Les TIC à l’école : faut-il s’inquiéter?

Dix ans après la mise en oeuvre du Plan d’intervention sur l’utilisation des NTIC à l’école, on note un essoufflement de Québec dans le dossier de l’intégration des TIC à l’enseignement primaire et secondaire.

La connaissance des technologies de l’information et des communications (TIC) est un incontournable aujourd’hui sur le marché du travail. Rares sont les emplois qui ne demandent pas des habilités en informatique, si minimes soient-elles.

Dans ce contexte, quel niveau de compétence ont les finissants du secondaire au Québec avec les outils de bureautique, de communication et de recherche d’informations de base? Et quel rôle joue l’école dans l’acquisition de ces compétences ? Qu’en est-il de l’intégration des TIC à l’enseignement primaire et secondaire au Québec, dix ans après la mise en oeuvre, par le gouvernement du Québec, du Plan d’intervention sur l’utilisation des NTIC à l’école ?

Pour éclairer notre lanterne, nous avons contacté plusieurs acteurs et observateurs du milieu scolaire québécois, dont le Réseau pour le développement des compétences des élèves par l’intégration des technologies (RÉCIT), l’Association québécoise des utilisateurs de l’ordinateur au primaire-secondaire (AQUOPS), la Société GRICS, l’Université de Sherbrooke, sans oublier le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS).

Les réponses fournies par les spécialistes ont été très nuancées, voire divergentes. Mais un point a fait consensus, soit l’insuffisance du soutien dont disposent les enseignants pour intégrer les TIC à leur pratique pédagogique et le danger que représente à long terme la perte de vitesse de Québec dans le dossier.

« On a fait beaucoup de progrès depuis 1996, reconnaît François Larose, professeur titulaire à la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, ayant réalisé de nombreuses enquêtes sur le sujet. Déjà le fait que la totalité des écoles sont branchées, qu’il y a de l’équipement potable dans les laboratoires d’informatique des écoles secondaires et qu’il y a au moins une machine branchée par école primaire, c’est le jour et la nuit par rapport à la situation qui prévalait au début des années 1990. Mais le problème, c’est de suivre le rythme et d’adapter le discours du Ministère à la réalité de l’enseignant.

« Il se passe avec les TIC le même mouvement cyclique qui se passe dans bien d’autres projets. Quand un problème est jugé prioritaire, le Ministère met l’argent qu’il faut pour le résoudre et ça donne des résultats. Les TIC ont eu, de 1995 à 2000, un discours médiatique fort au gouvernement et on a fait des investissements forts. Actuellement, on est dans le creux de la vague. […] Les priorités ont changé. »

« Le plan de 1996 était pour cinq ans et on est en 2006, ce qui fait qu’entre 2001 et 2006 on n’a pas renouvelé ce plan, donc on ne s’est pas redonné une stratégie et on marche sur l’erre d’aller de 1996, renchérit une source bien informée, active dans le secteur de l’éducation depuis plus de 20 ans. Un plan d’intégration des technologies écrit en 1996 et appliqué en 2006, est-ce adéquat dans cet univers en évolution constante? Est-ce que ce plan n’aurait pas mérité une mise à jour depuis 2001 ? […] Cette stagnation, qui prévaut depuis quelques années et traduit un certain désengagement des gouvernements à l’égard des services publics en général, est le fait de tous les pays occidentaux. »

Et la réponse est…

Malgré ces constatations, l’exercice d’analyse des observateurs (voir encadrés) nous conduit à conclure que les finissants du secondaire ont des compétences informatiques de base suffisantes. « Quelques enquêtes révèlent que nos jeunes sortent du secondaire avec une bonne maîtrise du courrier électronique, de la recherche sur Internet et du traitement de texte », affirme Marie-France Boulay, porte-parole du MELS.

Précisons toutefois que les compétences des finissants du secteur professionnel sont supérieures à celles de leurs confrères du secteur général, « parce que la formation professionnelle s’est réorganisée il y a quelques années et est solidement arrimée aux besoins du marché du travail », explique l’observateur anonyme.

