette semaine: Le jeu vidéo, nouveau meneur des industries du divertissement Perspectives : le jeu Repères : le jeu

Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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