Le Nord du Québec
Propice aux centres de données?

Bien que le froid, l’eau, l’électricité et la fibre optique y soient présents, il manque des éléments cruciaux à l’implantation de centres de données en Jamésie. Survol.

Dans quelques années, des villages près de la Baie James pourraient bénéficier d’un réseau à large bande dont la dorsale serait une fibre optique contenue dans le câble de garde d’un réseau qui transporte l’électricité vers le sud du territoire (voir http://bit.ly/a4qvL3).

Ce projet novateur suscite une question : le «  Moyen Nord » du Québec, avec ses températures froides, le potentiel géothermique de son eau, sa proximité des centrales hydroélectriques et la présence d’une liaison de télécommunications, est-il propice à l’établissement de centres de données?

Liaisons cruciales

Les facteurs favorables à l’établissement d’un centre de données sont le coût de l’énergie et la proximité de sa source, le potentiel environnemental en climatisation, le coût et l’accessibilité du terrain, les infrastructures environnantes, la disponibilité des ressources humaines et l’accès aux réseaux de télécommunications.

Bill St.Arnaud, consultant en technologies vertes est un ancien responsable de la recherche au réseau CANARIE (société à but non lucratif qui fournit et entretient un réseau à ultra haute vitesse pour stimuler la recherche et l’innovation au Canada). Il croit qu’il serait faisable d’établir de tels centres en milieu froid, près des barrages et à portée d’une fibre optique sur un réseau de transport électrique. L’offre d’approvisionnement en électricité et en bande passante à un coût raisonnable par Hydro-Québec rendrait le concept intéressant.

Toutefois, il estime que la faible quantité de liaisons de télécommunications est l’actuel obstacle majeur d’un tel projet. « Au niveau de la redondance, l’utilisation d’une seule fibre optique serait risquée, puisqu’un bris entraînerait une panne de plusieurs jours », indique-t-il.

D’ailleurs, les intervenants interrogés ont identifié l’accès à une variété de fournisseurs de fibre optique comme étant un élément primordial pour un centre de données, afin d’assurer une certaine neutralité en télécommunications. Pour que des fournisseurs établissent des liaisons filaires vers le nord du territoire, il faudrait un projet majeur qui créerait un effet d’entraînement.

D’autre part, la grande distance séparant la Jamésie des centres urbains créerait une latence qui nuirait aux applications nécessitant une rapidité d’exécution. Le recours au satellite, moins coûteux que la fibre, entraînerait aussi une latence. Toutefois, des spécialistes croient que des applications non dépendantes d’une instantanéité, comme la sauvegarde des données, le traitement par lot de données bancaires et même la vidéo sur demande, pourraient y être exploitées.

Surtout, l’utilisation de la fibre noire (fibre optique qui n’est pas alimentée) disponible et l’ajout de liaisons sur le réseau de transport d’Hydro-Québec nécessiteraient l’implication de la société d’État, ce qui est loin d’être assuré. « Hydro-Québec possède déjà un grand réseau de fibre noire, mais les télécommunications ne font pas partie de son coeur de métier. Aussi, c’est très politisé… C’est dommage, car [le concept] comporte des aspects intéressants », constate Éric Chouinard, le chef de la direction de l’entreprise d’hébergement iWeb.

Facteur coût

Également, l’exploitation de centres de données dans le Nord du Québec nécessiterait un rehaussement d’infrastructures pour l’accès et l’hébergement du matériel et du personnel requis, qu’il s’agisse d’employés ou de clients.

« La construction d’un centre de données y serait différente qu’à Montréal, en considérant la disponibilité des entrepreneurs, des ouvriers et des ingénieurs spécialisés, indique Darin Stahl, analyste principal à la firme Info-Tech Research. Certains coûts uniques, qui pourraient fluctuer, devraient être compensés par des coûts d’exploitation plus faibles durant la quinzaine d’années de vie utile d’une installation. Aussi, avoir des infrastructures de rue et des infrastructures communautaires aident à la croissance et à la durabilité commerciale d’un centre de données ».

Jean-Sébastien Lepage, de la firme de service-conseil en télécommunications NTEK, croit que la viabilité économique de centres de données au Nord du Québec dépendrait de leur modèle d’hébergement.

« Un fournisseur dont les clients interagiraient rarement avec leurs équipements pourrait avoir un modèle viable avec un transfert technologique qui permettrait une exploitation hermétique avec une compétence locale, indique M. Lepage. Mais pour des services de colocation, il faudrait des infrastructures pour le transport du matériel et l’hébergement des personnes. L’avantage économique doit être calculé », souligne-t-il.

« Le plus important, c’est l’aspect commercial. Si personne ne voit d’intérêt monétaire à aller dans le Nord, cela ne se fera pas, peu importe la volonté politique ou environnementale d’un projet », ajoute-t-il.

Enfin, certains avancent que le climat froid n’offre plus d’avantage prédominant pour l’exploitation d’un centre de données efficace. « Aujourd’hui, le refroidissement des liquides et la dissipation de la chaleur peuvent fonctionner jusqu’à 22 degrés Celsius. Ainsi, l’environnement propice s’étend jusqu’en Pennsylvanie », indique M. Stahl.

