Le déferlement des dotcom 2.0

À voir les nouvelles offres de services Web surfant sur une vague 2.0 qui apparaissent jour après jour, on se demande si on n’est pas en train de revivre une époque pas si lointaine.

Parfois, je m’interroge sur mon cynisme. Sommes-nous en train de revivre les années folles de la baudruche dotcom? Vous vous rappelez cette moitié de décennie où « n_importe_quoi.com » pouvait rafler tout le capital de risque nécessaire à la poursuite d’une lubie aussi kioute qu’inutile, mais proclamée visionnaire et essentielle, du moins pour bientôt? Vous me voyez venir avec mes skis 2.0!

Je vous parle en effet des applications Web, euh… de ces services Web, WebApps et autres patentes RIA (Rich Internet Application) ou SaaS (Software as a Service), bref de ces machins parfois énormes, souvent petits, généralement gratos et quelques fois amusants qui, plus que jamais, précipitent l’ennuagement en cours de notre firmament techno-industriel. Les visionnaires et les gourous les recommandent. Ces logiciels SONT l’avenir. Ils pavent la voie à la prospérité industrielle, voire au bonheur domestique. Rien de moins.

Si je le voulais, je pourrais passer des heures à m’amuser avec ces gratuiciels. Grâce à eux, je pourrais même vivre sans ordi et sans Internet. Je n’aurais qu’à fréquenter certains endroits publics ou visiter plus souvent mes amis. Ce faisant, je pourrais accéder aux Google Docs, à Microsoft Office Live, à Acrobat.com (où, soit dit en passant, se trouve le très intéressant Buzzword), brefs à cette catégorie d’applicatifs ne nécessitant qu’une simple connexion Internet et un fureteur assez récent. Et, sans angoisser, je confierais tout mon courriel, toutes mes photos, tous mes textes et toutes mes infos de longue date à des méga-gros serveurs californiens dont l’essence même est de ne jamais crasher et de ne jamais être pris en faute de sécurité.

Ça laisse songeur. Surtout qu’en plus de ces produits de grande renommée, je vois apparaître, chaque jour, de nouveaux petits services hautement irrésistibles, des gugusses parfois géniaux, parfois idiots, qui nécessitent souvent l’installation de petits logiciels dans mon ordi. Parfois, ils me laissent pantois quant à leur chance de survie; j’ai peine à discerner leur plan d’affaires. Ils n’ont probablement pas les moyens de soutenir leur gratuité comme c’est le cas chez Google et consorts.

Vous y croyez, vous, à cette fierté d’une équipe de développeurs qui va lancer un très beau gratuiciel « ajaco-javatisé-full-flash-silverlightitou » pour le simple plaisir du beau geste, celui que l’on rencontre dans l’univers trépidant de l’Open Source à la sauce GNU? Si vous répondez oui, vous êtes probablement convaincu qu’une entreprise d’asphaltage qui contribue au financement des besoins d’un politicien, voire une personne qui « donne » deux cents heures de son temps à un candidat politique, le font par idéal démocratique. Vous le savez pourtant : où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie…

Pour que tout cela ait un sens dans ma logique cartésiano-jésuite, le plus simple pour moi est de faire miennes les théories paranos du méchant complot. Si les grands de ce monde, entendre Microsoft, Adobe, Google, Yahoo! et tutti quanti, offrent une panoplie de services Web gratuits, c’est qu’ils récoltent des adresses de courriel, qu’ils nous placent des espiogiciels, qu’ils nous utilisent comme cobayes ravis, qu’ils nous observent par-dessus l’épaule, qu’ils nous asservissent (en vue d’une « phase 2 »…) à grand renfort de mensonges sur leur soi-disant gratuité. N’est-ce pas? Sinon, pourquoi Yahoo se donnerait-il la peine d’entretenir son service gratuit de géolocalisation personnalisée Fire Eagle et Google, son Google Latitude, pour ne citer que ces deux exemples? Pour nos beaux yeux? Pour notre seul plaisir?

S’il en est ainsi, il peut sembler cohérent de croire que les plus petits en font autant. Ainsi, ce matin, mon logiciel de sécurité Malwarebytes a refusé de me donner accès au site de Screentoaster, un gratuiciel permettant de « capturer » une série de manœuvres sur son écran et d’en faire un clip vidéo à des fins didactiques. La réputation enviable de Malwarebytes a fait en sorte que je n’ai pas insisté. Malveillante, l’application Web Screentoaster?

