Les TI rapportent, mais gare aux usages contreproductifs

Au début des années 2000, un éditeur de la Harvard Business Review, Nicholas Carr, provoquait un débat animé dans l’univers de la gestion en lançant une question provocante : Does IT Matter? (Est-ce que les TI ont de l’importance?). Six ans plus tard, nos travaux montrent que la réponse à cette interrogation est positive, mais surtout, que les TI ne comptent pas de la même manière, selon qu’une PME recourt à une stratégie d’innovation ou une autre.

On dit souvent que les entreprises gagnent à innover. Une étude que nous avons menée auprès de 309 PME manufacturières canadiennes de 20 à 400 employés montre que c’est vrai. Ainsi, les sociétés qui innovent croissent plus fortement que celles qui ne le font pas. Quant à celles qui conçoivent et commercialisent de nouveaux produits, elles enregistrent non seulement une augmentation de leurs ventes supérieure à celle affichée par les entreprises moins innovatrices à cet égard, mais elles sont aussi significativement plus productives.

Cela dit, une question essentielle mérite d’être posée : l’utilisation que les entreprises innovatrices font des TI a-t-elle une influence sur leur rythme de croissance ou leur niveau de productivité?

Pour répondre à cette question, nous avons analysé les données recueillies auprès de plus de 300 PME actives dans des domaines qui vont de la production de produits métalliques ou de machinerie à celle d’aliments ou de plastiques.

Parmi ces PME dont le chiffre d’affaires varie de 400 000 dollars par an à 55 millions de dollars par an, certaines ont recours aux TI pour favoriser l’intégration de leurs processus d’affaires et, ainsi, améliorer l’échange et la synchronisation de données entre leurs divisions, leurs clients, leurs fournisseurs et leurs partenaires, mais d’autres ne le font pas. Par exemple, 37 % des 309 sociétés examinées utilisent des technologies d’ordonnancement de la production (computer-based production scheduling), 20 % se sont équipées d’un système de planification des besoins matières (MRP), tandis que seulement 9 % ont implanté un progiciel de gestion intégré (ERP).

De plus, les entreprises examinées n’emploient pas toutes les TI qu’elles possèdent au même degré. Dans certaines d’entre elles, les processus d’affaires et les technologies de l’information sont intégrés étroitement les uns aux autres, c’est-à-dire que les TI constituent un élément essentiel du bon déroulement des activités de l’organisation, aident cette dernière à collaborer avec d’autres acteurs et facilitent la collecte des informations dont elle a besoin pour s’ajuster au marché. Dans d’autres PME, ce qu’on appelle le niveau d’assimilation des TI est nettement moins élevé.

Mieux assimiler les TI pour assurer la croissance

Selon les données que nous avons recueillies dans le cadre de notre étude, plus une PME réussit à assimiler ses TI, plus les efforts qu’elle fait pour se doter de nouveaux processus favorisent l’augmentation de ses ventes, c’est-à-dire sa croissance. Cela peut tenir au fait que les entreprises dont les TI et les processus sont fortement intégrés ont plus de facilité à rapidement introduire de nouveaux produits sur le marché.

Par contre, notre étude a révélé autre chose : il est parfois contre-productif pour une organisation de chercher à améliorer l’imbrication de ses TI et de ses processus! En effet, les PME qui cherchent à se doter de nouveaux processus dans un environnement où leurs TI et leurs processus actuels sont étroitement intégrés les uns aux autres tendent à être moins productives que celles qui poursuivent cette même stratégie dans un environnement TI moins intégré.

Cela s’explique sans doute au fait que dans les PME à l’environnement TI très intégré, il est difficile, à court terme du moins, de changer un processus sans difficulté, sans perte de productivité. Par exemple, la PME qui s’équipe d’un système ERP se voit en même temps forcée, par ce même système, d’adopter et de mettre en œuvre certaines pratiques dites exemplaires. Il peut dès lors être difficile pour cette PME de s’éloigner des façons de faire imposées par ce progiciel, de revoir ces dernières d’une manière qui permettra à l’organisation d’accroître son agilité et de mieux répondre aux demandes de ses clients.

Les incidences de ce qui précède sont majeures sur le plan stratégique. En effet, on peut penser que les PME qui naviguent dans un environnement où il est important de réduire leurs coûts de production gagneront généralement à rechercher l’assimilation de leurs TI, c’est-à-dire l’intégration étroite de celles-ci avec leurs processus d’affaires.

Par contre, les PME qui sont à la recherche d’une flexibilité organisationnelle accrue, celles qui doivent innover pour survivre, auront davantage intérêt à élever leur niveau d’assimilation des technologies, telles que les systèmes de fabrication flexibles (FMS) qui améliorent cette flexibilité plutôt que des TI, telles que les systèmes d’ERP qui accroissent l’intégration des processus d’affaires.

Autrement dit, les TI comptent, mais encore faut-il savoir bien les assimiler à la réalité d’affaires propre à chaque entreprise, car il n’y pas de grandeur unique. Si chaque PME doit chercher à innover pour se tailler une place dans un univers de plus en plus concurrentiel, elle doit aussi rechercher le bon niveau d’intégration TI pour faire en sorte que les efforts consentis pour créer de nouveaux produits ou processus rapportent vraiment.

Louis Raymond est professeur titulaire à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), où il préside la Chaire de recherche du Canada sur la performance des entreprises. Anne-Marie Croteau est professeure agrégée à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia et directrice du programme de maîtrise en administration pour gens d’affaires de cet établissement. François Bergeron est professeur de systèmes d’information au sein de l’Unité Travail, Économie et Gestion de la Télé-Université, Université du Québec à Montréal (UQAM).

Pour obtenir plus de détails sur cette recherche, qui s’est méritée le « Prix d’excellence pour la meilleure communication » remis lors du Congrès 2009 de l’Administrative Sciences Association of Canada (ASAC), division Systèmes d’information, consultez Raymond, Louis, Anne-Marie Croteau et François Bergeron (2009), « When information technology is counterproductive: Revisiting the innovation paradigm in manufacturing SMEs », Actes du Congrès annuel de l’ASAC, Information Systems division, Niagara Falls (Ontario).

Les résultats de recherche ont été obtenus à l’aide d’une subvention octroyée par le Programme des Chaires de recherche du Canada dans la cadre d’un programme de recherche sur la Performance des entreprises. Leur diffusion est rendue possible par une subvention octroyée par le Fonds de recherche sur la société et la culture (FQRSC) à Benoit Aubert (HEC Montréal), Bouchaib Bahli (Université Concordia), François Bergeron (Télé-Université), Anne-Marie Croteau (Université Concordia) et Suzanne Rivard (HEC Montréal), dans le cadre d’un programme de recherche sur la Gestion stratégique des technologies de l’information.

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