Droit d’auteur vs. droit civil

Le projet de loi C-32 protège les dispositifs technologiques de protection qui peuvent empêcher la copie d’œuvres en format électronique. C’est louable, car on protège les détenteurs de droits d’auteur. Le droit civil québécois affirme pour sa part qu’on a le droit de se servir d’un bien que l’on achète de la manière dont l’on devrait pouvoir s’en servir. C’est louable, car on protège entre autres les consommateurs. Y a-t-il conflit ?

Vous savez déjà que la Loi accorde une protection au droit d’auteur et que des recours légaux existent pour contrer la violation de ce droit.

Vous savez aussi qu’il existe un certain nombre de moyens techniques pour éviter les copies non autorisées d’œuvres protégeables par le droit d’auteur, ces œuvres incluant notamment les logiciels et les CD de musique.

Vous savez peut-être qu’il y a un certain nombre de copies que la Loi sur le droit d’auteur permet de faire légalement, notamment la copie pour fin de copie de sécurité d’un logiciel ou pour fin de transfert d’un fichier de musique d’un support technologique à un autre, sans distribution. Par exemple il est permis de faire une copie d’un CD de musique à un fichier .mp3 utilisé uniquement par le propriétaire du CD, par exemple.

Vous avez sans doute déjà constaté que certains logiciels et CDs contiennent des dispositifs ayant pour but de vous empêcher de faire ou d’utiliser des copies de ces CDs, même dans le cas où vous voulez effectuer ou utiliser une copie que la Loi vous permettrait de faire. Les lois nomment ces dispositifs des « mesures techniques de protection » (MTP).

Lors d’une récent webinaire organisé par l’Association canadienne de droit des technologies de l’information, le professeur Teresa Scassa, de l’Université d’Ottawa, a entre autres parlé du projet de loi C-32 concernant la modernisation de la Loi sur le droit d’auteur. Elle a décrit le régime juridique qui est prévu par le projet de loi quant aux MTP.

Dans l’état actuel du projet de loi, il serait une infraction de contrecarrer un MTP. C’est-à-dire que le fait de contourner technologiquement un MTP pour effectuer une copie illégale d’une oeuvre protégée ne constituerait plus une, mais bien deux infractions: une pour le contournement et une pour la copie.

Le professeur Scassa a souligné que, toujours selon le projet de loi, le fait de contourner technologiquement un MTP pour effectuer une copie légale constituerait également une infraction; il n’y aurait pas alors d’infraction pour la copie légale, mais tout de même une infraction pour le contournement.

Il n’est pas évident pour le législateur de trouver une protection adéquate pour les détenteurs d’œuvre protégées tout en restant équitable pour ceux qui font une utilisation légale de ces œuvres… il s’agit d’un équilibre fragile.

En droit civil

L’article 1716 du Code civil du Québec parle d’une garantie « légale » qui s’applique automatiquement lorsque l’on achète un bien. Il s’agit d’une garantie minimale qui oblige le vendeur à attester que la chose vendue est conforme à l’usage auquel elle est destinée. Ainsi, lorsqu’on achète un lave-vaisselle, on s’attend, à la base, à ce que la machine nettoie bien la vaisselle!

Une question : si vous achetez un CD de musique, avez-vous le droit de vous attendre à pouvoir effectuer un transfert légal vers votre lecteur MP3 afin de pouvoir écouter votre disque sans être nécessairement en possession de celui-ci (notamment pendant votre jogging matinal) ? Dans le passé, certains MTP empêchaient l’utilisation d’un CD de musique sur un ordinateur et empêchaient ainsi le transfert de musique vers un fichier .mp3.

Si, à l’intérieur de votre journée bien remplie, vous n’avez le temps que d’écouter votre disque en joggant ou sur votre ordinateur au bureau, et si la loi permet ces pratiques alors que le MTP les empêche, quel est le droit applicable? Le CD, dans les faits, vous deviendrait à toutes fins pratiques inutile, contrairement à l’article 1716 mentionné plus tôt… et on sait que la vaste majorité des détaillants de disque refusent qu’on leurremette un CD de musique ouvert, dans une optique louable de protection des droits d’auteur.

Si un MTP fait en sorte que vous ne pouvez techniquement vous servir d’un CD de musique comme la loi vous permet de vous en servir, peut-on alors effectivement croire que la chose vendue n’est pas conforme à l’usage auquel elle est destinée? Que penser à ce moment-là du refus du détaillant de CD de musique de reprendre le CD et de vous rembourser dans le but de protéger les droits d’auteurs ?

Un débat judiciaire, peut-être dans le cadre d’un recours collectif, est-il à prévoir ? Le débat pourrait être intéressant, surtout dans le contexte où une loi fédérale protégeant la propriété intellectuelle se buterait à une loi provinciale touchant les contrats. L’issue serait difficile à prévoir et il serait aussi bien difficile de déterminer quelle position des deux serait la plus sympathique; les consommateurs et les auteurs sont certes des camps qui ont tous deux bonne presse face à l’opinion publique.

Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis plus de 20 ans.

Michel A. Solis
Michel A. Solis
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis plus de 25 ans.

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