Et si ce n’est pas pour nous injecter d’horribles chtouilles marketing, c’est pour nous appâter en vue de nous vendre leurs produits et services, non? Ne serait-ce pas là la vraie explication, c’est-à-dire « qu’il est payant de donner »? Sinon, pourquoi toutes ces petites boîtes inféodées à Adobe AIR, pour ne nommer que celles-là, rendraient-elles leurs merveilles disponibles au téléchargement gratuit?

Prenez Comparemydocs. Voici une boîte suédoise qui nous permet gratuitement de comparer de façon très efficace plusieurs versions d’un document Word. Mais en même temps, elle fait la promotion de Textflow, une bébelle corpo qui fera encore mieux et plus vite, moyennant, bien sûr, une contribution sonnante et trébuchante. Autre exemple, prenez  Livebrush. Cette entreprise nous donne de quoi nous amuser tout en nous offrant d’acheter, à bas prix, une version plus évoluée ou amusante du produit. Dans son cas, c’est le syndrome du AppStore d’Apple, un paradigme commercial très très payant.

D’autres, prenez le cas de Houlden, veulent nous aider dans nos relations d’affaires. On nous y donne six logiciels amusants, incluant un tableau noir sur lequel in peut dessiner. En revanche, on nous offre de les personnaliser pour en faire des outils de soutien marketing. Pour ces gens, les petits applicatifs Web sont en train de remplacer les casquettes de baseball et les t-shirts. Dieu du ciel! Où s’en va-t-on? Vais-je devoir commencer à m’acheter des t-shirts pour travailler autour de la maison?

Il existe même des sites qui recensent ces services. Si certains le font sur une base de plate-forme, par exemple le « showcase » de Silverlight ou le « marketplace » d’Adobe AIR d’autres, par exemple Makeuseof, Go2web2 ou WebApps, y vont plus à tire-larigot.

Et on n’aurait rien vu. On nous annonce qu’avec des technos émergentes comme OAuth (pour autoriser l’accès), OpenID (pour le login) ou HTML 5, ces services Web vont devenir non seulement plus nombreux, mais de plus en plus autonomes par rapport aux systèmes d’exploitation et de plus en plus robustes ainsi qu’agréables à utiliser. Cela évoluera à un point où n’importe qui, sans talent et sans rien à dire, pourra, d’un clic ou deux, se créer un site Web 2.0 d’allure parfaitement professionnelle avec tout le tremblement complémentaire et tous les boulets de conformité sociale afférents.

Les données qu’on pompera alors vers le nuage circuleront davantage entre différents services Web complémentaires comme c’est un peu le cas, présentement avec Twitter Feed. En même temps, lesdites données seront stockées « quelque part » dans une vaste infrastructure de serveurs obéissant à des protocoles ou standards communs; le temps des solutions propriétaires tirerait à sa fin. Avis aux paranos qui craignent de tout perdre dans le grand méga-souk!

Mettons que je sois devenu trop cynique, que je sois un peu parano, que dans la vraie vie, ces développeurs de la wébitude 2.0 n’ont pas de plan maléfique. Mettons qu’ils foncent tête baissée vers le bonheur de pouvoir offrir le plus beau produit flyé, celui qui attirera l’attention de la presse spécialisée et qui vaudra à ses artisans cinq étoiles. Auquel cas, ma question demeure inchangée : comment pourront-ils faire des sous, prospérer et se constituer une base suffisante de fidèles?

Il y a dix ans, j’écrivais des trucs de la même farine. Je rapportais régulièrement des propos « visionnaires » explicitant, en synthèse, que les boîtes qui ne seraient pas « dotcomisés » à court terme ne pourraient se maintenir en affaires. Leur survie – attention à la féroce et sanguinaire concurrence – dépendrait de la vitesse avec laquelle elles se nantiraient d’un site transactionnel basé sur la panoplie la plus dotcom au monde. Ainsi, elles prospéreraient, auraient de nombreux enfants et vivraient longtemps longtemps dans la félicité et la sérénité. On connaît la suite.

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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