L’impartition n’est pas un déni de responsabilité

L’organisation qui impartit une ou plusieurs fonctions TI doit néanmoins assumer certaines responsabilités à l’endroit du fournisseur et des services qu’il fournit. Quatre organisations québécoises témoignent.

Pour plusieurs, impartir une fonction équivaut à s’en débarrasser, à s’en déresponsabiliser. La fonction impartie ne tombe-t-elle pas, de ce fait, automatiquement sous la responsabilité complète et entière de l’impartiteur ? À l’exemple de la bouteille qu’on jette à la mer, on « jette » la fonction avec la ferme intention de ne plus en entendre parler.

Mais est-ce comme ça qu’il faut concevoir l’approche qui consiste à confier à un tiers la réalisation d’un processus TI, tel que le dépannage et la gestion du réseau ? Très certainement pas. En fait, on oublie trop fréquemment la responsabilité du client dans la relation d’affaires particulière que constitue l’impartition. Reconnaître et assumer cette responsabilité permet assurément d’en maximiser les retombées.

Pour étayer cet aspect nous avons contacté quatre organisations de secteur et de calibre différents qui ont en commun d’avoir imparti une ou plusieurs fonctions TI, soit la Ville de Repentigny, le Groupe Pages Jaunes, l’Industrielle Alliance et la Ville de Montréal, dont le profil est présenté en encadré.

En se basant sur leur expérience respective, les quatre organisations concluent qu’il faut constamment avoir l’impartiteur à l’œil pour éviter qu’il ne sombre dans la facilité et fournisse un niveau de qualité inadéquat et insatisfaisant, en regard des attentes du client. La responsabilité du client se situe donc au niveau de la supervision du fournisseur et du contrôle de la qualité des services qu’il fournit.

« Le contrat d’impartition, c’est un contrat qu’il faut gérer, comme n’importe quel autre contrat, note France Bernard, directrice, Soutien et développement technologique, à l’Industrielle Alliance. Il ne faut pas penser qu’une fois le contrat signé, tout va se faire tout seul. Il faut être vigilant et s’assurer de constamment défier le fournisseur. »

Pour se faire, il faut maintenir un canal de communication permanent entre le fournisseur et son client. C’est dans cette perspective que l’Industrielle Alliance a mis en place chez chacun de ses fournisseurs des experts internes qui assurent la liaison entre l’organisation et le fournisseur.

« Ça permet d’exprimer beaucoup plus clairement nos attentes et nos préoccupations, résume Guy Daneau, vice-président des services informatiques à l’Industrielle Alliance. Nos experts en réseautique et en logiciels centraux servent à orienter nos activités et à avoir une discussion claire avec les fournisseurs. »

« Il faut être extrêmement exigeant à l’endroit du gestionnaire du contrat, qui est la personne la plus importante dans le contrat, ajoute Yvan Proteau, chef de l’information de Groupe Pages Jaunes. Elle est la charnière entre le client et l’impartiteur et peut faire en sorte que le client obtienne les ressources dont il a besoin pour atteindre ses objectifs. Si cette personne est molle, on obtient le fond du baril. »

Un peu, beaucoup, passionnément

Il y a plusieurs façons d’aborder l’impartition et toutes les organisations n’empruntent pas la même voie. Alors que la Ville de Repentigny a imparti la quasi-totalité de ses fonctions TI, Groupe Pages Jaunes et l’Industrielle Alliance en ont imparti la majeure partie et la Ville de Montréal, une très petite partie.

L’importance que revêt la fonction TI dans les processus d’affaires de Groupe Pages Jaunes n’a pas – ou très peu – freiné cette dernière dans sa volonté d’impartition. « Si vous enlevez l’informatique, il ne reste plus grand-chose de l’entreprise, confie Yvan Proteau. Nos produits sont technologiques; la production des annuaires, même sur papier, est faite électroniquement. »

Plusieurs facteurs expliquent la timidité de la Ville de Montréal au chapitre de l’impartition, dont la forte implantation du syndicat dans l’organisation. « Il faut tenir compte de cette réalité lors de l’évaluation des opportunités offertes par l’impartition, souligne Daniel Malo, directeur TI à la Ville de Montréal. Peu importe la décision qui sera prise, cette dernière ne doit pas entrer en conflit avec les conventions collectives. On ne peut pas faire n’importe quoi. »

À cette contrainte s’ajoute la difficulté de trouver une solution satisfaisante sur le marché, c’est-à-dire offrant les fonctionnalités recherchées et pouvant prendre en charge le fort volume d’utilisateurs et de transactions générées à la Ville de Montréal.

« C’est plus facile pour une petite ville d’impartir ses systèmes informatiques; il y a, au Québec, beaucoup de fournisseurs convenables offrant exactement ce dont elles ont besoin, soutient Daniel Malo. Nous avons, à la Ville de Montréal, un historique informatique dont il faut tenir compte; il faut vivre avec les décisions qui ont été prises dans le passé, au chapitre par exemple de l’informatique centralisée et des systèmes développés sur mesure, ce qui réduit les possibilités de recourir à l’impartition. »

Mais la politique de la Ville de Montréal à l’endroit de l’impartition pourrait changer prochainement, puisqu’un plan directeur des TI post-fusion, dont un volet portera sur l’impartition, devrait être déposé plus tard cette année.

