Microsoft Office : de la «suite lombago» au «portail stratocumulus»

Microsoft Office 365 est la réponse de l’Empire à l’actuelle effervescence infoniagique. Toute une évolution! Bravo Redmond! Mais la question est de savoir si le jeu en vaut la chandelle.

La scène se passe il y a très longtemps, quelque dix-huit mois avant le lancement de Windows 95. J’ignore combien pesait le coffret de Microsoft Office 4.2, mais c’était un cube d’environ 10 x 10 x 8 pouces qu’il fallait lever à deux mains. On me l’avait remis à la suite d’une présentation au centre-ville de Montréal et il me fallait maintenant retourner chez moi pour en installer le contenu et en tirer un article.

Or, 28 disquettes 3 1/2 pouces et cinq manuels, ça pesait beaucoup trop lourd sur le petit porte-bagages de mon vélo. Vous comprendrez que les deux courroies élastiques étaient nettement insuffisantes pour le maintenir en place l’encombrant cadeau de « l’Oncle Bill ». C’est la seule fois de ma vie où j’ai dû prendre le métro avec ma valeureuse bécane.

Remarquez, c’aurait pu être pire. La même année, le représentant montréalais de WordPerfect, André Mondoux, m’avait remis Borland Office, un coffre (par opposition à coffret) comprenant quelques grands titres de WP, ainsi que QuattroPro et Paradox de Borland. De mémoire, la boîte était 50 % plus profonde que celle de Microsoft, en raison, si ma mémoire est bonne, des manuels mieux documentés. Je l’avais surnommé ma « suite lombago ». Mais comme Mondoux m’avait prévenu de ce petit inconvénient, je n’avais pas pris mon vélo.

Dans les années qui suivirent, Microsoft devint physiquement raisonnable. Entre Office 95 (1995) et Office XP (2001), les disquettes disparurent au profit des CD, puis des DVD. Quant aux manuels, ils furent réduits à leur plus simple expression et, bientôt, remplacés par des sites Web. Fini les tours de reins! Quant aux moyens de contrôle visant à limiter la multiplication des copies sur les postes clients, ils se firent de plus en plus sophistiqués. Il devint commun de voir dans les petites entreprises ou dans certaines PME de multiples boîtes arborant le logo de Microsoft Office. Dans les plus grandes, on se mit à vivre à l’heure des licences avec une gestion des produits par serveurs interposés. Inutile de rappeler la GDC (« gestion des cauchemars ») qui pouvait découler de ce type de « déploiement ».

Si entre Microsoft Office 3.0 (1992) et Office 2010 le volume, le poids et la masse ont été considérablement réduits, les contrôles de licence mieux gérés et les interfaces utilisateurs de mieux en mieux fignolées (idem pour les versions Mac), la philosophie est demeurée la même. Les onéreux coffrets bureautiques ne comprenaient que des produits complets, des logiciels qui n’étaient pas utilisés par tout le monde et, qui plus est, n’étaient à peu près jamais utilisés à leur pleine capacité.

Malgré cela, Microsoft Office est devenu l’incontestable norme. Ses ersatz comme Open / Libre Office ou sa concurrence comme WordPerfect Office ont dû s’en montrer entièrement compatible. À défaut, couic! Bye-bye! J’ai beau personnellement utiliser Bean comme traitement de texte Mac, je n’ai d’autre choix que de maîtriser une version récente d’Office:mac si je veux pouvoir collaborer avec autrui. C’est pour cette raison que des amis chez qui j’avais préconisé et fait installer Open Office, sont passés, un à un, à Microsoft Office, cela, en utilisant parfois les « torrents » illégaux.

Nouvelle grande étape : on en est désormais à l’informatique dématérialisée, alias au modèle infonuagique, c’est-à-dire aux stratocumulus castellanus à variété stratocumulus duplicatus mieux connus sous la désignation de Cloud Computing. Voici Microsoft Office 365! Pourquoi un tel nom? Pour insister sur le fait que le produit serait accessible en ligne en tout temps, 365 jours par année. Plus besoin de coffret, ni de DVD, ni de licence en évidence. Tout est géré à Redmond et le produit est disponible en ligne. On se connecte, on utilise, on paie au mois et on… congédie une partie de ses techniciens ou informaticiens.

