Diagnostic inquiétant pour le Dossier de santé du Québec

Le vérificateur général du Québec constate des retards, des révisions à la baisse et des omissions pour le DSQ. L’implantation pourrait coûter plus cher, mais surtout le niveau d’adhésion par les utilisateurs est mis en doute. Le rapport évoque aussi quelques lacunes et carences. Analyse.

Dans son rapport pour l’exercice 2008-2009, le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, consacre un chapitre à la vigie du projet de Dossier de santé du Québec pour une deuxième année consécutive. Outre un constat que seulement cinq des douze recommandations formulées lors de l’exercice 2007-2008 avaient fait l’objet de progrès satisfaisants, le scrutateur du gouvernement exprime de sérieux doutes quant au temps, à l’argent et à l’utilisation de cette application informatique qui suscite des attentes depuis de nombreuses années autant dans le monde médical qu’auprès des intervenants gouvernementaux.

En résumé, le Dossier de santé du Québec doit permettre la consultation de diverses données réparties dans le réseau de la santé par les praticiens qui interagissent avec un patient lors d’un traitement. Le projet, géré par un bureau dédié du ministère de Santé et Services sociaux (MSSS), est financé en partie par Inforoute Santé du Canada. Les actifs du DSQ appartiendront aux 18 Agences de la santé et des services sociaux (ASSS) du Québec, à la Corporation d’hébergement du Québec, à l’Institut national de la santé publique du Québec et à la Régie de l’assurance maladie du Québec, tandis que l’organisme Sogique développera et gérera des actifs communs.

Cette initiative est constituée de treize projets d’informatisation dont le coût total initial avait été établi à 563 M$ sur quatre ans (dont 303 M$ par Ottawa). L’exploitation de toutes les composantes dans toutes les régions du Québec par 95 000 utilisateurs potentiels – les professionnels, les cliniques, les hôpitaux universitaires, les pharmacies, les CLSC, les laboratoires privés et les centres d’imagerie diagnostique – était prévue pour avril 2010.

Jusqu’à trois ans de retard

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Calendrier des projets

Or, le vérificateur doute que la date de la fin du déploiement, déjà repoussée au 30 juin 2011 par le gouvernement, puisse être atteinte alors que des composantes du projet ont pris des retards variant d’une à trois années. La dernière composante devrait être prête en juin 2012, à cause d’un retard dans la livraison d’un progiciel. Il doute aussi que le début du déploiement, planifié pour 2009, ne commence au moment prévu.

Également, le projet pilote qui est réalisé dans la région de Québec a commencé en juin 2008 avec six mois de retard, avec seulement les données sur les médicaments – celles sur les laboratoires ont été ajoutées en février 2009. Il devrait se terminer 21 mois plus tard que prévu. Le rodage technologique a été suspendu d’août à novembre 2008 en raison d’une instabilité causée par des incidents techniques, dont des temps de traitement inacceptables et des ruptures de service. Alors que la phase de pilotage devait commencer en avril 2009, l’ajout d’une phase de validation de la capacité à traiter un volume élevé de transactions reporterait la fin du projet pilote en mars 2010.

Portée et priorités réduites?

D’autre part, alors qu’une première région devait accueillir le DSQ en juillet 2008 et que le plan initial visait l’éventuelle implantation en bloc d’applications pour les examens de laboratoire, les médicaments et la radiologie partout au Québec, une stratégie révisée mise sur une implantation graduelle de ces modules dans « quelques régions ».

Mais une révision plus importante vise les utilisateurs : au lieu de joindre 95 000 personnes, ce sont maintenant 37 000 utilisateurs, soit les praticiens en médecine, en infirmerie et en pharmacie qui sont ciblés. De plus, le vérificateur note l’absence d’un échéancier, puisque le MSSS croit « que cela dépendra de l’adhésion des régions et des prestataires de services ».

« Pour assurer la pérennité des investissements réalisés, le Bureau du DSQ a estimé que d’ici décembre 2010, il faut atteindre la cible minimale de 5 500 utilisateurs répartis dans un minimum de 5 à 8 régions », remarque M. Lachance.

D’ailleurs, il s’inquiète du niveau d’adhésion des utilisateurs ciblés au projet de DSQ, alors que bon nombre de régions fournissent beaucoup d’efforts et oeuvrent en priorité à des projets de Dossier de patient électronique (DPE). Il s’agit d’un dossier informatisé, appartenant à un établissement ou à un prestataire, qui contient des données cliniques locales d’un patient comme des conclusions d’interactions (diagnostics, notes, etc.), mais aussi les données qui composeront le DSQ.

Le vérificateur déplore l’absence d’une stratégie d’arrimage entre le DSQ et le DPE, alors que 65 % des établissements auraient entamé des investissements dans le projet de dossier local. En remarquant que les ressources, les processus, les données et les infrastructures sont identiques, il note que les intervenants ne veulent pas saisir les données en double, ni utiliser des infrastructures distinctes.

« Le DPE est vu comme offrant davantage de bénéfices à court terme. Ainsi, il y a un risque que les utilisateurs et les prestataires de services n’adhèrent pas au DSQ et, ainsi, le relèguent au second plan », craint-il.

