La R&D, un argument concurrentiel

Pour OKIOK et Solutions Abilis, la R&D, c’est une question de survie. Une partie intégrante de leur stratégie d’affaires, la R&D leur permet de se distinguer de la concurrence par leur expertise pointue, voire par leur approche commerciale novatrice.

Deux PME québécoises de services informatiques oeuvrant dans des créneaux différents – OKIOK et Solutions Abilis – investissent une partie substantielle de leurs revenus en recherche et développement (R&D) (voir leur profil en page 3). Bien que la finalité de leur stratégie d’investissement diffère, l’objectif fondamental est le même, soit de permettre à l’entreprise d’être plus concurrentielle.

Pour OKIOK, la R&D est un élément essentiel de sa stratégie d’affaires et de positionnement sur le marché, dans la mesure où elle atteste de sa compétence et de son niveau d’expertise. Étant donné son créneau particulier – la sécurité – qui demande d’être constamment à l’affût des dernières tendances, la R&D lui permet d’offrir des solutions performantes toujours à la fine pointe de la technologie. Les malfaiteurs faisant preuve de beaucoup de créativité pour détourner les dispositifs de sécurité mis en place par les organisations, il importe de les devancer. Dans ce contexte, un fournisseur qui n’investit pas en R&D est perçu par les organisations comme un simple revendeur de solutions, n’offrant aucune valeur ajoutée.

« Le client sait qu’en faisant affaires avec nous il a accès à un niveau d’expertise qui ne se retrouve pas ailleurs au Québec, soutient le président de l’entreprise, Claude Vigeant. C’est une perspective qui est très différente de la plupart de nos compétiteurs. Par exemple, on a été les premiers à faire du chiffrement transparent de disque, au début des années 1980, avant que ce soit à la mode, avant même qu’il y ait des ordinateurs portatifs. Maintenant, c’est courant, ça fait partie du système d’exploitation des ordinateurs portatifs.

« On a aussi été les premiers à faire des cartes avec la notion de plug-n-play, c’est-à-dire sans cavalier, et des solutions d’accès Web à logon unique, au début des années 1990. L’innovation, c’est ce qui a permis à la compagnie de démarrer. […] Au fur et à mesure que le secteur de la sécurité gagne en maturité, il y a de plus en plus de produits commerciaux disponibles sur le marché, pour lesquels il ne se fait pas beaucoup d’innovation. Ce n’est pas dans ce créneau-là que nous évoluons, mais plutôt à la frontière, là où les produits commerciaux n’existent pas. »

La stratégie de R&D de Solutions Abilis s’inscrit, quant à elle, dans son modèle commercial. Ne pouvant compter sur les mêmes moyens que les grandes firmes-conseils avec lesquelles elle est en compétition, Abilis perçoit dans la R&D un moyen d’accroître sa productivité et son efficacité, tout en réduisant ses coûts d’opération, en plus de lui permettre évidemment de livrer les solutions sur mesure dont on lui a confié la réalisation. En fin de compte, l’entreprise peut soumissionner à un tarif moindre que les grandes firmes-conseils et, surtout, de garantir l’échéance et le prix qui sera demandé au client à la fin du projet. D’ailleurs, on peut lire sur le site Web de l’entreprise que ses forces « résident dans [sa] capacité de livrer des projets critiques et technologiquement complexes dans les temps et les budgets déterminés [et de proposer des] coûts compétitifs en comparaison au développement interne ou outre-mer ».

« Notre particularité est de réaliser des projets au forfait, lance Éric Le Goff, le président de l’entreprise. Donc, au lieu de fournir à nos clients des consultants à un tarif X, nous réali-sons des projets clé en main dans notre Centre d’innovation que nous livrons ensuite à nos clients. L’innovation et la R&D sont essentielles à notre survie. Le marché que nous desservons est très compétitif et sur ce marché, nous affrontons des fournisseurs qui sont beaucoup plus grands que nous. Et comment parvenons-nous à les concurrencer? De trois manières. La première est en proposant une solution plus innovante et mieux adaptée aux besoins du client. La deuxième est en étant beaucoup plus productif et efficace. Par exemple, alors que les grands fournisseurs vont utiliser une quarantaine de consultants à temps plein pour réaliser un projet, nous, nous allons le faire avec 25 personnes, parce qu’on est plus efficace, qu’on standardise nos solutions pour être capable de réutiliser au maximum les infrastructures et les compétences, qu’on a un contrôle des projets ultra serré, etc. Et le troisième est en s’engageant sur un échéancier et un prix déterminés. »

Il est vrai qu’une firme de service travaillant sous mandat et dont les heures sont facturées au client n’a pas vraiment intérêt à finir rapidement les projets qui lui sont confiés. Mais pour une petite firme comme Abilis qui veut se tailler une place sur un marché où évoluent des grandes firmes établies de longue date, la possibilité de facturer à un prix moindre et fixe constitue un argument concurrentiel de taille.

