Affaire iPhone 4G: Marketing sulfureux ou mauvaise fortune?

Les événements récents menant à la fuite dont a bénéficié récemment le webzine new-yorkais Gizmodo, celle du iPhone de 4e génération, ne seraient imputables qu’à la malchance d’un ingénieur en liesse, la cupidité d’un client de brasserie et la crânerie d’une équipe journalistique? Le croyez-vous?

On sait tous que le cynisme nous ronge l’âme avec les années. Alors, quand arrive une histoire comme celle que je vais vous raconter, celle de l’apparition d’un prototype top secret d’Apple dans un webzine bien connu, on devient rapidement incrédule. Puis, hum… Laissez-moi quand même vous relater les faits.

Le 18 mars dernier, Gray Powell, un ingénieur d’Apple qui travaille sur la prochaine grande version du iPhone, fête son 27e anniversaire dans une brasserie de Redwood City (dans la Silicon Valley, à trente kilomètres de Cupertino, le siège social d’Apple). Avec un prototype du prochain iPhone, un appareil en phase de test qu’on a habilement maquillé en iPhone 3GS standard, Powell écrit dans Facebook avoir « sous-estimé la qualité de la bière allemande ». Bref, il est un peu sur le party! Puis, fatigué de sa journée et de sa soirée, il quitte l’établissement en oubliant l’ultrasecret iPhone sur son tabouret.

Un de ses deux voisins de bar finit par s’en emparer et il tente en vain de savoir à quel client appartient le petit appareil. C’est en taponnant le iPhone qu’il y découvre des « anomalies » intéressantes et qu’il finit par tomber sur Facebook, une appli bien identifiée à Gray Powell. Compte tenu de l’heure tardive, il décide de ne lui téléphoner que le lendemain et il quitte la brasserie. Sauf qu’au matin, le drôle de iPhone ne fonctionne plus; il a été zappé à distance (MobileMe) dès les premières heures de sa disparition; paraîtrait que c’est toujours ainsi quand il s’égare un iPhone chez Apple. Donc, il n’est plus possible d’avoir les coordonnées de Powell.

L’homme tente d’entrer en communication avec Apple, mais personne ne semble le comprendre. À la fois excédé et intrigué, il laisse tomber. Puis, dans les jours qui suivent, moyennant… 5 000 $, il réussit à vendre l’appareil à Gizmodo, un webzine parfois iconoclaste de New York. Comme il se doit, l’impavide publication risque l’ire d’Apple en présentant l’appareil après l’avoir disséqué et analysé sous toutes ses coutures. Ça se passe trois semaines plus tard sous la signature du journaliste Jason Chen.

Averti par Tweeter, je dévore l’article et, comme bien des cyniques, je finis par conclure en une machination marketing à la sauce Apple. On fait fuir le produit dans une publication bien ciblée et très fréquentée. « Hé les amis, voici la 4e génération du iPhone, une petite merveille qui fait ceci et cela de plus que l’actuel iPhone 3G S! » Quoi de mieux pour garder le produit phare d’Apple bien vivant dans l’esprit des gens!

Sauf que les événements récents m’ont fait changer d’avis. Tout d’abord, le VP responsable du contentieux d’Apple, Me Bruce Sewell, a fait parvenir le 19 avril dernier, une lettre au patron de Gizmodo, Brian Lam, enjoignant formellement à ce dernier de lui retourner le prototype. Ce à quoi a répondu Lam, spécifiant que l’appareil était au domicile de Jason Chen en attente d’être cueilli par quelqu’un de chez Apple. Hum! S’il y avait complot entre Apple et Gizmodo, il faudrait impliquer ici l’avocat en chef de la fabricante, ce qui est fort peu plausible.

Mais l’apothéose est survenue vendredi soir dernier. Mandat de perquisition en poche, les flics du Sheriff de San Mateo County (là où est située la brasserie) ont fracassé la porte principale du domicile de Jason Chen qui habite quinze kilomètres plus loin, l’autre bord de la baie de San Francisco, et ils ont tout passé au peigne fin. Quelques heures plus tard, ils sont repartis après avoir saisi quatre ordinateurs, deux serveurs et des cossins jugés pertinents à leur enquête. On parle ici du matériel électronique utilisé par Chen dans sa vie professionnelle autant que dans sa vie privée (ce qui inclut ses courriels, ses finances, etc.). Arrivé sur l’entrefaite, ce dernier a tenté de discuter, mais en vain. Que recherchaient les flics? Le nom de la personne ayant vendu le iPhone à Gizmodo.

On imagine le débat qui entoure cette histoire, débat qui pourra vraisemblablement teinter le lancement du prochain iPhone. Aux É.U., la jurisprudence et le Code pénal de la Californie reconnaissent qu’on ne peut confisquer les biens d’un journaliste qui refuserait de fournir ses sources aux autorités. De plus, le mandat présenté par le bureau du Sheriff n’était pas valide pour le soir ou la nuit. Or, les policiers étaient encore sur place quand Chen est arrivé chez lui à 9 h 45. Autrement dit, les édiles auraient fait preuve de zèle et de dérogation, ce qui ne pourra que nuire à l’image déjà trop avocassière d’Apple.

Par ailleurs, bien des gens s’interrogent sur la légitimité du geste posé par Gizmodo. Le monsieur Anonyme qui a ramassé l’étrange iPhone sur le tabouret pour le lui vendre 5 000 $, l’a-t-il trouvé ou l’a-t-il volé? Où finit la notion de vol et où commence celle de l’adage « The finder is the keeper » (Lui qui l’trouve c’est lui qui l’garde)? Y a-t-il eu suffisamment de recherches effectuées pour trouver le vrai proprio du téléphone d’Apple? N’aurait-il pas été mieux de le laisser au barman qui l’aurait placé dans le tiroir des choses perdues? Disons que les apparences peuvent jouer contre le gars; car, peu après, il l’a vendu à bon prix, n’est-ce pas?

Et si c’est de vol dont il s’agit, la transaction avec Gizmodo serait du recel en bonne et due forme, non? Auquel cas, cette publication pourrait être condamnée et Jason Chen envoyé aux galères du roi. La presse a peut-être le droit de ne pas divulguer ses sources, dit-on, mais elle n’a sûrement pas le droit de commettre une infraction criminelle, « a felony » comme ils le disent au sud du 45e.

Selon toute apparence, le malheureux ingénieur, Gray Powell, n’aurait pas été congédié, puisqu’Apple reconnaîtrait sa malchance. Le gars aura oublié un prototype, un voisin de siège s’en sera emparé et l’aura vendu à Gizmodo, d’où la « felony ». D’où le bras courroucé d’Apple qui a frappé!

Bien drôle d’histoire. La très secrète, hermétique et sécuritaire Apple perd un prototype hautement stratégique lequel est étalé partout dans la blogosphère. L’ingénieur étourdi n’est pas congédié alors que d’autres l’ont été pour beaucoup moins que ça. Les flics procèdent à une saisie chez un journaliste avec bris de matériel (la porte fracassée) à partir d’un mandat apparemment non approprié et malgré la jurisprudence californienne. Gizmodo aurait acheté et mis à profit (pensez au nombre de « hits ») un bien techniquement volé. Voilà un énorme paquet d’embrouilles avec lequel on n’en a pas fini! La presse et ses libertés se sentent interpellées et un débat fait rage : le foutu iPhone a-t-il été volé ou non?

Vous croyez qu’Apple a besoin d’une telle publicité?

Permettez-moi d’en douter.

Nelson Dumais est journaliste indépendant, spécialisé en technologies de l’information depuis plus de 20 ans.

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