L’adhésion des praticiens de première ligne était un critère important qui avait été identifié par les participants d’une rencontre de la Tribune des CIO qui était consacrée au Dossier de santé du Québec à l’été 2008.

M. Lachance rappelle que deux ASSS n’avaient pas signé d’engagement pour le déploiement du DSQ lors de sa vigie de l’année dernière. Alors que le conseil d’administration de l’ASSS de Laval a paraphé une entente en novembre 2008, celui de l’ASSS de Montréal, qui chapeaute 25 % de la population québécoise et qui est fiduciaire de plusieurs actifs informationnels du DSQ, ne l’a pas fait. Le vérificateur affirme que la concentration des efforts de cette ASSS sur un DPE pourrait retarder l’échéancier du DSQ sur son territoire.

Coûts imprécis et inconnus

Les coûts associés au projet suscitent également l’attention du vérificateur. Non seulement l’absence de recensement de tous les investissements préalables – notée l’an dernier – n’a pas encore été comblée, mais le montant initial a été réduit de 77 M$, puisque les dépenses liées à un volet de consentement ont été jugées non nécessaires en raison de l’adoption du principe du consentement implicite par les patients.

Or, aucune mise à jour des coûts n’a été effectuée à la suite du report d’un an de l’échéancier par le gouvernement. Également, les évaluations initiales reposaient sur des hypothèses et de la méthodologie néanmoins rigoureuses. Les dépenses récurrentes d’exploitation et d’entretien des actifs, fondées sur un taux suggéré par de bonnes pratiques, n’ont pas été revues à la suite des révisions de portée et d’échéancier et n’ont pas fait l’objet d’une évaluation détaillée. « Rappelons que le MSSS a déclaré […] que les coûts récurrents seraient payés en partie par des bénéfices récupérés à la suite de la mise en oeuvre du DSQ, lesquels ne sont toujours pas appréciés », note le vérificateur.

Il ajoute aussi que la révision des coûts préalables aura un impact sur le niveau de financement et que les sources de financement récurrent ne sont pas toujours établies. Plus loin, il note que le montant destiné aux contingences de certains projets paraît insuffisant. Aussi, l’utilisation de ressources pour une plus longue période prévue pour compléter des projets aura des impacts sur les coûts de ces derniers.

À la lecture du rapport, on note dans le rapport du vérificateur général bon nombre de constats, de carences et d’imprécisions à propos du Dossier de santé du Québec. En voici quelques exemples.

En matière de gouvernance, les établissements de santé disposent de plusieurs actifs informationnels qui ont été constitués ou achetés « sans perspective d’ensemble, ce qui entraîne des difficultés d’intégration et de partage d’information ». Également, aucun inventaire des normes de données ou standards de technologies n’a été réalisé.

D’ailleurs, des problèmes d’appariement entre des données ont été remarqués lors du projet pilote, ce qui nécessitera des travaux. La difficulté de la modification des environnements technologiques des laboratoires hospitaliers pour assurer une conformité à des standards fait même craindre pour l’activation en juin 2011 du DSQ à l’échelle provinciale.

Au niveau de la structure de la gouvernance, on souligne le départ à la retraite du sous-ministre associé au DSQ Maurice Boivert à l’été 2008 et la nomination d’une ressource de la première heure au poste de directeur général. Le départ de ressources externes a eu un impact sur la responsabilité de quatre projets, tandis que 40 % des postes occupés au Bureau du DSQ ont fait l’objet d’appel d’offres à la suite de l’expiration de contrats de services professionnels. Toutefois, une clause d’accompagnement a été ajoutée aux contrats des fournisseurs pour atténuer les risques de ralentissement de travaux en raison de ces renouvellements.

D’autre part, alors que des firmes représentent les intérêts du gouvernement, mais sont également des prestataires de services pour le développement de projets, les contrats de services professionnels ne contiennent pas tous une clause liée à l’objectivité, l’indépendance et l’absence de conflit d’intérêts.

En gestion des risques, les registres des risques et des actions sont tenus à jour, mais les actions à accomplir pour diminuer l’importance d’un risque sont trop brèves pour en comprendre l’impact, tout comme il est impossible de comparer les variations mensuelles des niveaux de gravité d’un risque. En gestion du changement, la stratégie globale et intégrée de gestion du changement est incomplète et ne mentionne pas les répercussions sur les processus et les clientèles ciblées. Des biens livrables, des outils et des démarches sont encore manquants.

Le document évoque aussi l’absence de précisions dans des rapports et même l’absence de la remise de rapports à des dates prévues au gouvernement, tout comme l’omission de contrats dans le portrait global, l’absence de données dans certains contrats et des carences dans le suivi des contrats.

D’autre part, le vérificateur général remarque l’évolution de travaux en matière de planification de la sécurité, mais il souligne que le défi à relever est de mettre en place les contrôles pour garantir cette sécurité dans le DSQ.

Comme il est courant dans un tel contexte, le gouvernement a accepté les recommandations formulées dans le rapport de vigie. Reste à voir si le vérificateur fera à nouveau l’exercice pour la période 2009-2010.

Jean-François Ferland est journaliste au magazine Direction informatique.

Jean-François Ferland
Jean-François Ferland
Jean-François Ferland a occupé les fonctions de journaliste, d'adjoint au rédacteur en chef et de rédacteur en chef au magazine Direction informatique.

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