« On se bat contre des sociétés de services qui vendent du temps-personne, souligne Éric Le Goff. Leur finalité est donc de vendre des ressources le plus longtemps possible, le plus cher possible à un même client, […] car ils garantissent un effort de moyens, donc des ressources, alors que nous, nous garantissons des prix et des délais, donc un résultat. Par conséquent, notre logique est très différente, car nous devons faire en sorte de livrer les projets en utilisant moins de ressources que ce sur quoi on s’est entendu, ce qui fait que nous cherchons toujours à améliorer nos processus ou à mettre au point des innovations qui vont nous permettre de produire plus rapidement »

Pour éviter la délocalisation

Le fait d’être plus efficient permet, en outre, à Abilis de ne pas avoir à délocaliser ses ressources dans des pays en développement pour réduire ses coûts et ainsi de conserver l’ensemble de ses ressources au pays, près de ses clients, contrairement aux grands fournisseurs. À l’argument financier s’ajoute donc l’argument de la proximité.

« Souvent nos concurrents, même canadiens, vont ouvrir des centres de dévelop-pement en Inde, indique Éric Le Goff. Si on compétitionne avec ces entreprises, il est clair que nos coûts horaires sont plus élevés que l’équivalent indien. Et comme nous ne voulons pas délocaliser nos ressources […], nous de-vons produire plus vite et avec moins de ressources que nos concurrents et fournir des solutions mieux adaptées à leurs besoins, ce qui est plus facile à faire en étant situé localement. »

M. Le Goff estime que grâce à l’innovation, tout en produisant à Montréal, son entreprise est en mesure de proposer des tarifs de 20 % à 30 % inférieurs à ceux consentis par les grandes firmes, « même lorsqu’elles délocalisent des ressources en Inde ». Les entreprises ne sont évidemment pas indifférentes à cet argument qui en a décidé plus d’une à opter pour ses services. Cela a même été le cas d’une grande entreprise de communications, dont Abilis a voulu taire le nom, qui bénéficiait d’une relation privilégiée avec une grande firme de services TI et qui a quand même décidé de confier la refonte de sons site Web à Abilis en 2005.

« En travaillant sur le même document d’appel d’offres, on a été capable de proposer l’équivalent de 15 personnes à temps plein, localisées à Montréal et au forfait, versus 40 personnes, dont 25 en Inde, avec aucune garantie de résultats, soutient Éric Le Goff. Et même en proposant des tarifs moindres, on est trois fois plus rentable par dollar de chiffre d’affaires que la moyenne de l’industrie […] parce que nos processus sont plus efficaces et que notre taux d’utilisation des ressources est de pratiquement de 100 %. »

La R&D, de A à Z

OKIOK, qui a à son actif trois à quatre technologies et méthodologies nouvelles et sept à huit nouveaux produits commerciaux, trouve son inspiration pour ses projets de R&D auprès de ses clients. Non seulement les projets qu’elle privilégie doivent répondre aux besoins spécifiques d’un mandat qui lui a été confié et pour lequel il n’existe pas de solutions commerciales, mais elle est à l’écoute des suggestions que lui font ses clients. Cela implique que l’entreprise conserve des bons liens avec ses clients.

« Le fait qu’on a un volet ‘Services professionnels’ nous donne un contact direct avec la clientèle; ça nous permet d’anticiper les besoins, souligne le président de l’entreprise, Claude Vigeant. On a aussi des gens qui sont générateurs d’idées dans l’entreprise qui peuvent proposer des nouvelles façons de faire. On met tout ça ensemble et on fait sortir les meilleures idées et on prend des décisions d’investissement en fonction de la disponibilité des équipes et des priorités de l’entreprise – une planification est faite annuellement pour déterminer les secteurs où on va mettre nos efforts. Bien qu’on préfère le contact avec la clientèle, parce que cela a plus de chances d’amener des sous dans la compagnie, la génération spontanée d’idées peut produire des résultats très intéressants. »

L’entreprise évalue ensuite la pertinence, la faisabilité et, surtout, le potentiel commercial du projet soumis à son attention. C’est l’étape de la validation. Celle-ci peut se faire soit à l’interne, par l’entremise d’un comité de spécialistes et de gestionnaires, soit à l’externe, auprès d’utilisateurs en entreprise, notamment chez le client quand le projet répond à une demande particulière d’un client.