En revanche, il n’est pas facile de départager le rôle joué par la maison de celui joué par l’école dans l’acquisition des compétences. « On n’a pas réellement d’indices qu’il y ait des conséquences majeures de la fréquentation scolaire sur les compétences développées par les élèves, affirme François Larose. Plusieurs compétences peuvent aisément s’acquérir hors du contexte scolaire. L’utilisation des fonctions de base de certains logiciels de bureautique et éventuellement d’un logiciel de présentation constitue l’essentiel des compétences informatiques soutenues par l’enseignement réel au primaire et au secondaire. »

Par conséquent, le niveau d’intégration des TIC à l’enseignement primaire et secondaire est, somme toute, adéquat.

Il faut préciser cependant que cette intégration est meilleure au primaire, où les élèves sont mieux suivis et les ressources, davantage disponibles, que dans le secteur secondaire où les ressources sont concentrées dans des laboratoires d’informatique qui servent aussi à l’enseignement de l’informatique.

On bénéficierait donc au Québec d’une situation qu’on peut qualifier d’enviable. Cela dit, il faut être vigilant pour ne pas perdre cet avantage.


Analyse en quatre temps

1- Parc vieillissant

Bien que la situation varie considérablement d’une commission scolaire à l’autre, il y a en moyenne un ordinateur pour six élèves au Québec. Bien que la totalité des écoles ait accès à Internet, pas toujours avec un lien à haute vitesse, ce à quoi le MELS compte prochainement remédier en vertu du programme « Villages branchés », ce sont 90 % des ordinateurs et 73 % des classes qui sont branchés.

« Le parc d’ordinateurs a triplé [depuis 1996], précise Marie-France Boulay porte-parole du MELS. L’objectif du Ministère était d’amener le ratio à dix élèves par ordinateur. […] Il va de soi que l’utilisation des TIC s’est largement répandue dans les milieux scolaires. »

Cela étant dit, l’âge des ordinateurs, dont certains ont cinq, sept, voire dix ans d’âge, tracasse plus d’un observateur. « En 2000, le ratio élèves par ordinateur était un des meilleurs au monde, rappelle François Larose. Mais le parc a vieilli depuis, ce qui fait que le ratio a changé dans les faits. Si la machine existe, mais qu’elle est brisée et qu’il faut attendre deux ans pour la réparer et que même réparée, elle ne correspond plus au critère actuel de performance, on a un problème d’usage. »

« La situation pourrait devenir dramatique si rien n’est fait », ajoute Claude Frenette, animateur des services du RÉCIT de l’enseignement privé.

Certains ne sont d’accords avec ce cri de détresse. « J’entends souvent les gens se plaindre de la vieillesse des ordinateurs, mais je reste sceptique, ça ne me semble pas complètement justifié, affirme l’observateur anonyme. Pour faire de la vidéoconférence sur Internet, je veux bien croire que ça prenne des appareils sophistiqués, mais pour bien des projets, comme faire du traitement de texte ou une page Web, un Pentium I est suffisant. »

« On vit dans un monde de surconsommation qui pense qu’un ordinateur n’est plus bon après trois ans et qu’il faille en acheter un autre. Je m’excuse, mais ce n’est pas vrai, ajoute Louis Desjardins, membre du conseil d’administration et trésorier de l’AQUOPS. Des ordinateurs vieux de dix ans peuvent encore servir pour faire des choses simples et avec des logiciels libres, on peut leur donner une deuxième vie. »

Quoi qu’il en soit, le MELS a dévoilé un plan d’investissement de 29 millions $ pour la période 2006-2007 pour permettre aux commissions scolaires de moderniser leur parc informatique, somme qui s’ajoute aux 21 millions $ investis de 2001 à 2005 pour maintenir et améliorer l’équipement informatique scolaire. Le plan actuel de 29 millions $ stipule toutefois que les commissions scolaires doivent fournir 30 % de la somme requise pour moderniser leur parc, ce qui risque d’en refroidir plus d’une.

