La marque de commerce, le territoire et Google

Le caractère « mondial » de l’Internet peut faire perdre de vue le caractère territorial du droit touchant les marques de commerce. Les frontières existent toujours…

Votre entreprise, établie au Canada, offre sur Internet certains services en ligne. Elle utilise une marque de commerce sur son site Internet transactionnel. Cette marque a été correctement enregistrée à l’Office canadien de la propriété intellectuelle.

Armé des statistiques d’utilisation du site, vous décidez de cibler certains marchés extérieurs, et de monter des sites particuliers pour certains pays. Votre marque de commerce canadienne est-elle réservée, est-elle protégée dans ces pays?

Non.

Dans un contexte inverse, imaginons que votre entreprise canadienne offre des services en ligne spécialisés en gestion à d’autres entreprises canadiennes, par exemple de l’information de nature fiscale. Votre entreprise utilise une marque de commerce correctement enregistrée au Canada.

Arrive un mastodonte venu des États-Unis, avec son budget de marketing et son fonds de roulement issu d’une ronde de financement texane, et offrant des services en ligne, touchant la comptabilité, aux entreprises canadiennes. La compagnie étatsunienne utilise la même marque que votre entreprise, et l’a enregistrée dans son pays d’origine. Peut-elle arriver avec ses grands souliers et vous concurrencer avec le même nom auprès des entreprises canadiennes, pour un service similaire?

Non.

Les marques de Google

Au cours de l’été, une décision de la Cour d’appel de Hambourg, en Allemagne, a eu pour effet d’empêcher Google d’utiliser la marque Gmail, en Allemagne, pour son service de courriel.

Un entrepreneur allemand du nom de Daniel Giersch offre depuis plusieurs années un service de courriel du nom de G-mail, le « G » venant apparemment de son nom. Son entreprise vise les marchés de l’Allemagne, la Suisse, la Norvège et Monaco.

M. Giersche a déposé en Allemagne des procédures judiciaires contre Google, et tant le tribunal de première instance que la Cour d’appel lui ont donné raison. M. Giersch avait commencé à utiliser la marque en Allemagne en 2000, alors que Google n’avait commencé qu’en 2004.

En Suisse, c’est probablement dans un contexte de stratégie juridique que Google avait pour sa part attaqué la première, déposant des procédures contre M. Giersch et sa marque G-mail. Or, le tribunal commercial de Zurich a rejeté les arguments de Google dans sa tentative d’empêcher M. Giersch d’utiliser sa marque G-mail en Suisse.

Daniel Giersch qui, malgré certains moyens, a certes des reins financiers moins solides que Google (comme la vaste majorité des entreprises de ce monde!) aurait apparemment profité de cette situation pour prendre publiquement une certaine position à l’effet que des entreprises qui sont dans sa situation doivent résister et peuvent gagner ultimement. Il aurait mentionné qu’il s’agissait d’un duel de « Daniel contre Googliath »

Le service Gmail de Google s’appellera dorénavant GoogleMail en Allemagne, tout comme au Royaume-Uni d’ailleurs.

Monsieur Giersch n’est pas seul

Au Royaume-Uni, une firme nommée Independant International Investment Research (IIIR) utilisait le terme G-mail depuis 2002 en référence à une partie de son logiciel d’analyse financière qui communique par le Web. IIIR est une firme de recherche et d’analyse financière servant les investisseurs. Dans ce cas-là, le « G » était une abréviation de Graphiti.

Dans ce pays, de longues négociations eurent lieu entre IIIR et Google, certains commentateurs rapportant que IIIR était prête à cesser d’utiliser la marque G-mail en retour d’une somme d’argent décrite comme « exorbitante ». Lorsque les négociations ont été rompues, Google s’est mise à utiliser Google Mail pour désigner son service de courriel.

Google a dit ne pas avoir renoncé à utiliser Gmail, qu’elle désirait toujours s’approprier la marque au Royaume-Uni et qu’elle avait toujours l’intention de s’adresser aux tribunaux au besoin. Elle a cependant indiqué qu’elle avait décidé d’utiliser un autre nom dans l’intervalle pour éviter la confusion chez les utilisateurs.

La marque et le territoire

L’Internet est mondial, mais le droit sur une marque de commerce est territorial. Une marque canadienne donne un droit au Canada. Une marque française donne un droit en France. Une marque communautaire européenne donne un droit sur le territoire de la Communauté européenne.

Il faut tenir compte de ce principe dans une stratégie de commercialisation internationale. Il est possible que la marque de notre produit ou notre service ne soit pas disponible dans le territoire où l’on a l’intention de l’offrir.

Dans le cadre de ses ennuis internationaux de marque de commerce, Google a tout de même de la chance. Si elle cesse d’utiliser Gmail, elle retombe sur GoogleMail, qui contient le mot « Google », une autre marque de commerce qu’elle possède et qui est bien connue pour un ensemble de produits.

Cette entreprise pourrait n’avoir qu’un seul produit et une seule marque, et cette marque pourrait faire l’objet de litiges sur plusieurs des territoires où l’entreprise fait affaires. La mise en marché pourrait alors s’en voir compromise si les coffres de l’entreprise ne sont pas assez bien garnis pour faire face aux obstacles.

Il faut donc s’assurer, dans le choix d’une marque pour un produit ou un service, de bien connaître les marques qui existent et sont utilisées sur les territoires que l’on vise pour le futur.

Et en passant, non, le nom de domaine ne suffit pas pour réserver ou protéger une marque à l’étranger.

Michel A. Solis est avocat et agent de marques de commerce. Il œuvre dans le secteur des TI depuis près de 20 ans.

Michel A. Solis
Michel A. Solis
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis plus de 25 ans.

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