« C’est une avenue qu’on utilise, mais ce n’est pas la seule, car parfois elle ne permet pas une validation complète des concepts, soutient Claude Vigeant. Ça compte pour environ 40 % du processus de validation. Le 60 % restant, c’est le flair, le pif! Parfois, on a un coup de coeur pour une idée, une technologie dont on pense qu’elle a une bonne chance de percer, parce qu’elle est unique et qu’elle amène un concept nouveau, une innovation sur le marché. […]

« Il faut éviter d’être impulsif dans ce secteur-là : quand on a une idée, il faut s’assurer que quelqu’un d’autre ne l’a pas déjà eue. Aujourd’hui, cela est de plus en plus complexe, on marche sur un terrain miné : à peu près toutes les bonnes idées ont déjà été brevetées, ce qui n’était pas le cas au début des années 1980, alors que ce n’était pas courant de faire breveter des logiciels : il suffisait d’avoir une bonne idée pour aller de l’avant. Il faut donc faire une recherche approfondie du marché. »

Un coup le projet choisi, la firme doit en planifier la réalisation, tout en s’assurant de le valider périodiquement.


Rentabiliser la R&D

Chez Abilis, la réalisation d’un projet de R&D prend en moyenne de trois à quatre mois, ce qui représente un investissement d’environ 200 000 $ par projet; l’entreprise réalise de trois à cinq projets par année. Au terme du projet, la technologie développée appartient soit au client, soit à Abilis qui va ensuite essayer de la réutiliser et de la commercialiser auprès d’autres clients qui vont en payer les droits d’utilisation. Mais c’est toujours un pari que fait la firme-conseil qui décide de conserver la propriété de la technologie, puisqu’il n’y a aucune garantie qu’elle pourra trouver preneur sur le marché, auprès d’autres organisations, par la suite. Cela fait partie du risque que doit gérer la firme.

À ce risque s’ajoute un autre risque, encore plus conséquent, soit que les efforts et les argents investis dans un projet de R&D n’aboutissent jamais à un produit concret. Les programmes gouvernementaux de crédits d’impôt en R&D contribuent considérablement à réduire le risque financier encouru par l’entreprise.

« Quand on a déterminé qu’un projet était éligible à la R&D, on entame le processus de suivi administratif qui va nous permettre de nous qualifier pour les crédits d’impôt à la R&D, explique le président de l’entreprise, Éric Le Goff. […] Ça, c’est une bonne chose parce qu’on sait qu’une partie du coût va être couvert [par les programmes gouvernementaux]. Et en plus, si on conserve la propriété de la solution, on va pouvoir la commercialiser auprès d’autres clients, ce qui est encore mieux. »

Dans ce dernier cas, l’entreprise doit s’assurer ensuite de modifier et de « généraliser » la solution qu’elle a développée pour un client spécifique pour la rendre utilisable par un grand nombre d’organisations. « C’est le modèle qu’on privilégie, confie le président d’OKIOK, Claude Vigeant, car ça permet de s’assurer que les idées qu’on a sont valides, car il y a au moins un client qui utilise la solution qu’on a développée. On espère toujours que les solutions qu’on développe rejoindront plus tard un éventail plus large de clients. […] Ça arrive que la solution ne rejoigne pas d’autres clients par la suite, ce n’est pas souvent, sinon on ne serait pas là pour en parler aujourd’hui [rire], mais ça arrive et ça fait partie du risque. Mais je dirais qu’on a quand même une bonne moyenne au bâton! »

OKIOK, dont les projets de R&D prennent plus longtemps, parfois jusqu’à trois ans, puisqu’ils sont réalisés à temps « partiel », applique la même stratégie qu’Abilis pour rentabiliser ses investissements en R&D. Mais cela peut prendre cinq ans, voire plus, pour rentabiliser un projet. La rentabilisation de l’investissement survient parfois lorsque la technologie est acquise par un grand fournisseur, plusieurs années après qu’elle ait été créée; cela a notamment été le cas de sa solution de gestion des accès Web, développée à la fin des années 1990 et qui combine la fédération des identités, les services de jeton pour protéger des services Web et la gestion de la vie privée, qui a été achetée par Siemens en 2005.