En fait, les spécialistes considèrent que les commissions scolaires sont actuellement aux prises avec des problèmes plus importants que la simple mise à niveau des ordinateurs, tels que l’application de la Réforme scolaire, la gestion des enfants en trouble d’apprentissage, etc. « Les enseignants subissent un double discours : d’un côté, on leur dit que c’est important d’intégrer les technos à l’enseignement, mais de l’autre on leur dit que les élèves réussissent mal aux examens dans les disciplines de base et que c’est probablement de leur faute, souligne François Larose. Donc, où vont-ils concentrer leurs efforts ? À l’enseignement de la matière pour laquelle ils ont été engagés, évidemment. Et ils n’auront pas tort, car ils sont imputables auprès des parents. »

2- Logiciels pas assez accessibles

La diffusion des logiciels dans le réseau de l’éducation pose problème, dans la mesure où certaines commissions scolaires disposent de didacticiels, dont l’existence n’est connue que d’un nombre restreint d’enseignants.

« Dans les années 1980, le Ministère a soutenu des firmes qui développaient des didacticiels, dont certains sont excellents, rappelle François Larose. Donc, l’outil qu’on veut développer aujourd’hui existe probablement déjà quelque part, on ne sait pas où, sur un ancien support qu’on pourrait mettre à jour. Mais le problème, c’est qu’il n’y a pas de budget pour ça. »

La Société GRICS propose notamment plus de 70 produits facilitant l’utilisation des TIC en classe, dont le portail de télécollaboration Édu-Groupe et le portfolio électronique Mon portfolio.

Il est vrai que le manque de budget explique une partie du problème, mais on peut aussi questionner l’attitude protectionniste de certains enseignants. Heureusement, il y a des initiatives comme le Carrefour des ressources didactiques informatisées (CRDI) qui propose, sur son site, une liste de 1 000 didacticiels évalués.

L’utilisation plus généralisée des logiciels libres réduirait, en outre, l’obstacle financier. « C’est une alternative prometteuse, mais il n’y a pas encore beaucoup d’écoles qui y ont recours », déplore Claude Frenette.

« Il y a entre le mouvement des logiciels libres et le milieu de l’éducation une convergence naturelle, ajoute Louis Desjardins. Il est aussi très clair qu’il y a un attentisme dans certains milieux qui n’a plus sa place. […] Je sais pertinemment que tout changement génère son lot de craintes… »

3- Modèles insuffisants

Mais au-delà des problèmes d’ordre matériel, c’est le manque de modèles d’intégration des TIC à l’enseignement qui est le plus criant. Si elles étaient diffusées dans le réseau de l’éducation, les expériences heureuses de certains enseignants pourraient en inspirer d’autres et faire boule de neige.

« Ce sont les exemples d’utilisation concrets reliés à des programmes d’étude précis et le soutien aux enseignants qui constituent les variables critiques de l’intégration des technologies à l’école, résume l’observateur anonyme. Il manque un réseau pour diffuser les projets novateurs qui existent. »

Évidemment, le RÉCIT, dont c’est la mission de fournir des conseils en technopédagogie, peut être mis à profit. Mais là, on se bute à un problème d’insuffisance des ressources, puisqu’il y a seulement une centaine d’animateurs de RÉCIT pour les 78 000 enseignants qui oeuvrent dans les 2 600 écoles primaires et secondaires du Québec, dont 180 écoles secondaires et 40 écoles primaires privées membres de la Fédération des établissements d’enseignement privé, soit un à deux animateurs par commission scolaire publique et deux pour tout le secteur privé. « Ça fait beaucoup de distance à parcourir », note Claude Frenette.

« Bien qu’il y ait des animateurs de RÉCIT très compétents, ils ont des parcours scolaires et des compétences très variés, critique François Larose. Il y en a qui sont des profs de sciences humaines aux trois quarts de leur carrière qu’on a recyclés en animateur de RÉCIT… »

4- Soutien technique déficient

Le manque de soutien technique dont disposent les enseignants dans l’utilisation des TIC en décourage plus d’un. En fait, moins d’un directeur d’école sur deux estimait, en 2004, que plus de 75 % des enseignants de son école avaient les connaissances techniques nécessaires pour amener ses élèves à utiliser efficacement les TIC, selon Statistique Canada.

