Des excès sur le Web 2.0

DROIT ET TI Y a-t-il des limites à ce qu’on peut dire ou montrer dans un contexte de Web 2.0?

On connaît maintenant mieux qu’avant maintenant le Web 2.0, cet Internet devenu collaboratif, où la richesse du contenu est créée par les participants et les échanges entre ceux-ci.

Un grand nombre d’internautes con-sultent des sites Web 2.0 pour savoir « ce que les autres pensent » d’une problématique, d’un événement, d’un produit ou d’un service. Plusieurs se servent aussi de ces sites pour communiquer leurs propres impressions.

Un certain nombre d’entreprises ont, pour leur part,découvert le potentiel commercialdu Web 2.0 et invitent les internautes à venir discuter chez elles, sur le site des entreprises en question: il y a des soirs de hockey où les échanges entre amateurs sur les sites Web 2.0 sont tout aussi importants, sinon plus, que sur les lignes ouvertes radiophoniques!

Mais peut-on dire tout ce que l’on veut sur un site Web 2.0? Peut-on critiquer, montrer et évoquer de la manière qui nous nous passe par la tête, notamment en ce qui concerne une ou plusieurs tierces parties?

Les tribunaux du Québec, qui ont traité pendant l’été de contenus prohibés sur Internet, ont répondu « non », dans le cadre de deux décisions dont les faits sont, disons, particuliers.

De deux décisions « qui font jaser »

L’une de ces décisions touche un site Internet qui logeait à l’adresse rawdon-qc.net. Ce site Internet abritait un forum de discussion sur lequel des citoyens commentaient l’actualité municipale de Rawdon, une municipalité située au nord de Montréal.

La façon des collaborateurs au site de commenter cette actualité était assez crue et ressemblait aux exemples qui suivent, extraits des discussions et du jugement:

« Admettez avec nous que tout ce qui sort de l’Hôtel de Ville, sans exception ou presque, a constamment et depuis la première élection de ces crétins les apparences de magouilles aux odeurs indéniables de pot-de-vin et de favoritisme d’un côté et aux reflets d’incompétence crasse, d’arrogance et d’imbécillité profonde de l’autre côté. »

Ou: «I l y a sur Quenn Street (sic) une ordure qui sévit. Ce mec, c’est le Mal incarné. Il se prend pour un petit Furher (sic) et il se divertit en éliminant de son entourage ceux qui refusent à faire du lèches-bottes. Sa dernière vacherie, c’est le génocide de l’équipe de huit gars de loisirs »

ou encore: « Staline n’aurait pas fait pire ».

Un grand nombre de messages se trouvant sur ce forum ont été jugés diffamants (c’est-à-dire portant atteinte indue à la réputation des personnes concernées), par la juge Richer, de la Cour supérieure du Québec. Elle n’y va pas avec le dos de la cuiller pour décrire le forum qui, selon elle, semble être devenu «en l’espèce, le moteur de l’excès et de la démesure, l’accélérateur et l’amplificateur de la diffamation contre les personnes physiques et contre la municipalité demanderesses.»

On peut certes critiquer des politiciens, mais il y a des limites.

Le jugement prononce une série d’ordonnances comme celle de « cesser immédiatement de diffuser, publier, reproduire ou faire circuler les propos diffamatoires, en tout ou en partie, sur le forum de discussion du site Internet qui loge à l’adresse rawdon-qc.net ou sous tout autre médium, verbalement ou par écrit ». La liste des interdictions prononcées par la juge se trouve d’ailleurs sur l’unique page (au moment de la rédaction de cet article) du site rawdon-qc.net.

Il faut noter de plus que le jugement a établi et mentionné clairement l’identité des personnes ayant utilisé un pseudonyme pour effectuer leurs commentaires diffamants.

La deuxième décision

La deuxième décision s’applique à des faits qui occasionneront probablement encore plus de discussions autour de la machine à café.

La personne ayant initié des procédures se plaignait que son ex-ami avait diffusé sur Internet des séquences de ses ébats sexuels. Des photos et des vidéos de la jeune femme la montrant nue ou en train d’avoir des rapports sexuels avec le défendeur s’étaient retrouvés sur des sites Internet après qu’elle eut mis fin à leur relation amoureuse.

La juge Sylviane Borenstein, ancienne dirigeante du Barreau du Québec et ancienne directrice à l’Aide juridique, n’a pas mâché ses mots : « Le tribunal qualifie ces gestes d’ignobles et exprime son indignation ».

Le jugement interdit au défendeur, les noms des parties ayant été gardées confidentielles, « d’écrire, diffuser ou transmettre sur tout site Internet quelque information, commentaire ou photographie que ce soit de la demanderesse ou se rapportant à cette dernière. »

Le jugement ordonne de plus au défendeur de « ne pas diffuser, reproduire, communiquer et/ou transmettre par quelque moyen que ce soit, y compris par Internet, messagerie-texte, courrier ou autrement toute photographie, tout vidéo et tout courriel concernant la demanderesse; de remettre à la demanderesse toute photographie de la demanderesse sur support papier, qui est à caractère sexuel, comportant de la nudité ou montrant la demanderesse en sous-vêtements et de ne pas détenir, en format électronique, papier ou autre, toute photographie et tout vidéo de la demanderesse à caractère sexuel, comportant de la nudité ou montrant la demanderesse en sous-vêtements ».

La juge Borenstein est allée jusqu’à ordonner que les photographies, CD-ROM et clés USB déposées dans le cadre de ce recours demeurent sous scellés pour qu’elles ne puissent être consultées, au dossier de la Cour, que sur autorisation d’un juge de la Cour supérieure.

La liberté d’expression vs le droit à la réputation

Quant à la réponse à la question initiale de cet article (peut-on écrire, montrer… tout ce que l’on veut?), citons la juge Richer, qui statue dans la décision Rawdon :

Le droit à la liberté d’expression est (…) un droit fondamental de notre société, protégé lui aussi par la Charte des droits et libertés de la personne, mais ce dernier n’est pas absolu et il doit s’exercer dans le respect des autres droits fondamentaux, dont celui du droit à la réputation.


On peut consulter les textes complets de ces jugements sur le site Jugements.qc.ca. Voici des liens raccourcis pour faciliter votre travail.

Premier jugement – Ville de Rawdon – http://bit.ly/jugementrawdon

Deuxième jugement – Diffusion de photos de l’ex-amie – http://bit.ly/jugementBorenstein

Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis plus de 20 ans.

Michel A. Solis
Michel A. Solis
Michel A. Solis est avocat, arbitre et médiateur. Il oeuvre dans le secteur des TI depuis plus de 25 ans.

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