Les bienfaits de l’approche SWOT

Tout haut dirigeant souhaite évidemment que ses investissements (souvent majeurs) dans l’acquisition, l’implantation et l’entretien de technologies de l’information (TI) contribuent à l’atteinte des objectifs de son organisation. Mais la réponse à la question controversée posée par le journaliste Nicholas Carr dans le titre même de l’ouvrage Does IT Matter? est-elle vraiment positive? Si oui, à quelles conditions?

Toute organisation dispose en principe d’une stratégie pour atteindre les buts qu’elle s’est fixés.

De l’avis de chercheurs comme Michael Porter, les compagnies devraient établir cette stratégie en prenant en considération la structure de l’industrie dans laquelle elles évoluent et tenir notamment compte, au moment de concevoir leurs plans, du pouvoir de négociation dont elles disposent par rapport à leurs fournisseurs, à leurs clients, aux nouveaux entrants et aux substituts en plus des entreprises œuvrant dans le même secteur qu’elles.

D’autres chercheurs, suivant Jay Barney, pensent plutôt que les organisations doivent élaborer leur stratégie en fonction des ressources qu’elles détiennent, c’est-à-dire, entre autres, de leurs procédés, de leurs savoir-faire ou des aptitudes de leur main-d’œuvre. Selon cette vision, une entreprise dépositaire de connaissances qu’aucune rivale ne pourra acquérir à moyen terme gagnera à faire reposer sa stratégie sur l’exploitation de ces connaissances.

Enfin, certains chercheurs croient que ces positions sont complémentaires plutôt qu’opposées, que les organisations doivent définir leur stratégie en tenant aussi bien compte de facteurs internes (leurs ressources) que de facteurs externes (la structure de l’industrie). Selon eux, cette complémentarité se reflète dans le modèle SWOT, lequel amène les planificateurs stratégiques à considérer autant les Strengths et Weaknesses (forces et faiblesses) de l’entreprise que les Opportunities et Threats (occasions et menaces) présentes dans son environnement.

Il n’est pas neutre qu’une entreprise adopte l’un ou l’autre de ces trois points de vue sur le plan des TI. Pour Porter, les entreprises doivent en effet chercher à utiliser les technologies pour changer la structure de leur industrie, par exemple, pour resserrer leurs relations clients ou faciliter le démarrage de projets novateurs. Pour les chercheurs qui adoptent le point de vue de Barney, les TI devraient plutôt permettre d’améliorer et de mieux exploiter les ressources clés de l’entreprise. Selon le troisième modèle, les TI peuvent avoir ces deux fonctions à la fois.

Une enquête que nous avons menée auprès de 96 PDG de PME québécoises de 30 à 500 employés (dont 57 % d’entreprises manufacturières et 25 % d’organisations du secteur des services) montre que ce dernier point de vue devrait prévaloir.

Nos données montrent d’abord que quelle que soit l’approche, le recours aux TI rapporte aux entreprises. En effet, plus du quart (29 %) des écarts de performance et de profitabilité relevés entre les PME québécoises tient aux différences qui marquent l’utilisation qu’elles font des technologies. Autrement dit, contrairement à ce que Carr avance, IT « Does » Matter.

Notre étude montre en outre que les effets des TI sur les organisations se font bel et bien sentir de deux manières différentes. Les TI rapportent d’abord aux PME parce qu’en soutenant la mise en œuvre de leurs stratégies d’innovation, de mise en marché et de réduction de coût, elles contribuent directement à l’amélioration de leur performance, c’est-à-dire à la hausse de leur chiffre d’affaires ou l’accroissement de leurs parts de marché.

Les TI rapportent ensuite aux PME parce qu’en augmentant leur capacité à développer ou exploiter efficacement leurs ressources organisationnelles (ex. : les habiletés de leurs dirigeants), marketing (ex. : la connaissance qu’elles ont de certains marchés) ou technologiques (ex. : l’efficience de leurs usines), elles contribuent indirectement à l’amélioration de leur performance et directement à leur profitabilité.

À la lumière de ces résultats, deux conclusions s’imposent.

Premièrement, les entreprises devraient non seulement se préoccuper d’aligner leurs TI afin de soutenir ou renforcer leur positionnement dans l’industrie; elles devraient aussi veiller à faire des technologies un usage propice à l’amélioration de leurs capacités. Par exemple, pour qu’une organisation applique avec succès sa stratégie de commercialisation de nouveaux produits, il faudra non seulement qu’elle utilise des outils de CRM pour joindre ses clientèles cibles plus efficacement que la concurrence; il faudra aussi qu’elle tienne compte qu’elle pourrait se servir des technologies pour faire en sorte que ses ressources spécialisées en R et D collaborent plus efficacement à distance ou échangent plus facilement leurs connaissances.

Deuxièmement, les PME devraient envisager de se servir de l’approche SWOT pour faire leur planification en matière de TI. Cette approche leur permettrait en effet d’évaluer systématiquement comment leurs décisions d’investissement contribueront à la mobilisation des forces de l’organisation ou l’élimination de ses faiblesses, et comment ces décisions faciliteront la saisie d’occasions prometteuses ou la prévention de risques sérieux.

Pour obtenir plus de détails sur cette recherche, consultez : Rivard, Suzanne, Louis Raymond et David Verreault (2005), « Resource-based view and competitive strategy: An integrated model of the contribution of information technology to firm performance », Journal of Strategic Information Systems, volume 15, numéro 1, p. 29-50.

Voir Carr, Nicholas (2004), Does IT Matter?, Cambridge, Harvard Business Press. Carr a d’abord présenté les idées exprimées dans ce livre dans un article de la Harvard Business Review, IT Doesn’t Matter (mai 2003).

Suzanne Rivard est professeure titulaire à HEC Montréal, où elle préside notamment la Chaire de gestion stratégique des technologies de l’information (TI). Louis Raymond est professeur titulaire à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), où il dirige la Chaire de recherche du Canada sur la performance des entreprises. David Verreault est conseiller en implantation de progiciels de gestion d’entreprise chez Deloitte, à Montréal.

La diffusion de ces résultats de recherche est rendue possible par une subvention octroyée par le Fonds de recherche sur la société et la culture (FQRSC) à Benoit Aubert (HEC Montréal), Bouchaib Bahli (Université Concordia), François Bergeron (Télé-Université), Anne-Marie Croteau (Université Concordia) et Suzanne Rivard (HEC Montréal) dans le cadre d’un programme de recherche sur la Gestion stratégique des technologies de l’information.

Ce texte est le troisième d’une série d’articles vulgarisés que le groupe publiera d’ici la fin de ce projet, en 2010. Chaque article visera à présenter aux dirigeants francophones des connaissances de pointe dont l’application, sur le terrain, favorisera le succès de leurs initiatives en TI.


À lire aussi dans cette série: Gare aux solutions d’alignement uniques Impartition et TI : savez-vous vraiment si votre fournisseur fait le maximum?

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