Que l’on préfère Internet Explorer, Firefox, Opera, Chrome ou Safari (Microsoft n’impose pas son fureteur), que l’on soit inféodé à Mac OS X, Windows ou Ubuntu (les trois SE que j’ai testés), la connexion est très simple. On se sert d’une adresse Web qui se termine par « onmicrosoft.com », p. ex. [email protected]. Idem pour le démarrage d’une session de travail; tout y est facilité.

On constate être arrivé à un portail différent de l’habituel coffret bureautique, portail qui nous offre trois grands produits de collaboration et de communication, soit Outlook, Linc (ex-Office Communicator) et Sharepoint (appelé ici « Site d’équipe »). Le tout est contrôlé par une version dématérialisée de Microsoft Exchange et bénéficie de la protection habituelle, celle de Forefront Online Protection for Exchange.

Soit dit en passant, un travailleur autonome n’ayant pas à fonctionner en équipe n’y trouvera pas son compte. On serait bien avisé de comprendre qu’Office 365 est un collecticiel (logiciel de groupe) et non une panoplie d’outils pour travailleur aussi autonome qu’isolé.

Dans le cas « d’Outlook », on a accès à l’habituel bazar, les courriels, le calendrier et les contacts; encore faut-il configurer cette application. Au départ, il ne faut pas s’attendre à y voir apparaître ses données à soi. On y retrouvera éventuellement celles dont l’équipe de travail a besoin.

Dans celui de « Linc », on est plongé en mode messagerie instantanée (celle de Microsoft, pas celle de la concurrence…) et téléconférence, tout cela unifié dans un contexte assez ergonomique. C’est l’endroit par excellence où l’équipe échange et communique.

Enfin, dans le cas du « Site d’équipe », les habitués de Sharepoint ne seront pas dépaysés. On retrouve des icônes familières, celles de Word, Excel, PowerPoint et OneNote, soit les versions infonuagiques très très « diète » des populaires logiciels, ce que Microsoft nomme « Office Web Apps ». Évidemment, si la tâche à accomplir est trop compliquée, il est possible de revenir à la version complète qui est installée dans le PC local; les versions se comprennent entre elles.

Bref, où que l’on soit, on peut créer des documents Office, en importer de son ordi, se les partager. On peut se réunir à distance, planifier, évaluer, se tenir informés des étapes accomplies, se clavarder ses états d’âme, et ainsi de suite. La joie d’être en équipe sans avoir à perdre son temps à faire du « social »! Effectivement, l’équipe peut être physiquement dans un même édifice ou éparpillée partout sur la planète.

Pour Microsoft, cela permet de sabrer considérablement dans ses coûts de fabrication et de distribution. De plus, elle est avantagée en percevant des revenus mensuels réguliers. Selon la saveur utilisée (il y en a cinq, incluant l’éducationnel), il faut calculer entre 11,75 $CAN (ou 6 $US) et 33 $CAN (ou 27 $US) par mois par personne.

Pour l’entreprise utilisatrice, il y a également avantage puisqu’elle n’est plus tenue de dépenser des sommes folles pour l’achat et l’entretien de licences ou de boîtes de Microsoft Office. Elle paie au besoin sur une base mensuelle.

Il n’y a pas de doute que cet ensemble de services Web va plus loin et le fait avec plus d’élégance que les Google Docs, la solution infonuagique concurrente. Seule ombre au tableau, les « Docs » sont entièrement gratuits-à-la-Google et leur nombre d’utilisateurs est considérable.

Oui, mais la norme en entreprise est d’utiliser Microsoft, pas Google. Tout a toujours bien fonctionné avec Microsoft Office. Pourquoi devrait-on migrer vers les « Docs » s’il faut s’en aller sur le Nuage? Si ce n’est que pour s’économiser quelques dollars, le jeu en vaut-il la chandelle? Tant qu’à se mettre à tout pomper vers le firmament du progrès, ne serait-il pas sage de le faire chez Microsoft, une firme solide dont on a toujours été client?

En fait, il s’agit d’une question secondaire. Car la principale est d’abord de décider de confier ses données à des mégas entreprises qui sont situées à l’autre bout des stratocumulus. La tendance infonuagique a beau être lourde, la résistance et la perplexité sont encore importantes.

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Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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