Prix des services mobiles au Canada : Des arguments contestés, une concurrence à rétablir

Un rapport de la firme Seabord Group, qui prône l’ouverture du marché des services mobiles, répond aux arguments historiques des fournisseurs pour expliquer les prix élevés au Canada. Le document souligne les effets bénéfiques que la «concurrence dynamique» avait procuré au marché durant quelques années dans le milieu des années 1990.

Dans un rapport nommé Long Term Evolutionary Challenge: Limiting Wireless Carrier Gluttony, la firme d’analyse du marché des télécommunications The Seaboard Group, de Montréal et Ottawa, rapporte que les consommateurs se plaignent des prix élevés et du manque de choix dans le marché de la mobilité au Canada, où un oligopole composé de trois fournisseurs nationaux (Bell, Rogers et Telus) occupe la majorité du marché.

La firme soutient que l’antipathie des consommateurs envers la situation cause une certaine résistance envers l’adoption des communications mobiles. Le faible nombre d’appareils sans fil par cent personnes ferait en sorte que le Canada serait à la traîne des autres pays développés, mais aussi de bon nombre de pays en développement.

Des arguments mis en doute

Dans son rapport, le Seabord Group réplique aux arguments traditionnels des fournisseurs canadiens pour expliquer les prix élevés des services mobiles.

À propos de l’argument du grand territoire à couvrir, le rapport du Seaboard Group note que les services mobiles sont offerts non pas sur 90 % du territoire géographique canadien, comme l’affirme l’industrie, mais plutôt sur environ 15 % du territoire. Aussi, on note que les États-Unis comptent 27 fois plus de sites d’antenne de réseau sur un territoire qui correspond à 90 % de la superficie du Canada.

À propos de l’argument voulant que la population au Canada soit trop petite pour soutenir les dépenses d’investissement élevées qui sont liées à l’établissement d’un réseau mobile, le Seabord Group estime à 196 dollars américains l’investissement par personne qui a été requis pour l’implantation des réseaux mobiles au Canada, de leurs débuts jusqu’en 2000. Or, aux États-Unis, l’investissement par personne aurait été de 292 dollars américains durant la même période.

La firme relate qu’en 2008 les fournisseurs Bell et Telus ont indiqué qu’ils investiraient chacun 500 millions de dollars dans un réseau HSPA commun. Toutefois, un fournisseur néo-zélandais a dévoilé peu après un investissement de 400 millions de dollars dans un réseau similaire, mais pour un territoire 37 fois petit que le Canada.

Le Seabord Group affirme que l’argument des dépenses d’exploitation élevées ne serait plus valide. Alors que la proportion des dépenses d’exploitation en comparaison aux revenus, au Canada, serait passée d’environ 69 % en 2002 à 52 % en 2007 pour ensuite augmenter à 55 % en 2009, aux États-Unis la proportion aurait glissé de 67 % en 2002 à 63 % en 2004 pour ensuite fluctuer plus ou moins autour de ce pourcentage les années suivantes.

Les auteurs du rapport affirment aussi que l’argument du pionnier – soit que l’implantation des premiers réseaux mobiles au Canada ait été plus coûteuse en raison du faible volume d’utilisateurs et du phénomène d’adoption hâtive pour une toute nouvelle technologie – n’aurait jamais été valable. Le Seabord Group souligne que des pays scandinaves avaient implanté la téléphonie mobile bien avant 1985 (l’année où les premières licences d’exploitation ont été octroyées au Canada) et que les États-Unis ont amorcé l’implantation de leurs réseaux en même temps qu’au Canada.

Enfin, à propos de l’argument historique voulant que seuls les gens d’affaires aient besoin de téléphones mobiles et que le prix du service ne soit pas important pour eux, le Seabord Group indique que cette approche a satisfait les besoins de retour sur le capital rapide des fournisseurs de services de télécommunications, mais la firme estime que l’approche a rendu ces fournisseurs dépendants de la métaphore commerciale voulant que « peu payent beaucoup ». « Ils ont perdu de vue la stratégie alternative de “plusieurs qui paient moins” offrirait aux actionnaires le même retour sur investissement et même plus », note le rapport.

Une concurrence à rétablir

Selon le Seabord Group, le retard du Canada en matière d’adoption des télécommunications mobiles est attribuable à l’absence d’une concurrence « dynamique » au niveau des fournisseurs de services.

Le rapport rappelle qu’il y a pourtant eu des « guérillas » dans l’industrie canadienne des télécommunications mobiles à compter du milieu des années 1990 avec l’apparition des joueurs Clearnet (Mike) en 1998 et Microcell (Fido) en 1996. Ces ajouts ont insufflé du dynamisme dans le marché : des utilisateurs de lignes fixes ont délaissé leurs services pour le sans-fil, les prix ont chuté et le recours au téléphone mobile pour des raisons autres que « les urgences » a progressé.

Toutefois, avec le rachat de Clearnet par Telus en 2000 et l’acquisition de Microcell par Rogers en 2004, le marché des télécommunications mobiles est retourné à un état non concurrentiel.

« Dans un marché qui est dominé par seulement trois fournisseurs nationaux, il existe des opportunités pour des comportements à récompenses mutuelles qui maximisent les retours et qui minimisent les dérangements », indique le rapport.

« Dans un tel marché où, dans une région donnée, deux des trois fournisseurs nationaux ont clairement des avantages en parts de marché et que le reste du marché est tel qu’il y a une alternance entre les fournisseurs, les motivations sont élevées pour amoindrir toute véritable intensité concurrentielle. [Les fournisseurs disent :] “Si nous offrons un rabais ici, ils nous attaqueront là, alors vaut mieux ne pas agir”… », poursuit le rapport.

Le Seabord Group souligne que les grands fournisseurs de services de télécommunications mobiles, dont les services patrimoniaux contribuaient à leur subsistance, souhaitaient que le sans-fil s’insère dans des plans commerciaux d’ensemble. Or, l’approche du fournisseur abordable de services mobiles ne servait pas leurs intérêts pour diverses raisons.

« Le nombre de joueurs dans le marché ne veut rien dire, mais c’est le type de joueurs, chacun avec ses propres intérêts, qui dicte et forme le marché à venir, souligne le rapport. Si les intérêts des rivaux sont alignés et que la pensée du “toute chose étant égale par ailleurs” domine les sessions de planification stratégique, alors la pression concurrentielle demeure faible. »

Le rapport du Seabord Group décrit en détail les problèmes qui ont sclérosé le marché canadien des télécommunications mobiles de 2004 à 2008, soit le moment où le gouvernement canadien a établi des mesures visant l’établissement d’une concurrence accrue.

Ces problèmes sont les visées différentes des fournisseurs d’un service unique et des fournisseurs à services multiples, les coûts élevés de passage vers les autres fournisseurs, les monopoles technologiques, la durée et les pénalités des contrats, les coûts de fin hâtive des contrats et le coût des appareils.

Selon la firme d’analyse, l’arrivée de nouveaux concurrents à compter de 2009 a eu des effets bénéfiques au sein du marché canadien des télécommunications mobiles, mais il reste beaucoup à faire.

Pour consulter l’édition numérique du magazine de février-mars 2012 de Direction informatique, cliquez ici

Jean-François Ferland est rédacteur en chef adjoint au magazine Direction informatique.

Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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