Malgré les Kindle et autres Sony Readers, le livre papier n’est pas en danger

Le livre électronique remplacera-t-il le bouquin sur papier comme les CD puis les MP3 ont remplacé les disques de vinyle? Pas si certain.

Rassurez-vous, je ne vais pas vous analyser en cette chronique les avantages et les inconvénients de ce nouveau produit que Sony m’a fait parvenir dernièrement, le Reader PRS-600, un dispositif agréable permettant de lire des livres électroniques (ebooks). Je ne m’épaterai pas sur ses finesses et ne vous le comparerai pas au Kindle d’Amazon qui agit comme norme en cette industrie naissante.

J’en ferai plutôt un prétexte pour deviser autour du phénomène de la « electure », phénomène que je tenterai de vous positionner non pas comme une menace pour le bon vieux livre papier, mais comme un complément qui lui permettra de poursuivre son vécu de quelque cinq cent cinquante ans et des poussières.

L’ « Anthologie des enseignements zen des grands prêtres bouddhistes » a été le premier livre à avoir été imprimé à l’aide de caractères mobiles en métal et il l’a été sur du parchemin. Ça se passait en Corée, 80 ans avant la Bible de Johannes Gutenberg qui, elle, sera imprimée sur du vrai papier en 1456. Combien de livres ont été produits depuis? Combien sont encore accessibles quelque part ou en circulation? Plus d’un milliard? Moins? Google en dénombre 18,2 M en langue anglaise seulement. Combien d’arbres ont été abattus depuis les débuts pour constituer ce fabuleux inventaire? La réponse appartient à la personne qui saura compter le nombre de patates qu’a mangé mon grand-père irlandais de son vivant.

Des livres inutiles et des ouvrages essentiels

Fabuleux inventaire? Pas toujours. Combien se publiera-t-il de méthodes, d’ici un an, pour bien réussir son régime, sa vie de couple, sa sexualité, le toilettage de son chien, son potager, ses géraniums, son site transactionnel ou son voyage dans le sud? Combien se publiera-t-il d’âneries autobiographiques, de propagande idiote, d’ouvrages farfelus, de dérapages artistiques, d’essais ratés ou d’exemplaires du Philodendron pour les nuls?

Sous un autre angle, combien d’ouvrages essentiels ne pourront se transformer en livres parce que les éditeurs sollicités auront refusé (faute de fonds, de temps ou d’intérêt), parce que le sujet n’intéressera qu’une petite communauté, parce que l’auteur n’aura pas de contacts, parce que la nostalgie (ou le futurisme ou la bienséance ou la spiritualité inuit) sera passée de mode, parce que le manuscrit sera considéré comme une thèse de doctorat trop pointue?

Savoir lire

Autrement dit, le nombre de titres publiés, disponibles ou non, depuis 1456 au niveau planétaire est incalculable et une solide tranche de cette masse est sans intérêt. Tout cela occupe des milliers de kilomètres de rayons dans les librairies et dans les bibliothèques, incluant toutes celles du Canada où 48 % des adultes ont de la difficulté à comprendre les reportages, éditoriaux, poèmes et ouvrages de fiction (tout comme au Québec où presque la moitié est constituée d’analphabètes fonctionnels). Comme la technologie évolue, on se fait expliquer par un copain comment procéder et on n’a pas besoin de savoir lire pour faire ce que l’on veut (ou presque) par exemple sur un ordi : jeux en ligne, monde virtuel, téléchargements, ciné maison, etc.

Heureusement, la techno n’évolue pas seulement pour contribuer à l’abrutissement. Ainsi, les appareils permettant la lecture (ereaders) de livres électroniques (ebooks) sont de plus en plus intéressants. Des prototypes d’écrans souples (simili papier électronique appelé chez les Américains Electronic Paper Display) existent déjà chez Epson, Philips, Samsung et ailleurs. Paraîtrait que c’est ce qui va remplacer, d’ici quelques années, les Reader, Kindle et autres Asus à écran mat (pour mieux imiter le papier) qui guerroient présentement pour développer leurs parts de marché.

Même Adobe est de la partie avec Adobe Digital Editions, un logiciel qui transforme un ordi en lecteur de livres électroniques. Et, bien entendu, le iPhone ne saurait être pris en défaut. Malgré sa surface de lecture qui n’est que 40 % de celle du Reader de Sony, il s’en tire assez bien. Ses logiciels de lecture se nomment eReader ou Stanza. On tape à gauche pour la page précédente ou à droite pour la suivante. Même que dans le cas de Stanza, elles se tournent comme de vraies pages de vrai livre. Kioute ! On a compris que tout ce beau monde utilisait des technos DRM (Digital Right Management), sinon des formats propriétaires, pour éviter la copie et pour protéger leur modèle d’affaires.