« La mise en œuvre du plan directeur devrait se faire à partir de la deuxième moitié de 2006, après que les arrondissements en auront pris connaissance, précise Daniel Malo. Suivant la réaction des arrondissements, dont les services informatiques ont été regroupés sous une seule et même direction centrale en 2002, le plan pourra être modifié. […] Nous sommes dans une phase de consolidation des actifs, qui n’est pas terminée, et des décisions restent à prendre. »

Spécialisation versus simplification

On peut aussi décider de transiger avec un seul fournisseur ou plusieurs. Chaque approche a ses avantages. Transiger avec plusieurs fournisseurs choisis parmi les meilleurs de leur catégorie offre évidemment l’avantage de bénéficier des meilleures expertises disponibles sur le marché. C’est l’approche qu’a choisie la Ville de Repentigny.

« En choisissant les meilleures applications, on se retrouve avec la crème de la crème, mais on risque d’avoir des problèmes d’interfaces, reconnaît Sylvain Pharand, responsable des TI à la Ville de Repentigny. Évidemment, on n’a pas ce problème en faisant affaire avec un seul fournisseur, puisque les applications sont pleinement intégrées. Chaque ville a sa façon de voir les choses, mais à la Ville de Repentigny, nous avons choisi de maximiser la satisfaction de l’utilisateur, au détriment de l’intégration qui n’est pas parfaite. »

Le problème d’interface des applications a d’ailleurs causé plusieurs maux de tête à Sylvain Pharand, surtout lorsque deux de ses fournisseurs, qui étaient anciennement en bons termes, sont devenus des concurrents peu intéressés à assurer l’interopérabilité de leurs applications.

« Il y a des interfaces qu’on n’a pas le choix d’avoir entre certaines applications et les fournisseurs doivent travailler ensemble, même si leurs relations d’affaires se sont dégradées, indique-t-il. C’est le rôle du département des TI de s’assurer que tout ça fonctionne bien au fil des mises à jour et de l’évolution des relations d’affaires. Cela a été notamment le cas des logiciels d’évaluation foncière et de taxation qui sont fournis par deux firmes différentes qui sont devenues concurrentes à la suite aux fusions municipales. »

Groupe Pages Jaunes, qui au contraire de la Ville de Repentigny a opté pour la simplicité, a fait de la spécialisation son credo et a, par conséquent, défini avec précision les responsabilités de chacun, se réservant les activités de direction et de planification.

« Chez nous, de la façon dont nous avons imparti, nous avons conservé la tête et imparti les bras ! ironise Yvan Proteau. Les gens du département de TI sont, d’une manière générale, des seniors. Ce sont aussi des gens qui connaissent très bien notre domaine d’affaires, les processus de l’entreprise et, bien sûr, ses systèmes d’information. Ce sont donc eux qui initient les projets de développement, mais leur exécution est assurée par l’impartiteur. Donc, nous intervenons à un niveau stratégique et l’impartiteur, à un niveau tactique. En se libérant des activités tactiques, on peut être beaucoup plus efficace au niveau stratégique.

« Est-ce qu’il y a beaucoup de compagnies qui agissent comme ça? Je ne crois pas. À mon avis, il y a beaucoup d’entreprises qui font l’erreur de conserver à l’interne certains aspects tactiques de la gestion des TI et en impartissent d’autres, ce qui engendre de la confusion sur qui est responsable de quoi avec pour résultat que plus personne ne fait rien, croyant que c’est la responsabilité de l’autre. »

L’Industrielle Alliance, qui contrairement à Groupe Pages Jaunes transige avec plusieurs fournisseurs, applique néanmoins la même stratégie de spécialisation, laquelle facilite la résolution des problèmes, en évitant les chevauchements de responsabilités.

« Nous avons choisi d’avoir un seul fournisseur par activité et de ne pas mettre plusieurs fournisseurs dans les mêmes zones d’intervention; c’est moins difficile à gérer de cette façon, affirme Guy Daneau. Mais ça demande une gestion serrée avec le fournisseur responsable de l’activité. »

Argument économique

Les quatre organisations ont fait le virage de l’impartition pour diverses raisons, mais toutes ont été séduites par son rapport qualité/prix supérieur. Le contrat qui lie CGI au Groupe Pages Jaunes stipule, par exemple, que les services fournis doivent permettre de réduire d’au moins 5 % par année les coûts d’opération.