Rares sont les écoles qui ont un technicien sur place et souvent l’enseignant doit se rabattre sur le technicien débordé de sa commission scolaire. La redéfinition des tâches de certains enseignants constitue une piste de solution.

« Idéalement, j’aimerais ça, qu’on puisse transformer le prof d’informatique en une sorte de mini-animateur de RÉCIT pour son école, propose Claude Frenette. Qu’il soit là non pas pour enseigner l’informatique aux élèves, mais pour supporter l’intégration des TIC auprès des autres enseignants, et que les animateurs de RÉCIT soient en support à ces gens-là pour les outiller à intervenir dans leur école. »


La Réforme et la compétence 6

Bien qu’on puisse reprocher à la mise en oeuvre de la Réforme de drainer une partie de l’énergie des enseignants au détriment de l’intégration des TIC, il n’en demeure pas moins qu’elle contribue positivement à la cause, par l’entremise de la compétence transversale no 6 – Exploiter les TIC.

Cette compétence vise à rendre l’élève capable d’utiliser les technologies appropriées, d’en tirer profit et d’évaluer l’efficacité de cette utilisation, pour le traitement, la création et la communication de l’information, et ce, dans toutes les disciplines. « La compétence TIC est maintenant une compétence transversale inscrite devant être atteinte par tous les élèves de la province et ça, c’est une avancée très importante », se réjouit notre observateur anonyme.

« Dans chacune des situations d’apprentissage qu’ils doivent proposer aux élèves, les enseignants ont à mettre l’accent sur une ou plusieurs compétences transversales, dont la compétence TIC, explique de son côté Marie-France Boulay. L’intérêt et la confiance des enseignants en regard de leur capacité à faire travailler les élèves pour acquérir cette compétence sont encore très inégaux. C’est grâce au soutien fourni aux enseignants […] que l’expertise des enseignants s’élargira et qu’un plus grand nombre de situations d’apprentissage faisant appel à cette compétence pourront être proposées aux élèves, assurant ainsi leur progression. Le document Échelles des niveaux de compétences est un outil concret proposé aux enseignants du primaire à cette fin. » Ce document précise les niveaux de compétences à atteindre à chaque niveau du primaire.

« La compétence 6, qui est de nature méthodologique, a été intégrée à la dernière mouture de programme de la Réforme, mais on devrait plutôt dire qu’elle a été greffée, dans la mesure où ce sont essentiellement les disciplines qui importent quand on refait un programme, soutient François Larose. Comme ce n’est pas un contenu d’enseignement, il y a fort à parier que si les enseignants ne perçoivent que la dimension instrumentale des technologies, ils vont prendre pour acquis que les jeunes les connaissent déjà. »

« La notion de compétence transversale dans toutes les disciplines est déjà remise en question au secondaire; au primaire, on ne sait pas trop comment gérer ça, ajoute Mario Morin, membre du conseil d’administration de l’AQUOPS et responsable de la programmation des ateliers du colloque annuel de l’AQUOPS. Faut d’abord s’entendre sur ce qu’est une compétence et comment l’évaluer; je crois que ça n’a pas été tout à fait fait dans les informations sur la Réforme. Donc, il y a encore quelque chose d’un peu nébuleux autour de la compréhension univoque de la compétence. Et les enseignants n’ont pas assez d’accompagnement pour les aider à la mettre en oeuvre. »

Une dimension de la compétence 6 à laquelle les enseignants devront accorder plus d’attention, estiment les spécialistes, et qui excède la simple maîtrise des outils, est l’évaluation de la qualité de l’information trouvée sur Internet.

« Ce qui manque surtout, c’est le développement du sens critique des élèves à l’endroit des technologies, croit Claude Frenette. C’est quelque chose qui est gardé sous silence, qui n’est pas encore intégré dans les écoles. Il y a tellement de choses sur Internet qu’il faut arriver à faire réfléchir les élèves sur ce qu’on doit faire avec les choses inacceptables qu’on peut y trouver. Les élèves ont tendance à dire que si c’est écrit et que ça se trouve sur Internet, c’est vrai. »

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