Que croyez-vous qui va se passer? Que le phénomène « disque-vinyle-vers-CD-vers-MP3 » va se reproduire? Qu’en 2015, il ne se vendra plus de livres papier, mais seulement des bouquins électroniques? Cela notamment parce que la version électronique sera de qualité nettement supérieure à celle qu’elle remplace? Ne trouvez-vous pas que c’est là faire peu de cas de la nature même du livre en le comparant au vinyle des jeunes Boomers?

Relation sentimentale

Un livre, ça sent bon le vieux papier ou parfois, l’encre fraîche, c’est taché de larme, de moutarde, ou de petits doigts sales, on y trouve des feuilles séchées, des grains de sable, des factures, des signets de commerces disparus ou de vieux faire-part oubliés, c’est brûlé de soleil et pâli par le temps, ça vous renvoie au jour où vous l’avez lu, acheté, reçu, ça porte des annotations et, souvent, des dédicaces génératrices d’émotion, c’est une masse rassurante avec un poids bien à lui, c’est un compagnon qui témoigne de notre parcours de vie. On le voit sur un rayon, on le prend, on se souvient. Le livre papier est un tout, un tout particulièrement bien adapté pour les yeux, qui fait fi de tout gadget pour être lu.

À l’inverse, le vinyle qu’on ne saurait lui comparer, nécessitait, lui, l’achat d’une platine aux aiguilles éphémères, à la manière de ses successeurs qui ont, eux aussi, besoin de dispositifs pour être joués.

C’est ce qui me laisse croire qu’en 2015, ma bibliothèque continuera d’évoluer toute en couleur et en mémoire. En effet, il y aura encore des éditeurs pour imprimer des livres papier. L’immensité actuelle de leur masse mondiale, leur facilité incontestable d’utilisation, voire même leur attrait décoratif dans une bibliothèque domestique en sont la garantie. En revanche, il est à prévoir qu’ils le seront en quantité moindre qu’aujourd’hui. Pas parce que le nombre d’analphabètes fonctionnels aura eu le temps de croître (ce qui m’étonnerait quand même). Ce sera surtout parce que bien des titres auront migré vers ce support électronique de plus en plus convivial.

Une place pour les livres électroniques

Je pense aux manuels scolaires (comme l’envisage aujourd’hui le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger), aux notes de cours, au dernier chic de la croissance personnelle, aux recettes de cuisine, à certaines collections sans velléités littéraires, etc. (de là à annoncer que la série Harlequin passera au mode cybernétique, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas…). J’y décèle même un avenir très encourageant pour ces ouvrages essentiels qui pourront enfin être publiés en mode électronique, voire même sur papier en procédé « sur demande », par exemple les Mémoires du journaliste Nelson Dumais ou à l’intégrale des discours du libéral Denis Coderre.

Plus sérieusement, tout un chacun pourra se publier son roman quoiqu’en disent les éditeurs; des outils à cette fin existent déjà (par exemple) et d’autres sont en préparation. Est-ce que cela ouvrira la porte à des ouvrages discutables, par exemple « La prospérité à votre portée » par Vincent Lacroix? Peut-être. Chose certaine, cela permet déjà la publication de titres conçus sans les conseils de professionnels de l’édition. Est-ce que ça ressemblera aux premiers temps de l’édition assistée par ordinateur (éditique) quand apparurent PageMaker et les premières imprimantes lasers et que tout le monde se croyait devenu infographistes? Peut-être.

Quoi qu’il en soit, il est très probable que les deux modes coexisteront pour des quantités considérables de titres. Des gens préféreront se constituer une bibliothèque de vrais livres, d’autres seront du genre à s’équiper de disques rigides ou de serveurs domestiques pour y stocker leurs cyberbouquins, produits qu’ils auront payés environ 40 % moins cher que la version « poche » du même livre imprimé. Des bibliothèques continueront de prêter de vrais ouvrages papier, des services en ligne en feront autant pour les livres électroniques. Ce sera comme on le veut, sachant, cependant, que certains ouvrages ne seront disponibles qu’en papier ou qu’en électronique.

En attendant, je m’amuse avec le Reader PRS-600 de Sony. Reste que samedi prochain, j’ai l’intention d’aller bouquiner dans un marché aux puces bien garni, pas trop loin de chez moi. Auquel cas, il m’apparaît tout indiqué de croire qu’encore une fois, j’en reviendrai avec une caisse de livres à l’état neuf, ce qui fera s’écrier ma blonde : « Veux-tu bien me dire où c’est que tu vas les ranger? Y a plus de place! »

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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