« Pour avoir les meilleures ressources, il faut avoir une masse critique, ce qu’on n’a pas à Groupe Pages Jaunes, reconnaît Yvan Proteau. Mais CGI, lui, peut. Il a la masse critique qui lui permet d’offrir des possibilités de carrières stimulantes et d’offrir des services à un prix très compétitif. »

« Nous avons migré à l’impartition pas parce que les employés étaient mal desservis à l’interne, bien au contraire, renchérit Sylvain Pharand. Mais il fallait investir beaucoup de temps et de sous pour mettre à jour nous-mêmes les logiciels, sans que ça apporte rien de plus aux utilisateurs. »

Dans le cas de la Ville de Repentigny, le coût annuel des services d’impartition totalise environ un quart de million de dollars. « Si on transformait cette somme en salaire, ça ferait environ quatre développeurs pour l’ensemble des applications, et je ne suis pas sûr qu’on obtiendrait le même niveau de service », confie Sylvain Pharand.


Groupe Pages Jaunes

Groupe Pages Jaunes édite les annuaires téléphoniques du même nom qui rejoignent plus de 90 % de la population canadienne. L’entreprise montréalaise, qui emploie environ 2 000 personnes qui sont autant d’utilisateurs, gère également des annuaires en ligne, dont PagesJaunes.ca et Canada411.ca.

L’entreprise fait affaire avec CGI depuis 2001. Cette dernière fournit l’ensemble des services reliés à l’exploitation, à la gestion et au développement des systèmes d’information de l’entreprise, ce qui comprend le soutien technique, la surveillance, la maintenance, le dépannage et la mise à jour des applications et des équipements, de même que la mise en œuvre des projets de développement. Le département de TI de l’entreprise, qui compte 90 employés, assure la direction et la planification des projets de développement, qui peuvent aussi faire intervenir d’autres firmes de services spécialisées.

Industrielle Alliance

Employant 2 600 personnes, l’Industrielle Alliance fournit des services d’assurances et de gestion de patrimoine. Ayant largement recours à l’impartition, l’entreprise de Québec fait affaire avec trois principaux fournisseurs, à savoir CGI pour l’exploitation et la gestion des ordinateurs central et intermédiaires, la gestion de l’impression centralisée, le soutien technique des applications Internet, Telus pour la surveillance du réseau étendu et ADP pour les systèmes et processus de paie. La firme transige aussi avec divers fournisseurs spécialisés pour ses applications financières, utilisées sous forme de services logiciels (ASP). En considérant les utilisateurs occasionnels et les agents externes, le bassin d’utilisateurs à supporter totalise 19 000 personnes.

La firme, dont le département de TI compte 200 employés, a conservé à l’interne les activités de planification stratégique, de développement et de maintenance des applications.

Ville de Montréal

La Ville de Montréal a seulement imparti deux systèmes ou processus, sur un total de 372. Ces deux systèmes sont l’ordinateur central, et les applications de gestion financière et de cour municipale qui y résident, qui sont hébergés, gérés, supportés et entretenus par CGI, et le réseau de télécommunication mis en place après la fusion municipale de 2002 et dont la gestion est prise en charge par Telus. La Ville assure néanmoins le contrôle et la sécurité du réseau.

En vigueur depuis 2001, le contrat avec CGI est d’une valeur de deux millions de dollars par année, alors que celui avec Telus, qui va de 2004 à 2008, représente une somme annuelle d’un million de dollars. En plus du contrat d’hébergement, la Ville de Montréal a conclu, en mars 2005, un autre contrat avec CGI portant sur la gestion des processus et l’intégration des systèmes reliés à la paie et à la gestion des ressources humaines. Le contrat de 11 millions $ s’échelonne sur deux ans et demi.

Les 370 autres systèmes sont gérés, supportés et entretenus par le service des TI de la Ville qui comprend l’équivalent de 340 employés à temps plein, auxquels s’ajoutent 150 consultants externes. Le service dessert un parc de 12 000 ordinateurs, par l’entremise de la quinzaine de services de TI que compte la Ville.

Ville de Repentigny

Située à l’est de Montréal, la Ville de Repentigny dessert une population de 75 000 citoyens. Pour desservir la moitié de ses 700 employés qui ont accès à un ordinateur, la ville a recours massivement à l’impartition. En fait, tous les progiciels et logiciels spécialisés utilisés à l’interne sont supportés, gérés, dépannés et entretenus par quatre firmes principales, soit PG Mensys, Bell Solutions d’affaires, la Société GRICS et BiblioMondo.

Alors que PG Mensys est responsable des applications de gestion de permis, d’évaluation foncière, de gestion documentaire et d’entretien des véhicules, Bell Solutions d’affaires s’occupe des applications de gestion de la cour municipale, de gestion financière, de perception des taxes, de gestion des approvisionnements et de la paie. La Société GRICS et BiblioMondo sont responsables des applications de gestion des loisirs et de gestion de la bibliothèque, respectivement.

Seuls les logiciels de bureautique, les applications Internet et les services de réseau ne sont pas sous-traités, étant gérés par les cinq employés du département des TI de la Ville qui est propriétaire de l’ensemble de ses applications, de son réseau et de ses équipements.

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