« Ça constitue aujourd’hui la fondation de l’offre de Siemens en matière de sécurité, précise Claude Vigeant. C’est quelque chose qu’on a développé de toutes pièces, suite à des besoins exprimés par nos clients. Cela a nécessité un investissement d’un à deux millions $ sur trois ans. C’est sûr que les crédits de R&D ont aidé, mais il a quand même fallu trouver cet argent-là, ce qui n’est pas facile pour une PME. Mais pour les autres solutions qu’on a développées, mais qui n’ont pas achetées par un fournisseur d’envergure comme Siemens, il faut être patient pour récupérer notre investissement. Ça demande de travailler avec des partenaires, pour être capable d’élargir la distribution des solutions dans le monde. »

OKIOK

Fondée en 1973, OKIOK propose des solutions et des services en sécurité de l’information et en infrastructures technologiques. Établie à Laval, OKIOK emploie une cinquantaine de personnes. Bon an mal an, l’entreprise, qui ne fait pas appel aux capital-risqueurs pour financer ses activités de R&D, investit 50 % de ses profits à ce chapitre, en plus de solliciter la contribution de ses actionnaires et associés principaux. C’est pour des motifs « philosophiques » que l’entreprise ne se tourne pas vers les capital-risqueurs pour trouver les ressources nécessaires pour mettre en chantier ses projets de R&D, préférant conserver à l’interne le contrôle de son développement.

« Notre modèle de financement est différent de ce qui se passe aux États-Unis, affirme Claude Vigeant, président d’OKIOK. C’est pour une question de contrôle et de philosophie de gestion qu’on a choisi cette voie. C’est de cette façon que la compagnie s’est bâtie et on maintient quand même une certaine dynamique. C’est une formule qui a donné jusqu’à maintenant de bons résultats pour nous. »

Une quinzaine d’employés partagent leur temps entre la réalisation des projets de R&D de l’entreprise et la réalisation des mandats de services, puisqu’il n’y a pas de personnel affecté exclusivement aux activités de R&D. « Quand on implique des gens dans des projets de R&D, c’est parce qu’il n’existe pas de solutions qui pourraient être appliquées directement chez le client, explique Claude Vigeant. C’est soit pour établir des nouveaux principes, soit pour approfondir ce qui a déjà été fait, en intégrant des nouveaux éléments à ce qui existe déjà. »

Parallèlement aux activités de R&D, certains des employés de l’entreprise collaborent aux activités de R&D du Centre d’excellence et d’innovation en gestion des identités et des accès (CEIGIA). Mis sur pied en 2008, en collaboration avec l’École Polytechnique de Montréal, le CEIGIA a pour mandat de favoriser le développement des technologies et des méthodologies en gestion des identités et des accès et le transfert des connaissances entre les secteurs universitaire et industriel. Le Centre est ouvert à toute forme de collaboration avec les entreprises du secteur qui peuvent fournir technologies et expertise et les autres institutions universitaires et de recherche.

Outre OKIOK, Sun Microsystèmes et Siemens font partie des partenaires industriels du Centre, dont les premiers projets de R&D et activités d’information et de formation offertes aux organisations du Québec devraient débuter fin 2008-début 2009. Situé dans les locaux de l’École Polytechnique, le CEIGIA est sous la direction de José Fernandès, professeur adjoint au Département de génie informatique et génie logiciel de l’établissement universitaire.


Solutions Abilis

Fondée en 1996, Solutions Abilis se spécialise en développement de systèmes distribués n-tiers et de solutions transactionnelles sécurisées. L’entreprise, qui emploie 125 personnes, fournit aussi des services d’intégration de technologies. Plus de la moitié de son chiffre d’affaires est réalisé à l’extérieur du Québec. Composée de grandes entreprises, sa clientèle comprend notamment Bombardier, Bell Canada et Air Canada.

Solutions Abilis investit annuellement une proportion variant entre 5 % et 10 % de ses ventes en R&D. Localisée dans son Centre d’innovation de Montréal, l’équipe de R&D de l’entreprise compte une dizaine de personnes, dont le mandat est de réaliser des projets clé en main pour le compte de ses clients ou pour les besoins internes de l’entreprise.

Abilis a, par exemple, développé un système qui permet de mesurer l’audience sur publicité mobile, dans le but de comparer l’audience d’un système de publicités sur véhicules versus un système de publicité fixe traditionnel. L’entreprise a aussi créé un système de point de vente portatif à écran tactile et intégrant un lecteur de cartes de crédit et de codes à barres et une carte de communication pour les compagnies aériennes qui permet aux agents de bord de vendre des condiments à bord et d’envoyer les données de ventes au sol pour faciliter la gestion des stocks et déterminer les prix et les produits qu’il faut mettre dans les prochains vols.

Alain Beaulieu est adjoint au rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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