La grande séduction numérique

La controverse entourant l’attribution de crédits d’impôt pour le financement d’emplois en TIC rappelle une des bases fondamentales de l’économie capitaliste : l’argent mène le monde, peu importe où il se trouve.

Il y a quelques années, un des grands succès du cinéma québécois – La grande séduction – avait comme histoire une petite communauté qui faisait tout son possible pour charmer un médecin afin qu’il s’établisse sur leur île, pour ainsi conserver une usine qui menaçait de fermer ses portes. Pas de médecin, plus d’usine, plus d’emplois.

La bisbille qui sévit depuis quelques jours à propos de l’attribution de crédits d’impôt à des entreprises de l’industrie des technologies de l’information et des communications (TIC) permet de tracer des parallèles avec cette histoire fictive qui, malheureusement, dépeint une dure réalité au quotidien.

La lecture du Journal des débats de l’Assemblée nationale du Québec, où il a été question de l’attribution de crédits d’impôt à deux entreprises, synthétise adéquatement la situation délicate dans laquelle se trouve l’industrie des TIC, voire même de grands pans de l’économie québécoise.

En théorie, les citoyens et le gouvernement souhaitent que plusieurs entreprises viennent s’établir dans nos contrées pour « tirer profit » du savoir-faire, de l’expérience et des compétences « transversales » d’une main-d’oeuvre qualifiée et débordante d’idées et de volonté. Pour inciter les entreprises à implanter ici leurs usines, leurs centres de R&D ou leurs centres d’excellence, les gouvernements offrent des incitatifs, notamment sous la forme de crédits d’impôt attribuables aux salaires des employés.

Comme dans toute promotion, certaines conditions s’appliquent : il doit s’agir de nouveaux emplois, directement liés à la production de produits et de services en TIC, qui offrent un caractère novateur et apportent une valeur ajoutée. Éventuellement, les nouveaux emplois créés permettront aux gouvernements d’obtenir des retombés de leur investissement sous forme d’impôts sur le revenu, de taxes, de paiements de services aux municipalités, etc.

Or, les derniers jours ont permis de constater que les conditions d’admissibilité sont aussi rigides qu’un contorsionniste de cirque. Une grande entreprise d’outre frontière, dont l’implantation a été annoncée en présence du gratin politique, à grand renfort de publicité et de chandails de hockey, transfère des centaines d’emplois existants qui étaient exploités par un partenaire. Également, une grande entreprise québécoise forme une nouvelle entité et y attribue des centaines d’emplois existants. Le but? Profiter des crédits d’impôt offerts par le gouvernement. Évidemment.

Lors de débats politiques, les politiciens responsables ont affirmé que certains des emplois auraient pu être perdus. On assure que l’admissibilité de chaque emploi aux crédits d’impôt sera validée. Mais peu après, des politiciens de l’opposition ont déclaré que les entreprises avaient eu l’aval de responsables des programmes de pouvoir agir de la sorte…

Petit monde

Le débat de l’admissibilité ou non aux programmes de crédits d’impôt est complexe, mais la situation qu’elle sous-entend suscite de grandes inquiétudes. Lorsqu’un citoyen se voit refuser l’accès à un crédit d’impôt, il maugrée contre le gouvernement, mais n’a d’autre choix que de prendre sa boîte à lunch et d’aller poinçonner sa carte à l’usine. Après tout, il doit soutenir une famille dont il a le bien-être à coeur. L’entreprise, elle, a l’embarras du choix…

Depuis que le monde est monde, les entrepreneurs qui créent ou maintiennent beaucoup d’emplois ont à coeur le bien-être financier de leurs propriétaires et de leurs actionnaires. S’il est possible d’obtenir de meilleurs incitatifs à un endroit plutôt qu’à un autre, c’est sans gêne qu’une entreprise fermera ses portes à une place pour aller les ouvrir à une autre. « Nous sommes désolés des inconvénients que notre départ peut causer », dira-t-elle aux employés qui se retrouvent sans emploi. Mais ce n’est pas le village voisin ou la province voisine qui profitera des nouveaux emplois, mais un autre pays, situé sur un autre continent, qui offre les conditions plus favorables.

Les incitatifs ne sont pas nouveaux. Dans les années cinquante, les gouvernements imposaient des tarifs ridiculement bas pour l’extraction de matières premières aux entreprises minières. Depuis des décennies, des entreprises ont droit à des tarifs préférentiels pour l’énergie qu’elles consomment, si elles ne possèdent pas carrément un bras de rivière où elles exploitent leurs barrages privés. Une entreprise qui ferme sa scierie peut conserver ses droits de coupe de bois, même si une fermeture met en péril une municipalité mono-industrielle, car une autre municipalité pourrait subir le même sort…

Les entreprises du secteur primaire qui veulent déménager leurs pénates doivent trouver des lieux à proximité des matières premières, puis démanteler et déménager leurs machines. Que faut-il aux entreprises du secteur des TIC pour faire de même? Faire des images de serveurs, rediriger des adresses IP, emballer des ordinateurs et glisser la clé sous la porte.

L’industrie des TIC se mondialise, autant au niveau des marchés pour écouler leurs produits et dispenser leurs services, que des bassins de main-d’oeuvre nécessaire à la conception et à la production de leurs produits et services. Alors que bien des usines fermaient leurs portes, il y a quelques années, les entreprises ont clamé que le succès des travailleurs abandonnés se trouvait dans l’innovation, les nouvelles techniques et la valeur ajoutée. Malheureusement, l’industrie des TIC ne vit que par ces facteurs de succès, qui sont maintenant réalisables partout…

Le financement des emplois en TIC par les gouvernements n’a pas fini de faire des vagues. Bientôt, des entrepreneurs diront « moi aussi, moi aussi » et brandiront le spectre du déménagement et des pertes d’emplois. Que feront les gouvernements?

Il est triste que des personnes soient « remerciées » non pas parce qu’ils sont incompétents, mais parce que d’autres, situés ailleurs, peuvent faire le même travail à une fraction du prix. Et il est plus triste que les consommateurs continuent d’acheter des produits et des services, peu importe la provenance, parce que « c’est de moins en moins cher »…

Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.


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Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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