Présence physique obligatoire? Mon oeil…

Eussé-je été plus sensible aux sirènes du marketing, je me serais rendu à San Francisco cette semaine, voire à Mountain View la semaine dernière, et j’aurais perdu beaucoup de temps.

À Mountain View, c’était Google qui rendait public le bêta de Chrome, ce fureteur dont je vous ai parlé vendredi dernier, et à San Francisco, c’était Apple qui recevait la presse à une présentation d’étape appelée « Let’s Rock ». Si vous le voulez bien, analysons ce dernier événement du point de vue logistique.

« Let’s Rock » a permis au PDG d’Apple, Steve Jobs, de présenter quelques produits de détente, de vanter la réussite de ses boutiques Apple et de lancer iTunes 8, une version de ce lecteur audiovisuel qui est mieux intégrée au iTunes Music Store. Le tout a duré une heure et s’est déroulé au Yerba Buena Center for the Arts, ce centre culturel haut de gamme situé juste à côté du célébrissime Centre de congrès Moscone, en plein cœur de la légendaire citée de la côte ouest.

Une question de temps

Pour m’y rendre, il m’aurait d’abord fallu voyager lundi et mercredi. Selon le billet que l’on m’aurait déniché, soit un vol direct, soit un vol via Toronto, Pittsburgh, Philadelphie ou New York, le pot de cornichons m’aurait enfermé entre 5 et 8 heures, à l’aller, et autant, au retour. Imaginons un total de treize heures. Mais avant de pouvoir m’entasser dans un Airbus ou un Boeing, il m’aurait fallu prévoir au moins deux heures de queue et d’attente à Dorval et autant à San Francisco, ce qui totalise, disons, quatre heures. En outre, comme j’habite à une heure d’autoroute, d’autoroute non congestionnée s’entend, de YUL (l’aéroport Trudeau) et que le SFO (celui de San Francisco) est, normalement, à 20 minutes des hôtels proches du Moscone, il faut ajouter au moins trois heures de voiturage. Je vous parle donc de vingt heures, un chiffre qui me semble assez réaliste, soit dix heures le lundi et dix heures le mercredi.

Quant à la journée de mardi, puisque l’événement avait lieu à 10 h, les relations publiques d’Apple m’auraient demandé d’être sur place, dans la masse de scribes en attente que l’on ouvre les barrières, au plus tard à 9 h, ce qui aurait signifié un réveil à 7 h pour avoir le temps de me refaire une beauté, bouffer quelque chose et prendre connaissance de mes courriels. À 11 h 30, j’aurais rencontré un éventuel chef de produit qui m’aurait évangélisé pendant quelques minutes, le temps que je prenne quelques notes pour lui être agréable. Vers 13 h, les relations publiques m’auraient attrapé et m’aurait amené bouffer quelque chose de cher.

Après? Un grand trou noir d’une vingtaine d’heures avant le prochain vol pour Montréal. J’en aurais bien sûr profité pour écrire un papier sur « Let’s Rock ». J’aurais fait du ménage dans mes courriels. J’aurais pris des marches et acheté un petit souvenir pour ma blonde dans le Chinatown. J’aurais lu dans mon lit et je me serais endormi vers 23 h. Voilà pour mardi : quelque 16 heures de ravaudage.

Le grand total serait donc de 36 heures. 36 heures d’efforts captifs pour une heure quelques minutes d’événement, avec, à l’autre extrémité de la machine à saucisse, un article de type reportage « senti ». 36 heures de travail éreintant (je suis quelqu’un qui fatigue en avion) pour un seul article. Cherchez l’erreur! Vous comprenez pourquoi j’ai décliné l’invitation et pourquoi j’ai procédé autrement pour faire mon métier.

Assis tranquille, à mon bureau

En fait, mardi, je suis resté tranquillement assis dans mon bureau et à 13 h (10 h, heure du Pacifique), j’ai simplement regardé la présentation de Steve Jobs sur mon PC (ce qui signifie, dois-je le préciser, que je n’ai pas perdu mes journées de lundi et de mercredi). Sans compter que la plupart des grands magazines américains avaient, sur place, un collaborateur qui bloguait au fur et à mesure que le PDG d’Apple se faisait vibrer les cordes marketing. Il me fallut moins de deux minutes pour décider de ne rien écrire, la matière m’apparaissant insuffisante. Par contre, cette petite heure investie sur Apple m’inspira, au point de produire, dès le lendemain, un texte sur la personne de Steve Jobs. Ce qui me prit un bon trois heures. Bilan : une heure d’écoute et trois heures d’écriture, c.-à-d. quatre heures!