Ce n’est pas demain la veille qu’on établira une « baie des données » à la Baie James…


Discrétion gouvernementale

L’État québécois est peu bavard à propos du potentiel d’établissement de centres de données dans le Nord du Québec.

Hydro-Québec, qui exploite des centrales hydro-électriques et des réseaux de transport d’électricité, a décliné notre demande d’entrevue.

Au ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, une porte-parole indique qu’une analyse coût-bénéfice d’un projet visant à attirer des fermes de serveurs de grandes entreprises au Québec fait partie du plan d’action 2010-2011 de la directrice des TIC à la Direction générale de l’Industrie et du Commerce.

Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune dirige l’initiative de développement du territoire Plan Nord. À l’automne 2010, des groupes de travail présenteront des projets, des mesures et de grandes orientations pour les cinq prochaines années. Un porte-parole a indiqué qu’il était « trop tôt » pour parler d’implantation de centres de données dans le cadre de cette initiative.

Volonté

Michel Chartier, de la firme Kelvin-Emtech, constate un problème de volonté politique envers la promotion internationale du Québec pour l’établissement de centres de données. Il envisage de tenir sa propre foire pour laquelle il sollicitera la participation des intervenants gouvernementaux.

« Il n’y a pas de volonté du gouvernement provincial, ni des municipalités, ni même des politiques internes d’Hydro-Québec, déplore-t-il. Hydro-Québec a un balbutiement de programme pour les centres de données parce que nous avons fait la demande d’études. On ne fait jamais mention du potentiel du Québec pour les centres de données lorsque le gouvernement participe à des conférences américaines. On y parle de haute technologie, de pharmaceutique et de bois d’œuvre… »


De l’industriel au numérique

Avant l’aller plus au nord, plusieurs privilégient la conversion de complexes industriels au sud du 49e parallèle. Ces sites offrent des avantages similaires au territoire nordique, mais comportent leur part de défis.

Dans plusieurs régions du Québec, on retrouve d’anciennes usines qui sont dotées d’équipements électriques, situées près de barrages et de cours d’eau et à portée de plusieurs fournisseurs de fibre noire. Déjà, des acteurs de l’industrie y voient un potentiel intéressant.

Éric L’Heureux, directeur technologique de la firme d’ingénierie Sigmaco, réalise depuis deux ans des prélèvements d’eau et d’air dans des complexes industriels en Mauricie et en Montérégie, dans le cadre de projets confidentiels. « Pour les endroits éloignés des centres urbains, le marché en est un d’applications à grand volume et haute densité. Qui dit haute performance dit beaucoup de chaleur à dissiper et d’alimentation électrique à utiliser », explique-t-il.

M. L’Heureux reconnaît que les usines construites il y a plusieurs décennies nécessitent des mises à niveau des infrastructures et des équipements électriques. Il faut aussi étudier les impacts de facteurs environnants, comme la présence de voies ferrées où des trains présenterait des risques de vibration ou d’explosion.

Selon Éric Chouinard d’iWeb, dont trois centres de données sont situés dans d’anciennes usines, des sites de régions comme le Saguenay, Québec, Montréal et la Mauricie offrent des avantages similaires qu’on pourra exploiter avant d’aller au nord. « On peut comparer cette situation au marché domiciliaire : ça ne donne rien d’abattre une forêt quand il y a déjà un terrain défriché à côté », indique-t-il.

Mentalités et marché

Toutefois, la persistance d’une mentalité chez la clientèle qui est relative à la proximité des données constitue un énorme défi pour les promoteurs de projets dans les parcs industriels ou dans les régions intermédiaires.

Michel Chartier, président de Kelvin-Emtech, une firme de génie-conseil spécialisée en électricité et en mécanique du bâtiment, oeuvre à un projet confidentiel de conversion d’une usine en Mauricie qui est située près de deux barrages et d’une rivière.

Il soutient que deux mentalités s’affrontent: « d’un côté, des exploitants veulent que leurs centres de données soient construits en banlieue. De l’autre, des exploitants veulent demeurer le plus près possible des clients afin qu’ils puissent avoir accès aux installations. Des clients ne veulent pas sortir du centre-ville de Montréal, où les coûts de main-d’oeuvre, de location et de terrain sont exorbitants, où les immeubles sont mal adaptés et où l’accès pour la livraison est restreint », résume-t-il.

Surtout, c’est la demande du marché qui influencera l’évolution des projets de centres de données au Québec. La demande en traitement informatique et en hébergement devra être prononcée afin que les conversion d’usines se multiplient.

« Est-ce que la demande est telle que les organisations aux États-Unis ont utilisé tout l’espace à proximité et sont prêtes à étudier les coûts et les enjeux liés à l’exploitation outre-frontière d’un centre de données? Sur le marché domestique canadien, il y a une demande pour des centres de données, mais il s’agit surtout de petites et moyennes entreprises qui font de l’hébergement et de la colocation, en opposition aux “géants” », analyse Darin Stahl de la firme Info-Tech.

Jean-François Ferland est rédacteur en chef adjoint au magazine Direction informatique.

Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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