C’était sensiblement le même scénario que la semaine précédente chez Google. À 14 h, la conférence de presse débutait avec retransmission en simultané, à 14 h 50 Google Chrome était rendu disponible au téléchargement et à 15 h 35 je mettais en ligne mon article sur ce produit. Je vous parle donc d’un processus professionnel complet qui venait de durer moins de deux heures. Par la suite, j’écrivis deux autres textes sur Chrome, ce qui nécessita quatre heures d’effort. Bilan : à peine six heures de travail.

Ce qui me fait, les deux événements confondus, un grand total de dix heures de travail pour quatre articles (reportages et chroniques).

Pour ajouter à l’absurde, je pourrais vous parler du rédacteur en chef de ce périodique, notre bien-aimé Patrice-Guy Martin, qui, le pauvre, s’est tapé cette semaine en moins de cinq jours tout compris, un aller-retour Montréal-Paris-Montpellier pour un lancement de solutions de stockage chez IBM. Par-dessus les fatigues décrites ci-haut, il faut rajouter ici un décalage horaire de 6 heures…

Et il y a bien d’autres exemples, le plus connu étant d’aller se réunir à Toronto pendant deux ou trois heures, ce qui oblige de sacrifier sa journée entre YUL et YYZ (l’aéroport Pearson). Bien sûr, on a son bloc-notes, son Blackberry ou son iPhone. On peut donc s’acquitter de ceci et de cela, perdant ainsi moins de temps. Je veux bien.

Vraiment productif?

Mais un jour, il va vraiment falloir que l’on prenne tout le temps nécessaire pour bien m’expliquer pourquoi et comment un système de vidéoconférence (de la Webcam à 25 $ au gros truc corpo dans les cinq ou six chiffres) est moins efficace, moins sérieux, moins productif, moins rentable, qu’une réunion sur place avec vraies poignées de main et senteurs de savon fort. Parce qu’après il est possible de faire du réseautage social, de parler entre quatre yeux à des collègues ou des patrons, d’en profiter pour aller magasiner? Êtes-vous bien certains qu’il vous est possible de vous adonner à ces à-côtés à chaque déplacement? Permettez-moi d’en douter.

Il me semble qu’une rencontre bien préparée par le truchement de Webcams peut être tout aussi efficace. Il y a quand même d’excellents modèles de bidules, certains étant intégrés dans les moniteurs, sans parler des logiciels nécessaires qui sont de mieux en mieux conçus. Pensons seulement à la panoplie iChat – iSight d’Apple pour en revenir à ce fabricant.

Patrice-Guy Martin me parlait hier de culture d’entreprise. Pour lui, certaines boîtes seraient « vieux jeu », préférant la présence réelle aux retransmissions électroniques. Pour d’autres, des organisations plus hi-tech, l’idée ne viendrait même pas de déplacer quelqu’un de Montréal à Toronto pour deux heures de réunion. J’ignore s’il a raison, mais son point de vue est intéressant.

Changements à l’horizon

Ce que je sais, par contre, c’est que deux phénomènes sont en train de changer les règles du jeu. Bientôt, mon questionnement de ce matin pourrait ne plus être pertinent. D’un côté, le prix du voyagement aérien, la lourdeur de la mécanique afférente et les désagréments que tout cela suppose rendent les déplacements de plus en plus onéreux et détestables. D’un autre côté, la techno évolue rapidement et la qualité des produits de vidéoconférence ne cesse de s’améliorer. Ce ne serait donc plus qu’une question de temps avant que les déplacements ne deviennent réservés qu’aux événements majeurs : assemblée annuelle suivi d’une grande fête ou salons internationaux de type CES, CeBIT, Macworld, et ainsi de suite.

J’ai quand même un aveu à vous faire. Jeudi prochain, deux chefs de produit, des diplômés en marketing, m’attendent à New York dans une suite d’hôtel, au sortir du petit-déjeuner. Pendant une heure et demie, ils vont m’entretenir sur leur infini ravissement en tant qu’utilisateurs de leur solution et, étant la personne positive que je suis, j’arriverai à en tirer une chronique honnête. Évidemment, pour avoir le plaisir d’assister à cette présentation, il me faudra voyager pendant 24 heures, incluant un dodo dans la Grosse Pomme. Dois-je continuer?

Ai-je succombé au chant des sirènes?

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.


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